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La «Nouvelle Vague» horlogère: de jeunes créateurs plutôt sages et bons élèves – SWI swissinfo.ch

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Thomas Kern / swissinfo.ch

La bonne santé de l’industrie horlogère suisse ne se mesure pas seulement à l’aune des exportations qui volent de record en record, mais également à celle de l’émergence de nouvelles marques fondées par des jeunes créateurs et entrepreneurs. Notre journaliste spécialisé Alexey Tarkhanov est parti à la rencontre de cette nouvelle scène horlogère.

La véritable «Nouvelle Vague» arrive

Mais depuis quelques années, Rexhep Rexhepi n’est plus seul. De nouveaux noms émergent sur le marché horloger. «On peut citer Guillaume Laidet chez Nivada Grenchen et Vulcain, Étienne Malec chez Baltic ou encore Andrea Furlan chez Furlan Marri: tous font partie d’une nouvelle génération d’entrepreneurs de l’horlogerie», énumère Serge Maillard, journaliste et éditeur de la revue spécialisée Europa Star.

Nicolas Freudiger, co-fondateur de la marque éco-responsable ID Genève, qui a réussi à attirer Leonardo DiCaprio parmi ses investisseurs, figure sans aucun doute sur cette liste. C’est le cas également de Julien Tixier, qui réalise des pièces exceptionnelles dans son atelier de la Vallée de Joux, ainsi que de Simon Brette, dont le Chronomètre Artisans a été distingué comme «Révélation Horlogère» lors de la dernière édition du Grand Prix de Genève, en 2023.

Alors que l’industrie horlogère compte déjà plus de trois cents marques estampillées «swiss made», comment expliquer la recrudescence de nouveaux venus sur un marché souvent considéré comme saturé?

«Une partie de la clientèle manifeste une grande frustration envers les maisons horlogères établies, qui ne cessent d’augmenter leurs prix et ne parviennent pas à communiquer avec le nouveau public», estime Guillaume Laidet, jeune entrepreneur et passionné d’horlogerie.

Les artisans de la «Nouvelle Vague» ciblent deux segments d’acheteurs distincts: les collectionneurs passionnés et le grand public amateur de montres. Le premier, à l’instar d’Akrivia, s’adresse aux riches connaisseurs en quête d’originalité et de qualité qu’ils ne trouvent plus forcément auprès des grandes maisons, ces dernières réservant leurs pièces les plus exclusives à un cercle fermé d’acheteurs fidèles et historiques.

Kari Voutilainen


Kari Voutilainen dans son atelier du Chapeau de Napoléon, au-dessus de Fleurie.


Céline Stegmüller / swissinfo.ch

Patek Philippe est particulièrement connu pour sa rigueur envers les acquéreurs de ses pièces les plus rares: tout comme pour obtenir un sac Hermès, il faut mériter ce privilège. Face à ces pratiques, les nouveaux riches de la jeune génération préfèrent alors s’adresser directement aux créateurs du même âge.

L’avènement d’Internet a rendu leur travail plus visible. «Nous avons dû nous échiner durant des décennies à expliquer ce que nous faisions. Eux se contentent de mettre leur projet sur Instagram et des dizaines de personnes accourent vers eux en criant ‘Take my money!’», affirme Maximilian Büsser, horloger et fondateur de la marque MB&F.

Reste qu’une jeune marque ayant produit quelques merveilles peut disparaître aussi rapidement qu’elle est apparue, laissant derrière elle des montres fantaisistes hélas irréparables. Néanmoins, des amateurs de montres sont prêts à assumer ce risque par curiosité ou par leur désir de soutenir l’évolution de l’horlogerie.

Nouveaux créateurs pour nouveau public

La volonté de faire revivre des marques suisses tombées dans l’oubli a poussé Guillaume Laidet à acquérir Nivada Grenchen et Vulcain. Il a relancé la première, fondée en 1926, en 2020, et la seconde, née en 1858, en 2021. Il regrette de ne pas avoir pu ajouter à sa collection Universal Genève, une autre belle au bois dormant récemment rachetée par Breitling.

Maximilian Büsser


Maximilian Büsser, fondateur de la marque MB&F.


MB&F

Sa stratégie se démarque de celles de la plupart des horlogers: au lieu de produire des montres extrêmement chères en très petite quantité, il crée des montres mécaniques accessibles au grand public. Les nouvelles marques opèrent plutôt dans l’e-commerce mais restent animées par les valeurs et le savoir-faire suisse, ce qui se manifeste par l’aspect souvent «vintage» de leurs collections.

Ce positionnement de «bons élèves» de l’horlogerie contraste avec la scène des années 2000. Dans les cas extrêmes, cela peut s’apparenter à de l’imitation, voire à de la contrefaçon: en reproduisant les best-sellers de la noblesse horlogère, certains néo-horlogers mettent leur propre nom sur des cadrans qui pourraient appartenir à Patek Philippe ou Rolex.

Ce phénomène étonne les créateurs horlogers du début du millénaire, qui se voyaient plutôt comme des rebelles au sein de la branche. «Je ne comprends pas pourquoi, au lieu de dynamiter les codes comme nous l’avons fait, ils se contentent de les suivre de près», avance Felix Baumgartner, co-fondateur d’Urwerk. En effet, dans les publicités, on a parfois l’impression de faire face à des produits qui sont le résultat d’une intelligence artificielle (IA) à qui on aurait demandé: «Crée-moi une montre qui rassemble tous les classiques suisses».

«Nous ne travaillons pas avec l’IA, sourit Guillaume Laidet. Nous ne sommes pas des opportunistes, nous étudions les catalogues de l’époque pour y trouver des inspirations les plus fidèles à l’image de telle ou telle marque». Il estime que ses marques s’adressent à toutes les générations, des jeunes amateurs aux collectionneurs aguerris. «Mais nous sommes tous d’accord sur un point: la nouvelle vague horlogère correspond à une nouvelle génération de clients. Cela confirme que la montre classique reste à la mode, en toutes circonstances», dit-il.

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

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