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Les Suisses disent un oui franc et «historique» à la 13e rente AVS – SWI swissinfo.ch

Les partisans de l'initiative pour une 13e rente AVS à l'annonce des résultats.


Les partisans de l’initiative pour une 13e rente AVS à l’annonce des résultats.


PETER SCHNEIDER/© KEYSTONE/ PETER SCHNEIDER

L’initiative lancée par la gauche et les syndicats pour améliorer le pouvoir d’achat des seniors a été acceptée dimanche, avec un score qui a surpris jusque dans le camp du oui.

La 13e rente AVS, l’une des deux initiatives populaires sur lesquelles les Suisses ont voté ce dimanche, a été acceptée sans ambiguïté. Le texte visant à octroyer aux personnes retraitées un 13e mois de rente par an a obtenu 58,2% de oui.

L’autre initiative soumise au vote, qui réclamait le relèvement de l’âge de la retraite de 65 à 66 ans, a quant à elle subi un revers:

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Avec la réforme, la rente de vieillesse annuelle maximale augmentera ainsi de 2450 francs pour les personnes seules, pour atteindre 31’850 francs, et pourra s’élever jusqu’à 47’775 francs pour les couples, soit une hausse de 3675 francs.

La majorité des cantons a été dépassée, et la Suisse romande fait figure de championne du oui. Le Jura arrive en tête des avis favorables avec 82%, suivi de Neuchâtel (78%), Genève (75%), Vaud (74%), Fribourg (72%) et le Tessin (71%). Le Valais se situe lui à près de 65% de oui.

Une fois n’est pas coutume, il n’y a pas eu de «Röstigraben», c’est-à-dire de fracture notable entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. La majorité des cantons outre-Sarine a aussi accepté le texte, le plus fort taux d’approbation se trouvant à Bâle-Ville (64%). Seuls huit cantons alémaniques ont refusé le texte, le plus fort rejet a été enregistré en Appenzell Rhodes-Intérieures (68,5% de non).


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La participation s’est élevée à 58%, en forte hausse par rapport aux votations récentes. Avant même la fermeture des bureaux de vote, il était déjà clair que le sujet avait fortement mobilisé. A la parution du dernier sondage SSR il y a dix jours, le politologue de gfs.bern Lukas Golder prédisait que le niveau de participation serait décisif dans l’issue du vote.

Une victoire «historique» saluée

Ce résultat est inédit à double titre: jamais une initiative sur l’AVS n’avait été acceptée par le peuple, et c’est aussi la première fois que les syndicats passent le cap des urnes sur un thème fondateur de la gauche.

«Je suis très heureux pour les centaines de milliers de personnes qui ont beaucoup travaillé toute leur vie, qui vivent aujourd’hui avec de petits revenus et auront une reconnaissance concrète de la population de notre pays», a réagi Pierre-Yves Maillard, le président de l’Union syndicale suisse (USS) et porte-drapeau de la campagne pour la 13e rente, au micro de swissinfo.ch.

La co-présidente du Parti socialiste Mattea Meyer s’est réjouie d’une victoire qui «compensera la perte de pouvoir d’achat des retraité-es». «Nous vivons un dimanche historique, se sont pour leur part félicité les Vert-e-s. Dans son communiqué, le parti écologiste voit dans ce résultat un «carton rouge» adressé aux partis bourgeois et la preuve que «les électeurs veulent une Suisse plus sociale».

L’Association de défense des retraité-e-s Avivo a salué elle aussi une victoire «historique». «Ce scrutin démontre (…) que les tentatives de fracture générationnelle générées au niveau national par les partis de droite n’ont pas pris racine, souligne l’organisation dans un communiqué. Au contraire, de nombreux jeunes ont témoigné de leur solidarité à l’égard de leurs parents et leurs grands-parents.»

Rien ne semblait gagné

Dès le début de la campagne, l’initiative a recueilli un large soutien de la population. Dans un contexte d’inflation et d’augmentation du coût de la vie, les nombreux témoignages de personnes retraitées en difficultés financières ont trouvé de l’écho et la proposition des syndicats a séduit bien au-delà du camp de la gauche.

Mais le texte n’a fait que perdre du terrain dans les enquêtes d’opinion, faisant planer jusqu’à la fin le doute sur ses chances d’aboutir, bien qu’il récoltait encore 53% d’avis favorables lors du dernier sondage SSR.

Les arguments brandis et les moyens investis par les adversaires de l’initiative – les partis de droite et du centre, ainsi que les principales organisations économiques du pays – avaient de quoi faire mouche auprès d’une partie de la population.

Durant la campagne, le camp du non a dénoncé le caractère non ciblé de la mesure, et insisté sur le fait que la rente supplémentaire serait forcément financée sur le dos de la population active. De fait, l’opposition au texte a progressé de 8 points entre le premier et le deuxième sondage réalisés par gfs.bern, pour atteindre 43% d’avis défavorables et 4% d’indécis début février.

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Le président de l’USS lui-même admet avoir été agréablement surpris par la «clarté» du résultat de dimanche. Selon Pierre-Yves Maillard, c’est «la réalité sociale» qui a fait la différence. «Les rentes du 2e pilier ont énormément baissé ces vingt dernières années, a-t-il relevé, alors que les charges fixes n’ont pas cessé d’augmenter et que la crise du pouvoir d’achat est brutale.»

Autocritique à droite

Le Vaudois a aussi fustigé l’absence de réponses proposées par la majorité politique à ces problématiques. La droite n’a pas voulu proposer de contre-projet au texte des syndicats et, sur les ondes de la RTS, le député libéral-radical vaudois Olivier Feller a reconnu qu’elle avait peut-être pêché par excès de confiance.

«La droite ne peut s’en prendre qu’à elle même et doit assumer ses responsabilités», a pour sa part estimé la conseillère nationale genevoise UDC (droite conservatrice) Céline Amaudruz. «Nous n’avons jamais été capables de donner des réponses par rapport à l’AVS, aux coûts de la santé», a reconnu la vice-présidente du parti. «Il fallait évidemment un contre-projet sur ce sujet, a-t-elle ajouté. A dire non à tout sans faire de propositions, voilà le résultat qui tombe.»

Pour leur part, les organisations patronales ont affiché leur mécontentement. Surprise par l’ampleur du oui, la directrice d’economiesuisse Monika Rühl a dit s’inquiéter de la disparition du contrat social entre les générations tandis que pour l’Union suisse des arts et métiers (USAM), le verdict des urnes place «la plus grande oeuvre sociale de Suisse» (l’AVS, ndlr) devant des problèmes de financement plus importants.

L’initiative devra être mise en œuvre au plus tard d’ici 2026. Le Conseil fédéral et le Parlement vont maintenant devoir en définir les modalités.

La 13e rente doit-elle être versée chaque mois ou une fois par an? Comme c’est souvent le cas pour les initiatives populaires, le texte ne dit rien de l’application concrète et se borne à énoncer le principe d’un 13e mois de retraite, qui représentera une hausse de 8,33% de la rente.

La loi garantit que cette augmentation n’entraînera ni la réduction ni la perte des prestations complémentaires.

La question du financement sera centrale. Pour les syndicats, qui soulignent qu’il y a près de 50 milliards dans les caisses de l’AVS, rien n’empêcherait d’introduire la réforme sans délai dans un premier temps. La droite l’exclut, rappelant que l’AVS sera dans le rouge en 2031 au plus tard .

Une option serait une hausse de la cotisation salariale des employeurs et des employés, de 0,4% chacun; un relèvement de la TVA de 8,1 à 9,1% est une autre une possibilité, ou un dosage entre ces deux mesures. La part versée par la Confédération à l’AVS pourrait aussi être augmentée, au risque de devoir opérer des coupes ailleurs, selon le Conseil fédéral.

Une mesure plus populaire auprès de la 5e Suisse

La diaspora helvétique s’est distinguée pendant toute la campagne par son soutien plus marqué à l’introduction d’une 13e rente AVS. Dans la deuxième enquête d’opinion SSR, malgré une baisse de 12 points par rapport à janvier, les Suisses de l’étranger se disaient encore favorables à l’initiative à 68%.

La Cinquième Suisse a aussi été, à son corps défendant, un important thème de campagne. Le parti de droite conservatrice UDC (Union démocratique du Centre) a présenté les Suisses passant leur retraite à l’étranger comme un exemple type des personnes qui «profiteraient» le plus du système, puisqu’ils et elles toucheraient davantage d’AVS tout en étant déjà, selon l’UDC, avantagés par des coûts de la vie plus bas dans leurs pays d’accueil.

Il sera intéressant de savoir comment la Cinquième Suisse a finalement voté sur cet objet après ce que certains membres de la diaspora ont qualifié de «campagne de dénigrement».

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg