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«C’est une honte que des retraités suisses doivent compter chaque centime» – SWI swissinfo.ch

Faut-il verser une rente supplémentaire de l’assurance vieillesse aux Suisses ou les faire travailler un an de plus? Les deux invités de notre débat filmé Let’s Talk ont débattu de l’avenir des retraites, au cœur des votations fédérales du 3 mars.

«Mon mari a perdu son travail d’ingénieur à l’âge de 55 ans. Il n’a pas réussi à retrouver un travail après deux années de chômage. Nous avons alors décidé d’émigrer en France, car il était devenu difficile financièrement de vivre en Suisse», explique Claudine Tüscher. Le couple de Suisses a ainsi émigré en France en 2001, où il peut vivre uniquement de sa rente de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS).

Comme Claudine Tüscher, beaucoup de Suisses décident d’émigrer à l’âge de la retraite, souvent pour des raisons financières. Les rentes versées à l’étranger sont en augmentation, comme le montre le graphique ci-dessous. Si la plus grande partie de celles-ci vont à des travailleuses et travailleurs étrangers qui rentrent au pays pour leurs vieux jours, les Suisses de l’étranger à la retraite ont perçu au total 152 millions de francs en 2022.  


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Parmi les retraités qui restent en Suisse, la majorité parvient à subvenir à ses besoins. 300’000 personnes vivent toutefois sous ou près du seuil de la pauvreté, selon l’organisation Pro Senectute.

«L’AVS n’est pas un libre-service»

Pour éviter que les seniors soient contraints à l’exil ou basculent dans la précarité, l’Union syndicale suisse (USS) demande d’introduire une treizième rente de l’AVS, soit une sorte de treizième salaire pour les retraités. Le texte qui sera soumis au peuple suisse le 3 mars prochain se heurte cependant à l’opposition de la droite et des milieux patronaux.

«Cette initiative promet un meilleur avenir à la retraite, mais elle n’est pas finançable», estime le responsable romand de l’Union patronale suisse (UPS), Marco Taddei. Il souligne que si rien n’est entrepris, l’AVS sera déficitaire à partir de 2031, et cela sans l’introduction d’une rente supplémentaire.

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«L’AVS n’est pas un libre-service. On ne peut pas puiser dans ses réserves», martèle le représentant de l’UPS. À ses yeux, une treizième pension de retraite obligera la Confédération à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les cotisations sociales au détriment des consommatrices et des consommateurs ainsi que des personnes actives.

«Une honte pour un pays riche»

«Cette initiative repose sur le principe de l’arrosoir. Elle prévoit une 13e rente pour tout le monde, également pour les millionnaires», dénonce encore Marco Taddei. Le représentant de l’UPS plaide au contraire pour une optimisation des prestations complémentaires, qu’il considère comme le 4e pilier du système de retraite suisse. 

«Il y a des personnes qui perçoivent déjà les prestations complémentaires, mais qui doivent tout de même compter chaque centime. Et pour un pays qui se situe parmi les plus riches du monde, c’est juste la honte», estime de son côté Pierre-Yves Maillard, conseiller aux Etats socialiste et président de l’Union syndicale suisse (USS). «Ce genre de situation est à déplorer. Mais la grande majorité des retraités se portent bien grâce à notre système», rétorque Marco Taddei.

Pierre-Yves Maillard dénonce le double discours des milieux patronaux. Il affirme que la réforme du système des prestations complémentaires entrée en vigueur au 1er janvier 2024 a exclu 80’000 personnes du droit à cette aide ciblée, en raison notamment du seuil de fortune maximal nouvellement défini. «Que les milieux patronaux nous disent maintenant qu’ils veulent améliorer les prestations complémentaires, ça fait juste rire», dit-il.

+ Notre article explicatif sur l’initiative pour une 13e rente AVS

La retraite à 66 ans divise

Pierre-Yves Maillard et Marco Taddei sont tout aussi irréconciliables sur la seconde initiative soumise à votation le 3 mars. Le texte, lancé par les Jeunes libéraux-radicaux, prévoit de relever l’âge de la retraite à 66 ans jusqu’en 2033, puis de le lier à l’espérance de vie.

«L’âge de la retraite fixe ne doit plus être un totem. Si on a l’envie et la santé, on peut travailler au-delà de 65 ans», estime Marco Taddei. La hausse progressive de l’âge de la retraite est une mesure inéluctable pour faire face à l’accroissement de l’espérance de vie et à la pénurie de main-d’œuvre, avance le représentant de l’UPS. «2033, ce n’est pas demain, on a le temps de se préparer à cette réforme», ajoute-t-il.

«Le vrai but de cette initiative est de baisser massivement les rentes, puisque l’âge de référence qui donne droit à une rente pleine est repoussé. Sous prétexte de vouloir stabiliser le système, la droite tente de démolir l’un des plus beaux édifices que la Suisse ait créés et qui repose sur la solidarité entre générations», dénonce de son côté Pierre-Yves Maillard.

+ Notre article explicatif sur l’initiative qui demande un relèvement de l’âge de la retraite à 66 ans

37% des actifs travaillent au-delà de 65 ans

Le président de l’USS estime par ailleurs que la hausse de l’âge de la retraite n’aura que peu d’impact sur l’intégration des seniors sur le marché du travail: «Quand on a plus de 55 ans, postuler pour une place de travail, c’est la croix et la bannière. Ces personnes sont souvent forcées de partir à la retraite avant, parce qu’elles n’en peuvent plus ou n’ont pas d’autres solutions».

Pierre Triolo en a fait l’expérience. Ce Suisse expatrié en République tchèque s’est retrouvé au chômage deux ans avant la retraite et n’a pas retrouvé de travail. «Comme j’étais en fin de droit, je suis parti à l’étranger pour ne pas devoir recourir aux prestations complémentaires», témoigne-t-il.

+ Toucher sa retraite suisse à l’étranger, est-ce profiter du système?

Marco Taddei reconnaît que les personnes de plus de 50 ans ont davantage de difficultés à retrouver un emploi lorsqu’elles se retrouvent au chômage. «Mais il faut tordre le cou à l’idée qu’à partir de cet âge, il y a un problème sur le marché du travail. Le taux de chômage dans cette catégorie d’âge est de 2,1% et plus d’un tiers des actifs continuent à travailler au-delà de 65 ans», avance-t-il.

Des chiffres qui ne convainquent pas Pierre-Yves Maillard: «Vous ne trouverez l’exemple de Monsieur Triolo dans aucune statistique. Au-delà de 60 ans, beaucoup de personnes ne supportent plus de demander le chômage ou d’autres prestations sociales. Alors elles se débrouillent, prennent leur deuxième pilier ou leur retraite anticipée et vivent dans la pauvreté. Et parfois, elles sont contraintes de s’expatrier».