L’ONU prévoit de connecter toutes les écoles du monde à internet d’ici 2030
Le Fonds des Nations unies pour l’enfance et l’Union internationale des télécommunications s’associent pour connecter toutes les écoles du monde à internet d’ici 2030. Alex Wong, coresponsable du projet Giga, explique leur plan pour combler la «fracture numérique».
Près de la moitié des six millions d’écoles dans le monde n’ont toujours pas accès à internet. La majorité d’entre elles se situent dans des pays en développement et des régions reculées. Pour remédier à cette inégalité d’accès – dite «fracture numérique» –, l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’UNICEF se sont donné pour mission de connecter toutes les écoles du monde à internet d’ici à 2030. Un objectif ambitieux qui doit être atteint en seulement six ans. Mais est-il vraiment réalisable? Et l’accès à internet permettra-t-il de rendre le monde plus équitable? SWI swissinfo.ch a rencontré Alex Wong, coresponsable du projet Giga à l’UIT, en marge du tout premier Giga Connectivity Forum à Genève, où un nouveau centre dédié à la connectivité internationale ouvrira ses portes d’ici la fin de l’année.
SWI swissinfo.ch: Pourquoi est-il si essentiel que les écoles du monde entier disposent d’une connexion internet?
Alex Wong: À ce jour, quelque 500 millions d’enfants et de jeunes sont privés d’un accès à l’éducation en ligne. La crise du Covid-19 a mis en lumière l’importance de la connectivité numérique. Aujourd’hui, on remarque que les enfants qui n’étaient pas connectés pendant la pandémie ont moins progressé, non seulement en matière d’éducation, mais aussi en termes d’intégration dans la communauté et d’opportunités professionnelles.
Cette fracture numérique affecte de manière disproportionnée les pays en développement et les régions isolées. Dans les pays à revenu élevé, environ 90% de la population bénéficie d’un accès régulier à internet, tandis que dans les pays à faible revenu, ce taux chute à environ 40%. De même, les habitants des pays à haut revenu consacrent généralement 0,4% de leur salaire à la connectivité. En revanche, dans les pays à faible revenu, cette dépense représente en moyenne 8,6% de leur salaire et peut même atteindre 20%. Aussi, la majorité des 2,6 milliards d’individus non connectés dans le monde sont des femmes et des jeunes filles.
Giga s’efforce de remédier à cette inégalité en connectant chaque jeune à l’information, aux opportunités et aux choix. En connectant les écoles primaires à internet, les enfants peuvent développer des compétences numériques et accéder à des contenus d’apprentissage en ligne. De plus, ces écoles peuvent ensuite fournir un accès à internet aux communautés environnantes.
Concrètement, comment prévoyez-vous de connecter ces écoles à internet?
Notre objectif est de créer les conditions nécessaires – comme l’accès à des données et des outils – pour encourager des investisseurs à se lancer dans le projet. Pour ce faire, on cartographie les écoles du monde entier, et on surveille l’état de leur connectivité en temps réel. Depuis le lancement du projet en 2019, nous avons cartographié plus de 2,1 millions d’écoles dans le mondeLien externe en utilisant l’intelligence artificielle qui les identifie à partir d’images satellites, notamment au Ghana, au Kenya, au Niger, au Rwanda et en Sierra Leone. Dans un second temps, on modélise les infrastructures et les investissements nécessaires à l’installation d’un réseau internet. On aide ensuite les gouvernements à sécuriser les financements et à conclure des contrats avec des philanthropes et des entreprises privées.
Sur la carte de connectivité de Giga, les points verts représentent les écoles connectées, les points rouges les écoles non connectées et les points bleus les écoles dont le statut est inconnu:
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Giga s’étend aujourd’hui à 34 pays. Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés?
La plupart des projets lancés dans ces pays sont encore à un stade embryonnaire, c’est-à-dire la cartographie et la modélisation. À ce jour, Giga a facilité l’accès à internet dans 14’500 écoles, ce qui a profité à environ 7,79 millions d’élèves. Le principal défi était d’accéder aux données sur l’emplacement des écoles et l’état de leur connectivité. On commence maintenant à avancer dans les phases de financement et de contrat et nous sommes impatients de connecter davantage d’écoles. À l’avenir, on espère appliquer ce modèle à l’échelle d’un pays entier.
Les villages bénéficieront-ils aussi de cette connectivité? Et si oui, comment?L’idée est que les écoles deviennent un noyau de connectivité pour les communautés environnantes. Environ 90% des coûts de connectivité des écoles peuvent être couverts en incluant d’autres utilisateurs, d’après une estimation du Boston Consulting GroupLien externe. Pendant les heures de cours, une connectivité minimale de 20 Mbps pourrait permettre à 3 ou 4 classes d’accéder à internet. En dehors des heures de cours, ce même réseau pourrait fournir 30 à 40 connexions dans le village, par exemple via un réseau Wi-Fi. L’école et les élèves n’auraient donc pas à payer eux-mêmes pour leur connectivité.
Comme vous l’avez mentionné, les écoles hors ligne sont souvent situées dans des zones reculées. L’accès à internet ne risque-t-il pas de promouvoir une vision «occidentale» de l’éducation aux dépens d’apprentissages plus traditionnels?
La connectivité est une priorité absolue pour les 193 États membres des Nations unies. Bien entendu, préserver les connaissances locales est essentiel pour l’ONU. Chez Giga, nous nous concentrons sur l’accès à une connectivité de base plutôt que sur le contenu. Cependant, de nombreuses autres agences onusiennes, telles que l’UNICEF et l’UNESCO, s’occupent des questions liées au contenu et à la protection des enfants en ligne. Il reste indéniable que garantir à chaque personne un accès sûr et abordable à internet d’ici 2030 est un objectif universel.
Giga compte des partenaires tels que la Fondation Musk, Ericsson et Dell. Ces entreprises se serviraient-elles de cette initiative pour étendre leur marché aux régions sous-développées?
L’UIT travaille avec tous les acteurs, incluant les gouvernements, les entreprises, la société civile, les universitaires et d’autres experts techniques. Le secteur public à lui seul n’a pas les moyens d’appliquer tous ces changements. Les entreprises profitent-elles de cette occasion pour promouvoir leurs activités? Sans doute. Toutefois, des garde-fous sont en place, tels que les principes d’impartialité et de neutralité de l’UIT. Nos accords de partenariat précisent clairement que nous ne favorisons aucune technologie ou approche spécifique.
Quelles sont les prochaines étapes? Êtes-vous confiant d’atteindre votre objectif d’ici à 2030?
La grande nouveauté cette année sera l’ouverture du Centre de connectivité globale à Genève (Giga Global Connectivity Centre), qui offrira des ateliers à travers un centre d’apprentissage et élaborera des stratégies de financement. L’année dernière, nous avons également ouvert un centre technologique à Barcelone, où travaillent nos ingénieurs. Ces nouveaux quartiers généraux sont un bond dans la bonne direction; nous espérons obtenir des résultats concrets d’ici 2027.
Votre tout premier Forum de connectivité Giga (Giga Connectivity Forum) se tient actuellement à Genève. Quels résultats espérez-vous obtenir?
Pour la première fois, tous les pays impliqués dans le projet Giga se réunissent. Environ 70 représentants gouvernementaux de 25 pays participent au forum, ainsi que des experts locaux et internationaux. Notre objectif est de permettre à la communauté d’échanger, d’évaluer les progrès et de présenter les différents outils sur lesquels nous avons travaillé à l’UIT. C’est aussi l’occasion de souligner le rôle de la Genève internationale pour combler la fracture numérique.
Texte relu et vérifié par Imogen Foulkes/dos, traduit de l’anglais par Rachel B. Häubi/dbu