Suisse

Qui finance la politique? La Suisse dispose désormais de chiffres, mais pas de leurs clés

élections


Des Bâloises élues de différents partis se réjouissent de leur résultat électoral le 22 octobre 2023.


Keystone / Georgios Kefalas

Depuis un an, la Suisse connaît de nouvelles règles de transparence en matière de financement de la politique. Mais les chiffres publiés pour la première fois à ce sujet n’apportent aucune réponse, bien au contraire.

Combien d’argent les partis reçoivent-ils? En matière de transparence sur cette question, la Suisse a longtemps été la plus mauvaise élève d’Europe, avec la Biélorussie.

Pourtant, le financement des partis revêt une importance particulière dans un pays qui attend de ses citoyennes et citoyens qu’ils se prononcent quatre fois par an dans les urnes, en toute connaissance de cause. La pression exercée par la population a finalement conduit à l’élaboration de règles de transparence en matière de financement de la vie politique suisse. Celles-ci sont entrées en vigueur pour les élections nationales de l’automne 2023.

Mais un an plus tard, c’est la désillusion. Le Contrôle fédéral des finances, qui a depuis tenu une comptabilité méticuleuse de tous les dons aux partis, publie désormaisLien externe ses résultats avec de nombreuses explications et quelques notes de bas de page.

L’obligation de déclaration s’applique aux partis représentés au Parlement suisse. Les personnes qui font campagne pour des votations ou des élections fédérales doivent déclarer leur financement si ces personnes dépensent plus de 50’000 francs. Les dons anonymes ou provenant de l’étranger sont en principe interdits. Les dons de Suisses de l’étranger sont toutefois autorisés.

Pour les dons individuels à des politiciennes ou politiciens au Parlement ou à des partis, à partir de 15’000 francs, les noms des auteurs doivent être publiés.

«Produit du brouillard»

Toutefois, les chiffres sont à prendre avec des pincettes, pour ne pas dire qu’ils sont presque imbuvables. «En fait, c’est surtout du brouillard qui est produit avec ces chiffres», a fait remarquer un journaliste lorsque l’organe de contrôle a présenté ses résultats lors d’une conférence de presse sur le sujet. Un autre a déclaré: «Sur la base de ces données, on ne peut pas dire combien d’argent va à qui».

Il est en effet frappant de voir tout ce qui n’a pas été pris en compte dans l’enquête sur le financement des partis. Il manque par exemple toutes les recettes des partis cantonaux, car l’enquête a été menée exclusivement au niveau fédéral, c’est-à-dire auprès des partis nationaux. Reste à savoir si et dans quelle mesure cela déforme l’image globale, car chaque parti a sa propre structure.

Sous le radar

De même, il manque les budgets des acteurs à qui les règles de transparences ne s’appliquent pas. Il peut s’agir de comités de soutien ou de représentants d’intérêts qui exercent une influence directe sur la politique, par exemple via des agences de publicité. Il peut s’agir d’associations de donateurs ou d’organisations de campagne qui accèdent à leurs propres budgets par leurs propres canaux. «On peut faire des campagnes en dehors du parti, et les fonds y sont versés», ont constaté les contrôleurs de la Confédération.

Ou – peut-être surtout, mais on ne le sait pas vraiment – il peut s’agir de fondations. Des fondations créées pour préserver l’anonymat. Elles sont également très appréciées dans la politique suisse et posent un dilemme aux contrôleurs financiers. Ceux-ci ont en effet pour mission d’évaluer les donateurs initiaux. «Mais nous ne pouvons pas contrôler les fondations», explique Pascal Stirnimann, directeur du Contrôle fédéral des finances.

Une loi inefficace

Pourquoi tant d’opacité? La loi le veut ainsi. «Elle accepte sciemment que la transparence soit limitée», explique Pascal Stirnimann. Le Contrôle fédéral des finances ne peut donc qu’en appeler au devoir de diligence des partis. «Le parti doit aller faire les vérifications nécessaires auprès des fondations. S’il ne le fait pas, cela peut être punissable», estime le directeur de l’organe. Il affirme que les versements fractionnés dans le but de contourner le seuil de déclaration sont également punissables. Mais de tels versements ont-ils été effectués et dans quelle mesure? Cela reste flou.

Il existe d’autres exemples qui montrent le manque d’efficacité de la nouvelle loi sur la transparence du financement politique. Il se peut ainsi que les contrôleurs repèrent des chiffres erronés, mais qu’ils doivent tout de même les publier tels qu’ils ont été annoncés. Cela vaut même si ces derniers déposent une plainte pénale parce qu’un acteur politique a délibérément contourné les règles, même dans ce cas, le public ne doit pas en être informé.

«La transparence n’est pas absolue.» C’est le message qu’envoie le Contrôle fédéral des finances avant même la publication officielle des résultats.

Les résultats connus sont les suivants:


Contenu externe

Ces dernières années, la Suisse a souvent été critiquée pour son manque de transparence, notamment par le Groupe d’États contre la Corruption du Conseil de l’Europe (Greco). Que dit ce dernier aujourd’hui? Il reconnaît les progrès réalisés, dit Pascal Stirnimann.

Où va l’argent?

Lors d’une évaluation des résultats suisses en juin 2024, le Greco a toutefois constaté que six points devaient encore être améliorés, rapporte l’organe de contrôle suisse. Il assure que trois d’entre eux ont déjà été mis en œuvre. Un point négatif demeure toutefois: le Greco souhaite également la transparence des dépenses des partis. Or, jusqu’à présent, ces derniers ne doivent publier que leurs recettes.

 «Il y a eu une période intensive de formation, également pour les partis», explique le directeur du Contrôle fédéral des finances à propos de l’enquête menée pour la première fois. Cette période est désormais terminée. En d’autres termes: à l’avenir, l’ignorance ne protégera plus guère de la sanction.

candidats


Des membres de l’UDC saint-galloise se réjouissent de leur élection à l’issue des élections fédérales d’octobre 2023.


Keystone / Christian Merz

Reste la question de savoir si les obligations de diligence et de déclaration sont suffisantes lorsque les acteurs politiques veulent dissimuler leurs flux financiers de manière ciblée? L’un de ceux qui en doutent publiquement est justement l’ancien directeur du Contrôle fédéral des finances, Michel Huissoud.

Esprit critique depuis toujours, l’ancien plus haut contrôleur financier de Suisse travaille désormais comme journaliste indépendant. Et c’est en tant que tel qu’il demande, par voie judiciaire, à avoir un regard plus approfondi sur les résultats de ses anciens subordonnés. Il s’agit des contrôles aléatoires par lesquels les contrôleurs vérifient les informations communiquées par les partis. Comme tout ce qu’ils découvrent, ils ne peuvent toutefois publier ces résultats.

«Nous lisons des chiffres qui sont faux »

Michel Huissoud affirme que le public doit être informé lorsque des comités engagés dans une campagne de vote ou des candidats déclarent des fonds de manière erronée. «Si le Contrôle des finances a constaté des erreurs, on doit le savoir. Sinon, nous lisons des chiffres qui sont faux. Et ce n’est pas le but de ces dispositions sur la transparence», explique Michel Huissoud à la SRF.

Son successeur, Pascal Stirnimann, ne s’exprime pas sur ce litige en cours. Il se contente de dire: «Il y a du potentiel pour des améliorations».

Relu et vérifié par Samuel Jaberg / traduit de l’allemand avec l’aide de Deepl /kro