La Centovallina célèbre son centenaire
La ligne ferroviaire Centovallina relie la Suisse à l’Italie en traversant 83 ponts et 31 tunnels: il s’agit du trajet le plus direct entre les lignes du Gothard et du Simplon. Ce légendaire chemin de fer à voie étroite du sud de la Suisse célèbre son centenaire en 2023/24.
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Jusqu’au début du XXe siècle, aucune route partant de Locarno ou de Domodossola ne permettait de rejoindre la vallée des Centovalli depuis le val Vigezzo, ni inversement. Seul un sentier muletier reliait les deux vallées jusqu’à l’ouverture d’une route en 1907.
Une voie de chemin de fer fut alors également envisagée. Le syndic de Locarno, Francesco Balli (1852-1924), l’enseignant Andrea Testore (1855-1936) et l’ingénieur Giacomo Sutter (1873-1939) furent les principaux initiateurs de ce projet, et réussirent à obtenir de la Banque Franco-Américaine son financement. Les Ferrovie Regionali Ticinesi (FRT) furent fondées en Suisse en 1909, suivies en 1912 par la Società Subalpina di Imprese Ferroviarie (SSIF) en Italie.
Les travaux prirent du retard: la banque connut des difficultés en 1913 avant de faire faillite. Au-delà des problèmes financiers, la Première Guerre mondiale freina également le projet, avec l’appel au font des travailleurs après l’éclatement du conflit en 1915 en Italie. En 1918, la Suisse et le Royaume d’Italie conclurent une conventionLien externe, toujours en vigueur à l’heure actuelle, établissant les droits et les devoirs des deux États et de leurs sociétés de chemin de fer respectives.
Tramway de Locarno et Valmaggina
La région étant flanquée de gorges et de ravins, y faire passer une ligne de chemin de fer était une entreprise ambitieuse qui nécessita la construction de nombreux tunnels et viaducs. Outre les ponts de pierre du Val d’Ingustria, du Rio graglia et du Ribellasca, le pont d’Intragna qui enjambe l’Isorno et le pont de Ruinacci à Camedo figurent parmi les ponts métalliques les plus spectaculaires de Suisse.
Il fallut construire des tunnels et revoir le système d’électrificationLien externe de certaines sections ferroviaires. La Centovallina partageait la voie ferrée avec le tramway de Locarno entre Ponte Brolla et la gare, ainsi qu’avec la Valmaggina sur la ligne Locarno-Ponte Brolla-Brignasco. La voie ferroviaire de la «Valmaggina» fut construite en 1905 afin de relier les carrières de la vallée à la ligne ferroviaire du Gothard et à la navigation sur le lac Majeur.
La FRT prit les deux sociétés à bail et abandonna l’électrification initialement en courant alternatif au profit du système de courant continu de la Centovallina. Dans le cadre de son grand chantier de transformation, la société acheta deux locomotives à vapeur des Chemins de fer rhétiques (RhB), ainsi que la locomotive à vapeur «Salève» de Genève. L’inauguration solennelle du chemin de fer à voie étroite eut lieu le 25 novembre 1923 avec la motrice électrique fabriquée à Milan par Carminati & Toselli.
Source d’espoir pendant la Seconde Guerre mondiale
Au début de la Seconde Guerre mondiale, la ligne de la Centovallina continua de fonctionner, bien que les liaisons internationales soient presque entièrement interrompues, et la fréquence des trains considérablement réduite. La circulation des personnes étant fortement limitée par le rationnement du carburant, cette situation fut profitable à la FRT, qui vit le nombre de ses usagers augmenter.
La frontière suisse eut une importance décisive dans la destinée de nombreux réfugiés civils, partisans, déserteurs et troupes étrangères opprimées. Le trafic de marchandises, de personnes et d’armes prit des proportions jamais vues. La plupart du temps, il se faisait au passage de cette frontière naturelle, tandis que certaines activités de contrebande – qui n’aboutissaient pas toujours – avaient lieu sur le trajet de la Centovallina.
Le 18 septembre 1943, les autorités suisses mirent un terme à cette maigre circulation internationale après l’effondrement de l’Italie. Le 10 septembre 1944, des groupes de partisans italiens réussirent à repousser les troupes fascistes et proclamèrent la République d’OssolaLien externe à la frontière suisse, qui dura 44 jours.
En octobre de la même année, des dizaines de milliers de personnes s’enfuirent dans les cantons du Valais et du Tessin pendant cette période tourmentée, particulièrement après la reconquête de la région par les troupes fascistes. Nombre de ces personnes rejoignirent Locarno grâce à la Centovallina et furent ensuite hébergées dans des camps de réfugiés ou des familles d’accueil tessinoises.
Projets d’infrastructure et orage du siècle
En plus du nombre croissant d’usagers après la Seconde Guerre mondiale, le transport de marchandises enregistra une forte demande jusqu’au début des années 1950. Le volume dépassa parfois 100 000 tonnes par année en raison du transport de matériaux destinés aux projets de centrales hydrauliquesLien externe de la vallée de la Maggia, ainsi qu’à la construction du barrage de Palagnedra.
Une rénovation complète de la voie ferrée s’imposa après un quart de siècle de fonctionnement. La FRT fusionna avec la Valmaggina en 1952. Le tramway de Locarno, en mauvais état, fut remplacé par des autobus au milieu des années 1950, avant d’être définitivement mis à l’arrêt en 1960. La société changea son nom un an plus tard en Ferrovie e Autolinee Regionali Ticinesi (FART) pour y intégrer les lignes d’autobus. Ce mode de transport s’imposa également dans la vallée de la Maggia: la Valmaggina fit son dernier trajet de Bignasco à Locarno le 28 novembre 1965.
Le matériel roulant ferroviaire de la Centovallina fut remplacé à la fin des années 1950, et les caténaires furent intégralement remplacées du côté suisse. Du côté italien, le retard technologique était toujours plus évident, les poteaux des caténaires étant par exemple pour la plupart constitués de bois de châtaignier tordu. La Centovallina put être rénovée dans les années 1970 grâce à l’aide de la Suisse.
Les travaux à peine terminés, un orage d’une rare violence éclata du côté italien les 7 et 8 août 1978: une partie de la voie ferrée fut emportée sur plusieurs centaines de mètres entre Re et Olgia, trois ponts s’effondrèrent, et de nombreux ouvrages d’art furent endommagés. Les sections concernées purent uniquement être remises en état grâce aux efforts inlassables de l’équipe de génie civil ferroviaire, et le 28 septembre 1980, la circulation fut complètement rétablie sur la ligne.
Un projet d’infrastructure de grande envergure vit ensuite le jour du côté suisse. À Locarno, le terminus de la Centovallina n’était plus compatible avec l’animation qui régnait sur la place de la gare. Une solution se dessina: creuser un tunnel de 2,59 km reliant S. Antonio à Muralto et construire une gare souterraine. Cette section, qualifiée de «mini-métro» de Locarno, engloutit environ 130 millions de francs au lieu des 38 millions estimés. Elle fut inaugurée le 17 décembre 1990.
L’une des plus belles lignes ferroviaires du monde
Le train qui relie Locarno à Domodossola (baptisé «Centovallina» côté suisse et «Vigezzina» côté italien) serpente au cœur d’un panorama impressionnant de paysages naturels et de terres aménagées. La voie ferrée longe des gorges profondes, des fleuves, des montagnes enneigées, des cascades, des forêts de châtaigniers, des vignobles et des prairies en fleurs. Plusieurs musées et sentiers de contrebandiersLien externe témoignent de l’existence modeste et du quotidien difficile d’antan, notamment le Musée du ramoneur à Santa Maria Maggiore.
Avec ses presque 900 mètres d’altitude, ce village aux ravissantes places, aux ruelles étroites et aux bâtiments typiques se trouve au point culminant de la ligne ferroviaire. Mais, au-delà de la beauté de l’environnement, cette ligne reste tout simplement un moyen rapide de rejoindre Berne ou la Suisse romande depuis le Tessin.
Et comme le progrès va bon train, il est à présent nécessaire de répondre aux exigences actuelles de la Loi sur l’égalité pour les personnes handicapées: fin 2020, la FART a commandé huit nouvelles rames automotrices au constructeur Stadler Rail. Les premiers trains devraient arriver en 2024.
Jean-Luc Rickenbacher est historien et conservateur au Musée Suisse des Transports à Lucerne.
L’article original sur le Blog du Musée national suisseLien externe