Affaire Magnitsky: comment la Suisse a échoué à enquêter sur des millions russes suspects
Pourquoi et comment des millions de francs, soupçonnés d’être issus d’une affaire internationale de fraude fiscale russe, n’ont-ils pas fait l’objet d’une investigation en Suisse? SWI swissinfo.ch a mené l’enquête.
- Une rencontre fortuite
- Une enquête suisse discréditée
- De l’argent frais sur d’anciens comptes
- Des questions en suspens
1. Une rencontre fortuite
Février 2021. Il est 10 heures du matin, un jour de semaine. La gare de Bâle, plateforme importante en termes de transport international, est inhabituellement vide. Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 contraignent les pendulaires et les touristes à rester à la maison.
Mais tout le monde n’est pas chez soi. Un septuagénaire aux cheveux argentés est plongé dans ses pensées. Il semble apprécier le silence et le calme qui l’entourent: aucun bruit dans la salle des guichets, pas de conversations téléphoniques; pas même la fumée d’une cigarette électronique ne saurait troubler sa tranquillité. Ses yeux se posent sur la fresque murale que l’artiste suisse Ernst Hodel a peinte dans le hall de la gare voici près d’un siècle. L’œuvre panoramique représente la ville de Lucerne, au bord du lac des Quatre-Cantons, à la lumière du petit matin.
«Monsieur Gross? Vous êtes bien Monsieur Gross? Vous avez entièrement raison», lance une voix féminine inconnue. Le politicien suisse Andreas Gross se retourne et découvre une femme d’une cinquantaine d’années, qui semble soulagée de ne pas l’avoir confondu avec quelqu’un d’autre. Après s’être présentée comme la sœur de Vinzenz Schnell, elle explique que son frère est un admirateur de la Russie depuis l’enfance, raison pour laquelle il s’en prend à lui. Elle dit ne pas comprendre les agissements passés et actuels de son frère, ni la manière dont il traite Andreas Gross. Elle n’en revient pas non plus que le procureur général de la Confédération d’alors, Michel Lauber, ait confié le dossier russe à son frère. Plus elle y réfléchit, moins elle comprend.
Andreas Gross, qui nous raconte cette rencontre fortuite, est l’une des rares personnes contactées dans le cadre de nos recherches à avoir répondu à notre demande d’interview.
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Le frère de cette dame, Vinzenz Schnell, officiellement engagé par l’Office fédéral de la police (fedpol), travaillait en réalité pour le compte du Ministère public de la Confédération (MPC) sur des affaires liées à la Russie.
Une enquête du journal indépendant russe Novaïa Gazeta a révélé les réunions de Vinzenz Schnell avec des fonctionnaires russes dans des restaurants suisses haut de gamme ainsi que de nombreux voyages en Russie dans des cadres luxueux.
Selon Vinzenz Schnell, sa direction insistait sur le fait que ces rencontres informelles étaient nécessaires pour recueillir des informations dans le cadre d’enquêtes «particulièrement importantes» en lien avec la Russie que menait la Suisse.
La mission de Vinzenz Schnell consistait à enquêter sur des soupçons de blanchiment d’argent russe en Suisse. Il supervisait le volet suisse de l’«affaire Magnitsky» – du nom de l’avocat russe Sergueï Magnitsky, décédé dans une prison moscovite en 2009 dans des circonstances suspectes alors qu’il enquêtait sur une vaste affaire de fraude au détriment du Trésor russe.
En 2016, l’ancien parlementaire socialiste Andreas Gross, qui a rédigé en 2013-2014 un rapport sur la mort de Sergueï Magnitsky pour le Conseil de l’Europe, a été convoqué à un interrogatoire par le MPC. Vinzenz Schnell l’a interrogé durant une journée entière. Selon Andreas Gross, l’objectif de cet interrogatoire était de le discréditer lui, ainsi que son rapport.
Jugé en Suisse en 2019 pour un voyage officieux en Russie, Vinzenz Schnell a déclaré au tribunal que l’enquête suisse concernant l’affaire Magnitsky aurait dû être close depuis longtemps. À cette fin, il était nécessaire de «discréditer» le rapport d’Andreas Gross et de «le démasquer», a affirmé Vinzenz Schnell à la cour.
«Mon meilleur ami [l’ancien conseiller aux États et procureur général du Tessin décédé en décembre dernier] Dick Marty m’a dit que je n’étais pas obligé de me présenter à l’interrogatoire de Vinzenz Schnell, raconte Andreas Gross. Mais j’ai ressenti qu’ensemble nous pourrions découvrir la vérité, alors j’ai accepté.»
Prologue
Le volet suisse de l’affaire Magnitsky a été classée par le Ministère public en 2021. Dans sa décision, le MPC a déclaré que «l’instruction n’a[vait] pas permis d’établir de soupçonLien externe justifiant la mise en accusation d’une personne en Suisse».
Dans le cadre de son enquête, le MPC avait gelé 18 millions de francs (20 millions de dollars) sur des comptes bancaires suisses appartenant à trois citoyens russes: Vladlen Stepanov, époux d’Olga Stepanova, une haut fonctionnaire du fisc russe; Dmitry Klyuev et Denis Katsyv.
Ces trois personnes auraient tiré un profit financier de la fraude et auraient reçu de l’argent sur leurs comptes en Suisse. Le MPC leur a confisqué quatre millions de francs et restitué les 14 millions restants, justifiant sa décision en indiquant qu’il n’avait été possible de prouver un lien qu’entre une partie des biens saisis en Suisse et le délit commis en Russie.
Sergueï Magnitsky avait découvert que 230 millions de dollars au total avaient été volés au Trésor russe. Il a révélé publiquement la fraude alors qu’il représentait son client Hermitage Capital Management, à l’époque le plus grand fonds d’investissement en Russie. Puis il a été arrêté par les mêmes fonctionnaires russes qu’il avait accusés d’être impliqués dans la fraude.
L’avocat d’affaires a passé près d’un an en détention provisoire. Il est décédé en novembre 2009 en prison, après avoir été battu par des gardiens. Les autorités russes ont accusé à titre posthume Sergueï Magnitski, ainsi que le PDG et fondateur d’Hermitage Bill Browder, d’être les instigateurs de l’affaire de fraude et d’évasion fiscale. Un jugement très critiqué. En 2010, Sergueï Magnitsky a reçu à titre posthume le prix de l’intégrité décerné par Transparency International pour sa lutte contre la corruption. En janvier 2014, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution intitulée «Refuser l’impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitsky».
À la suite de cette affaire, des sanctions internationales ont été prononcées à l’encontre des fonctionnaires russes soupçonnés d’être impliqués dans le décès de l’avocat fiscaliste. De plus, une nouvelle législation permettant de punir des personnes et des entités responsables de graves violations des droits humains a été adoptée. La loi dite Magnitsky a d’abord été introduite aux États-Unis en 2012, puis en Europe, au Royaume-Uni, au Canada et en Australie notamment. La Suisse ne l’a jamais adoptée.
Hermitage Capital Management, qui, selon le ministère américain de la Justice, a été victime du scandale de la fraude russe, a ouvert des enquêtes dans tous les pays où les fonds détournés auraient été blanchis.
En Suisse, une procédure pénale pour blanchiment d’argent a été ouverte en 2011 par le MPC à la suite d’une plainte de Hermitage Capital Management. Le fonds s’est constitué partie civile et a participé à l’enquête.
Celle-ci a été clôturée dix ans plus tard. La décision finale a suscité les doutes de spécialistes du blanchiment d’argent du monde entier, notamment parce que la Suisse n’a confisqué qu’un quart des fonds gelés et a restitué les trois quarts restants aux trois citoyens russes.
La Suisse est le seul pays à avoir décidé de remettre à la Russie les fonds prétendument détournés. En juin 2023, la commission américaine Helsinki, qui promeut les droits humains et la sécurité militaire dans 57 pays, a demandé que des sanctions américaines soient imposées à l’ancien procureur de la Confédération Michael Lauber, à Patrick Lamon, qui était responsable de l’affaire Magnitsky en Suisse, et à Vinzenz Schnell. Le Département fédéral des affaires étrangères et le MPC ont rejeté toutes les accusations de la commission Helsinki. Une décision finale des États-Unis est attendue.
swissinfo.ch a pu avoir accès à la décision du MPC par l’intermédiaire d’un tiers. Nous avons également analysé des documents judiciaires suisses et chypriotes ainsi que des comptes bancaires liés à l’affaire. Au total, nous avons épluché plus de 400 pages de documents provenant de diverses sources juridiques et financières, autant suisses qu’internationales.
Les documents montrent que, en sus de la somme initiale de 18 millions de francs faisant l’objet de l’enquête, dix millions de dollars supplémentaires prétendument détournés du Trésor russe ont abouti sur deux comptes bancaires en Suisse appartenant à deux citoyens russes de premier plan.
Les deux transferts ont un rapport avec Dmitry Klyuev, que les autorités américaines considèrent comme le cerveau de la fraudeLien externe. À l’époque, cet homme était titulaire de sept comptes entreprise et d’un compte privé auprès de UBS Suisse. Les comptes entreprise ont été fermés entre 2010 et 2011.
Ces transferts, ainsi que tous les comptes de Dmitry Klyuev, étaient connus des autorités suisses, comme le montrent des documents officiels. Ils n’ont pourtant jamais fait l’objet d’une enquête. swissinfo.ch a effectué des recherches sur l’origine de ces dix millions de dollars oubliés, sur la manière dont ils sont parvenus en Suisse et sur les raisons pour lesquelles ils n’ont jamais fait l’objet d’une enquête de la part du Ministère public. Les fonds appartenaient au sénateur russe Dmitry Savelyev et au banquier d’affaires russe Igor Sagiryan.
Toutes les devises mentionnées dans cet article sont celles qui figurent dans les documents originaux.
Les techniques de détournement de fonds utilisées dans l’affaire Magnitsky ont été décrites en détail par des journalistes de Novaya Gazeta, un journal russe, et de l’OCCRP, un consortium de journalistes internationaux. Des policiers russes ont confisqué des documents et les sceaux d’entreprise des filiales russes du fonds Hermitage Capital Management, une société d’investissement britannique, et les ont ensuite utilisés pour réenregistrer la propriété sous un autre nom. Par la suite, une série d’autres sociétés écrans, créées par les mêmes individus, ont présenté des demandes de remboursement fictives à l’encontre des «filiales» volées de Hermitage. Jouant à la fois le rôle de partie plaignante et défenderesse, ces personnes ont convaincu des tribunaux d’arbitrage russes de rendre des décisions qui ont entraîné d’énormes pertes sur papier, annulant complètement le revenu initial. Ensuite, munis de documents «prouvant» que la société n’avait dégagé aucun bénéfice, les auteurs ont déposé une demande officielle de remboursement d’un montant de 230 millions de dollars, précédemment versé au Trésor russe sous la forme d’un impôt sur le revenu. L’argent ainsi obtenu a ensuite été transféré hors du pays via un réseau de comptes offshore.
2. Une enquête suisse discréditée
Les 230 millions de dollars détournés du Trésor russe ont été disséminés à travers l’Europe grâce à un réseau complexe de sociétés écrans et de comptes bancaires dans des juridictions suspectes.
Au total, 18 millions de francs ont été gelés dans les banques helvétiques Credit Suisse et UBS entre 2011 et 2013. Près de la moitié de ce montant – 8,4 millions d’euros (8 millions de francs) déposés chez Credit Suisse – appartenait à Vladlen Stepanov. Son épouse de l’époque, Olga Stepanova, était une haut fonctionnaire du fisc à Moscou. C’est elle qui a autorisé la plupart des déclarations fiscales frauduleuses en 2007.
Le reste de l’argent séquestré appartenait à deux autres ressortissants russes: Denis Katsyv (8,2 millions de dollars chez UBS et à la banque Rothschild) et Dmitry Klyuev (37’000 dollars chez UBS).
Dissimuler l’origine des fonds
Le blanchiment d’argent intervient en trois étapes. La première, appelée placement, consiste à injecter des fonds frauduleux dans le système financier, notamment dans des banques et compagnies d’assurance ainsi que sur les marchés boursiers. Vient ensuite l’empilement: l’argent est viré sur plusieurs comptes de sociétés écrans pour dissimuler son origine illicite. La dernière étape est l’intégration: les fonds criminels atteignent leur destination, et finissent sur un compte bancaire ou sont dépensés, pour acquérir des biens immobiliers par exemple.
Tous les fonds détournés du Trésor russe ont été empilés au moins quatre ou cinq fois avant d’atteindre leur destination finale, que ce soit en Suisse ou ailleurs.
L’empilement rend les enquêtes sur le blanchiment d’argent difficiles. Les résultats dépendent de la collaboration entre les organismes chargés de l’application de la loi dans les différents pays. L’argent potentiellement détourné peut également se mêler à des fonds licites, ce qui complique l’analyse de leur origine par les autorités de régulation.
En Suisse, pour retenir un cas de blanchiment d’argent, le MPC doit tout d’abord prouver qu’une infraction préalable (crime ou délit fiscal qualifié) a été commise. Deuxièmement, que les avoirs issus de cette infraction pourraient être confisqués. Troisièmement, que la personne ayant commis l’infraction a intentionnellement commis un acte visant à empêcher la confiscation de ces avoirs. Enfin, que cette personne savait ou aurait dû savoir que les fonds étaient d’origine frauduleuse.
Dans sa décision finale, le MPC a justifié le classement de son enquête sur l’affaire Magnitsky ainsi: «L’instruction n’a pas permis d’établir de soupçon justifiant la mise en accusation d’une personne en Suisse». «Néanmoins, […] un lien entre une partie des valeurs patrimoniales sous séquestre en Suisse et l’infraction préalable commise en Russie a pu être démontré».
Sur la base d’une «méthode de calcul proportionnelle», le MPC a déclaré que quatre millions de francs précédemment gelés seraient confisqués, tandis que le reste «ne pouvait pas être retracé jusqu’au budget russe».
Cela signifie que l’autorité a estimé le montant des fonds dilués à chaque niveau d’empilement pour calculer la somme devant être confisquée de manière définitive.
Des spécialistes jugent cette méthode de calcul trompeuse.
«Si ce que les procureurs affirment ici est exact, alors nous [la Suisse] serions le paradis par excellence du blanchiment d’argent. Peut-être sommes-nous effectivement le paradis du blanchiment d’argent», déclare Mark Pieth, ancien membre du Groupe d’action financière du G7 sur le blanchiment de capitaux et ex-chef de la section Droit pénal économique de l’Office fédéral suisse de la justice.
Et d’ajouter: «S’il existe des indices montrant que l’argent provient d’une source illégale, il faut le bloquer.»
Dans la même décision, le MPC a retiré à Hermitage Capital Management sa qualité de «partie lésée», lui retirant par la même le droit de s’opposer à la décision de restituer la majorité des avoirs gelés aux trois citoyens russes.
Le MPC a conclu que la seule victime de la fraude commise en Russie était le Trésor russe. Cette conclusion concorde avec le discours des autorités russes et va à l’encontre de celle du ministère américain de la Justice.
Hermitage Capital Management a fait appel de la décision auprès du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, mais a été débouté.
En décembre 2022, le fonds a fait appel auprès du Tribunal fédéral à Lausanne. Ce dernier n’a pas encore rendu son arrêt.
Une décision controversée
La décision suisse a été largement critiquée lorsqu’elle a été rendue, s’agissant autant de la restitution des fonds à la Russie que du retrait à Hermitage Capital Management de sa qualité de partie plaignante. Ces conclusions vont à l’encontre de celles des autorités américaines, canadiennes et britanniques, qui ont imposé des sanctions à Vladen Stepanov et à Dmitry Klyuev.
«L’argent d’origine illicite doit être confisqué, que la victime soit l’État russe ou Hermitage Capital Management», relève Mark Pieth.
«Dans les deux cas, le MPC aurait eu le devoir de le bloquer et de le conserver. L’ancien procureur général de la Confédération entretenait des relations relativement bonnes avec son homologue russe. L’affaire n’a pas été gérée de manière vraiment appropriée», poursuit-il.
Les liens étroits qu’entretenait l’ancien procureur général de la Confédération, Michael Lauber, avec des responsables russes ont été largement évoqués dans les médias suisses et internationaux. Il s’agissait notamment de dîners opulents, de parties de chasse et de vols en jets privés payés par les autorités russes, ainsi que de la minimisation des cas de blanchiment d’argent par des fonctionnaires russes.
Michael Lauber a dirigé l’enquête sur l’affaire Magnitsky durant neuf ans. Il a quitté son poste en 2020 après une procédure de révocation sans précédent initiée par le Parlement. Son successeur, Patrick Lamon, dont les liens avec les autorités russes sont également connus, a poursuivi l’enquête jusqu’en mars 2021. Il a été remplacé par son adjointe Diane Kohler, laquelle a classé l’enquête quatre mois après son entrée en fonction.
Le procès de Vinzenz Schnell a révélé qu’il avait profité de ses relations avec des responsables russes pour participer à des parties de chasse financées par des oligarques. Il a été condamné pour acceptation d’un avantage.
3. De l’argent frais sur d’anciens comptes
swissinfo.ch a consulté l’intégralité de la décision du MPC, des documents juridiques accessibles au public, ainsi qu’une partie de la correspondance bancaire liée à l’enquête suisse.
Nos recherches montrent que dix millions de dollars supplémentaires, qui reposaient sur des comptes bancaires en Suisse, n’ont jamais fait l’objet d’une enquête par le MPC malgré ce que des spécialistes qualifient de signaux d’alerte évidents. Les fonds, transférés vers deux banques helvétiques, BSI LTD (Banca Svizzera Italiana, rachetée par EFG International en 2017) et Bordier & Cie, étaient liés à Dmitry Klyuev.
Dmitry Klyuev possédait plusieurs comptes bancaires chez UBS Suisse, notamment deux comptes entreprise et un compte privé. Entre 2008 et 2011, les fonds liés à l’enquête Magnitsky ont transité de ces comptes vers d’autres en Suisse qui n’ont pas été examinés par le MPC, malgré des mises en accusation antérieures portées contre Dmitry Klyuev en Russie.
Le lien avec Dmitry Klyuev
La fraude fiscale présumée n’était pas la première tentative de détournement de fonds de Dmitry Klyuev. En 2006, il a été condamné pour avoir tenté de voler les actions du géant russe Mikhailovsky GOK, l’une des plus grandes installations d’extraction et de traitement de minerai de fer de Russie. La presse russe a également associé son nom à une série de morts mystérieuses et de tentatives d’assassinat.
D’après une enquête du ministère américain de la Justice, Dmitry Klyuev a aussi été impliqué dans un autre détournement de fonds du Trésor russe pour un montant total de 107 millions de dollars en 2006. Ce vol présumé n’a pas été reconnu comme criminel par le gouvernement russe et n’a pas fait l’objet d’une enquête.
Dmitry Klyuev était alors propriétaire d’une petite banque moscovite, Universal Savings Bank, qui était au cœur de ses activités frauduleuses.
En 2015, Dmitry Klyuev a déclaré aux procureurs suisses avoir cédé en 2006 sa banque pour un million de dollars à une connaissance proche, l’homme d’affaires russe Semen Korobeinikov. Il dit avoir vendu cet établissement en raison de sa «réputation désespérément ternie». Semen Korobeinikov n’a pu ni confirmer ni infirmer les déclarations de Dmitry Klyuev. Il est décédé en 2008 après être tombé de la fenêtre d’un appartement en attique dans un immeuble en construction qu’il envisageait d’acheter à Moscou. Une enquête criminelle sur sa mort a été ouverte en Russie, avant d’être abandonnée.
Pour autant, à l’ouverture de ses nouveaux comptes chez UBS à Zurich en 2008, Dmitry Klyuev continuait à affirmer être l’unique propriétaire de Universal Savings Bank, la principale banque impliquée dans la fraude de 230 millions de dollars. Selon les documents déposés auprès du numéro un bancaire suisse, il n’a pas mentionné Semen Korobeinikov ni la vente de sa banque.
Cela montre qu’il exploitait encore cette structure pour ses crimes financiers présumés.
Le dossier du MPC et les documents bancaires rattachés à l’enquête montrent tous qu’un montant présumé de 14,5 millions de dollars liés à l’affaire de fraude russe a transité via les comptes de Dmitry Klyuev chez UBS Suisse.
Un total de 4,9 millions de dollars provenant de ses comptes entreprise et privés chez UBS ont été transférés vers l’un des comptes détenus par Altem Invest Limited à la banque FBME, sise à Chypre.
Une partie de ce montant a ensuite été virée à une autre société, Zibar Management Inc., titulaire d’un compte au sein de la même banque. Au total, les deux sociétés ont empoché 30,4 millions de dollars sur les 230 millions de dollars volés au Trésor russe, selon la plainte déposée par Hermitage Capital Management à Monaco.
Les documents officiels déposés par la banque FMBE auprès des autorités chypriotes et consultés par swissinfo.ch montrent que les deux comptes entreprise étaient associés à Dmitry Klyuev. Une partie de ces avoirs est restée en Suisse pour couvrir ses dépenses personnelles.
Entre 2007 et 2010, Dmitry Klyuev a viré 218’000 francs de son compte UBS à la Banque cantonale vaudoise pour l’éducation de son fils dans un internat international privé en Suisse. Après la fermeture du compte en 2011, les factures de l’internat ont été payées depuis les comptes FBME d’Altem Invest Limited en 2010-2011, puis l’année suivante depuis les comptes FBME de Zibar Management.
Selon les documents bancaires, Dmitry Klyuev a également utilisé en 2008-2009 son compte UBS suisse pour payer les factures médicales de son ex-femme, Olga Tamarkina, auprès d’une clinique privée genevoise.
Les documents du MPC montrent clairement que les procureurs suisses avaient connaissance de ces flux. Ils indiquent qu’après être sortis de Russie, les avoirs ont transité par la Moldavie, l’Ukraine et la Lettonie avant d’être crédités sur les comptes UBS de Dmitry Klyuev à Zurich. Les autorités suisses ont initialement gelé 37’000 dollars sur les comptes de Dmitry Klyuev. À l’issue de leur enquête, les procureurs helvétiques n’ont trouvé aucune raison de confisquer cet argent.
Investissement dans un hôtel de luxe
En septembre 2019, au moins deux millions de dollars provenant des comptes UBS de Dmitry Klyuev ont été virés vers un autre compte entreprise en Suisse. Ce dernier appartenait à Athina Corporation, une société enregistrée au Panama qui dispose d’un compte auprès de la banque privée genevoise Bordier & Cie. Selon l’enquête suisse, le bénéficiaire effectif de ce compte est Igor Sagiryan, un homme d’affaires russe.
Le nom d’Igor Sagiryan n’est pas nouveau dans l’affaire Magnitsky. Ses relations d’affaires avec Dmitry Klyuev datent d’avant la fraude. Dmitry Klyuev a été engagé en 2002 comme consultant auprès de la banque d’Igor Sagiryan, Renaissance Capital Group. Cet établissement a été identifié par le ministère américain de la Justice comme étant directement lié à l’affaire de fraude fiscale russe.
En 2023, une enquêteLien externe menée par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium international de journalistes, et Important Stories, un site Internet russe spécialisé dans le journalisme d’investigation, a révélé que les deux hommes d’affaires avaient investi une partie de l’argent détourné dans le luxueux Cap St Georges Hotel & Resort, à Chypre. Igor Sagiryan entretient également des rapports avec d’autres personnes liées à la fraude, parmi lesquelles les Stepanov. D’après une enquête interne de Hermitage Capital ManagementLien externe, ils ont effectué ensemble un voyage à Dubaï en 2008.
Contacté par swissinfo.ch, Igor Sagiryan s’est refusé à tout commentaire.
Les amis restent amis
L’enquête du MPC fait état d’un autre transfert de fonds lié à la Suisse. Huit millions de dollars sont apparus entre 2012 et 2013 sur les comptes entreprise du député russe Dmitry Savelyev et de sa femme Olga.
Les deux sociétés, Green Island Investors Corp et Roy Finance SA, possédaient des comptes auprès de la banque fondée à Lugano BSI LTD (devenue depuis EFG International), basée à Zurich. L’argent a été viré directement de Zibar Management Inc, l’une des sociétés liées à Dmitry Klyuev et disposant de comptes bancaires auprès de FBME à Chypre.
Depuis ce virement, Dmitry Savelyev a été sanctionné par les États-UnisLien externe, le Royaume-UniLien externe, l’Union européenneLien externe et la Suisse pour avoir voté en faveur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
C’est la première fois que le nom de Dmitry Savelyev est associé à l’affaire Magnitsky. Il s’agit du plus haut fonctionnaire soupçonné d’être impliqué dans la fraude. Son nom est bien connu en Russie: il a été membre de la Douma, la Chambre basse du Parlement russe, de 1999 à 2016, et est membre du Sénat depuis 2016.
swissinfo.ch a établi un lien potentiel entre Dmitry Klyuev et Dmitry Savelyev. Tous deux ont servi en Afghanistan, où il est fort probable qu’ils se soient rencontrés. En 1986, Dmitry Savelyev a été enrôlé par l’armée et a servi dans le Contingent limité des forces soviétiques en Afghanistan. Dmitry Klyuev s’y trouvait au même moment en tant que commandant d’une unité de reconnaissance. Les deux hommes ont reçu des distinctions militaires.
Les journalistes du média d’investigation Important StoriesLien externe, qui ont eu accès aux mêmes sources que swissinfo.ch, ont envoyé une demande d’interview à Dmitry Savelyev et à son épouse. Au moment où nous publions cet article, Dmitry Savelyev n’a pas répondu aux sollicitations.
La loi fédérale sur les banques impose aux établissements bancaires d’alerter les autorités en cas de soupçons de flux financiers illicites. Malgré sa condamnation en 2006 – un fait qui était de notoriété publique –, Dmitry Klyuev a continué à entretenir une relation bancaire avec UBS Suisse, à la fois en son nom et comme bénéficiaire effectif de diverses sociétés.
«Au final, c’est la banque qui assume la responsabilité de travailler avec tel ou tel client», déclare Ilya Shumanov, directeur de l’antenne russe de Transparency International, basée hors du pays.
«Nous avons connaissance de plusieurs exemples en Suisse d’employés de banque qui ferment les yeux lorsqu’il s’agit de personnalités politiques ou officielles, même si des problèmes sont apparus lors de l’analyse de l’origine des fonds.»
En Suisse, il n’existe pas de procédure standard que la clientèle doit suivre pour prouver l’origine de ses avoirs. Les documents qu’exigent les banques diffèrent d’un établissement à l’autre. Il peut s’agir d’une simple autodéclaration des clients et clientes. D’autres instituts financiers demandent des documents détaillés retraçant l’origine de leur patrimoine sur plusieurs décennies.
«Auparavant, les banques procédaient à une vérification rapide de leur clientèle sur Internet», explique Carlo Lombardini, professeur de droit à l’Université de Lausanne. «Aujourd’hui, elles sont nettement plus diligentes. Je dirais que ce qui était possible autrefois ne l’est plus aujourd’hui.»
swissinfo.ch a contacté UBS, EFG International et Bordier & Cie. Les trois banques se sont refusées à tout commentaire.
«Aucun oligarque russe ne franchit directement les portes d’une banque suisse, explique Ilya Shumanov. Il y a toujours une mise en relation par l’intermédiaire d’avocats locaux, de bureaux d’enregistrement offshore, de comptables et de sociétés qui gèrent toutes les opérations financières et les consultations fiscales en Suisse. Cette chaîne garantit le respect formel des normes de la banque suisse tout en créant une apparence de légalité quant à l’origine des avoirs.»
4. Des questions en suspens
Dans sa décision de 179 pages, le Ministère public de la Confédération énonce clairement pourquoi il n’a pas enquêté sur les comptes de Dmitry Klyuev en Suisse ainsi que sur les deux transferts vers des comptes appartenant à Dmitry Savelyev et à Igor Sagiryan.
Cette décision soulève des questions quant à la volonté de la Suisse d’enquêter sur un détournement de fonds présumé, confirment les avocats et spécialistes à qui swissinfo.ch a soumis le document. De possibles dysfonctionnements dans le cadre de l’enquête menée par le MPC sont pointés du doigt.
«Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les ministères publics en Suisse sont très politisés, particulièrement le MPC, déclare Giorgio Campá, avocat spécialisé dans le droit des affaires et la criminalité économique à Genève. Le public croit que nos autorités de poursuite pénale agissent de manière indépendante et impartiale, mais ce n’est pas le cas.»
Le MPC dit ne pas pouvoir «déterminer si [les comptes de Dmitry Klyuev] comprenaient des fonds provenant du Trésor russe», car «la complexité des schémas […] rend impossible le suivi des flux».
Cependant, la décision montre que les comptes UBS de Dmitry Klyuev ont été crédités par les mêmes sociétés écrans qui avaient viré des avoirs vers les comptes suisses des Stepanov. Lesquels ont fait l’objet d’une enquête et ont été en partie bloqués par le MPC.
Les deux sociétés écrans, Nomirex Trading Limited et Bristoll Export LTD, possédaient des comptes chez Trasta Komercbanka Latvia (la Banque centrale européenne a révoqué les licences de cette banque en 2018 pour non-respect des règles en matière de blanchiment d’argent). Elles ont simultanément transféré des fonds vers des sociétés liées à Dmitry Klyuev et à Vladen Stepanov.
Il est difficile de comprendre pourquoi le MPC considère que les transferts vers les comptes de Vladen Stepanov sont illicites car liés à l’affaire de fraude fiscale, tandis que ceux issus de la même source vers des comptes appartenant à Dmitry Klyuev sont qualifiés d’«impossibles à suivre».
«Si l’argent part d’abord en Suisse, puis est transféré à Chypre, et qu’il finit par revenir en Suisse sur des comptes entreprise à la BSI Bank sous une forme reconditionnée, il s’agit de blanchiment d’argent – et de la méthode habituelle pour blanchir de l’argent», commente Mark Pieth à propos de la décision du MPC de ne pas enquêter sur les comptes de Dmitry Klyuiev. «Mais quel est le rôle de la Suisse dans tout cela?»
En tant que professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Bâle, Mark Pieth a suivi l’affaire de près dès le début. Il a fourni un témoignage formel à la commission Helsinki sur la manière dont la Suisse a géré l’enquête.
«Je ne comprends tout simplement pas comment un procureur général sérieux a pu fermer les yeux, déclare Mark Pieth. C’est scandaleux. Déclarer que c’est trop complexe revient à dire que la Suisse est un paradis pour le blanchiment d’argent. Je peine véritablement à savoir si cette autorité accomplit son travail.»
Une «décision injustifiable»
Dans sa décision, le MPC affirme également que «les sociétés [de Dmitry Klyuev] effectuaient des transferts avant l’infraction». Cela suggère qu’une société qui existait avant qu’un crime présumé ne soit commis ne devrait pas faire l’objet d’une enquête.
Le MPC dit ne pas enquêter sur les comptes de Dmitry Savelyev chez BSI LTD, car ils ont été ouverts «près de trois ans et demi» après le détournement de fonds, et que Dmitry Savelyev et sa femme ne faisaient pas l’objet d’une enquête à l’époque.
«Par conséquent, il n’y a aucune raison de donner suite à la réquisition qui est rejetée», lit-on à propos de ces comptes dans la décision. Ce qui est incohérent avec la logique et les conclusions du MPC lui-même.
Ce dernier a confirmé que la société appartenant à Vladen Stepanov, Faradine Systems, a été fondée en mars 2010, soit deux ans et demi après la fraude. Malgré cela, c’est de ce compte bancaire que la Suisse a décidé de confisquer quatre millions de francs.
Le transfert de deux millions de dollars d’un des comptes entreprise UBS de Dmitry Klyuev vers celui d’Athina Corporation appartenant à Igor Sagiryan, et qui apparaît dans la décision, n’a pas non plus fait l’objet d’une enquête.
Le nom de Igor Sagiryan n’apparaît dans la décision du MPC qu’au travers d’une question adressée à Vladlen Stepanov pour déterminer si les deux hommes se connaissaient. Selon le document, Vladen Stepanov a répondu qu’il ne connaissait pas Igor Sagiryan.
Contacté, le MPC dit ne pas être en mesure de commenter une affaire tant qu’une procédure pénale est en cours.
«L’ordonnance de classement a été contestée par plusieurs parties impliquées, c’est pourquoi la compétence et donc les pouvoirs ont été transférés au Tribunal pénal fédéral et au Tribunal fédéral. Par conséquent, le pouvoir de communiquer dans ce contexte a également été transféré aux tribunaux», répond par courriel le MPC.
swissinfo.ch a contacté des avocats et avocates, des parlementaires ainsi que des professeurs et professeures de droit pour commenter la décision et les incohérences qu’elle soulève.
Au moment de la publication de cet article, seules quelques personnes avaient accepté de s’exprimer, publiquement ou de manière confidentielle. Lors d’échanges informels avec swissinfo.ch, des avocats et avocates ont dit préférer ne pas critiquer une décision du MPC.
«Cette décision semble juridiquement injustifiable, déclare pour sa part Giorgio Campá, avocat établi à Genève. Elle semble relever d’un classement ‘discrétionnaire’, interdit par l’article 7 du Code de procédure pénale suisse, qui consacre le caractère impératif de la poursuite. Les faits faisant l’objet d’investigations, surtout lorsqu’ils sont complexes, nécessitent un complément d’enquête à propos des éléments qui leur sont directement liés. Les procureurs ne peuvent pas décider de ‘détourner le regard’ alors qu’ils doivent être guidés uniquement par la recherche de la vérité.»
Les liens de Michael Lauber avec la Russie
L’ancien procureur général de la Confédération, Michael Lauber, qui a dirigé la majeure partie de l’enquête, était connu pour ses liens étroits avec la Russie. Son mandat (2011-2020) a été entaché par des allégations de dissimulation de cas de corruption russe. Il s’agit notamment d’une enquête sur l’ancienne ministre de l’Agriculture, Yelena Skrynnik, qui aurait transféré quelque 140 millions de dollarsLien externe sur des comptes bancaires suisses entre 2007 et 2012. Une autre enquête portait sur l’achat de biens immobiliers en Suisse par Artyom Chaika, le fils du procureur général russe Yury Chaika, qui faisait partie du cercle rapproché du président russe Vladimir Poutine. Les deux affaires ont été classées faute de preuves.
Michael Lauber n’a jamais fait l’objet d’une enquête formelle pour ces affaires.
Vinzenz Schnell était responsable des enquêtes liées à la Russie, y compris celle concernant l’affaire Magnitsky. Le journal russe Novaya Gazeta l’a qualifié de «conseiller du procureur fédéral (russe)». L’homme de Fedpol avait également des liens avec l’ancien procureur général adjoint de Russie, Saak Karapetyan – décédé depuis dans un accident d’avion -, ainsi qu’avec l’avocate Natalya Veselnitskaya, interrogée à propos d’une potentielle ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2014 et inculpée par le ministère américain de la Justice pour «obstruction à la justiceLien externe».
En 2017, fedpol a déposé une plainte contre Vinzenz Schnell pour «corruption» et autres délits en lien avec un voyage non officiel en Russie en 2016. Les charges ont été rétrogradées, en «acceptation d’un avantage sous forme de parties de chasseLien externe».
Contacté par l’intermédiaire de son avocat, Vinzenz Schnell n’a pas répondu à notre demande d’interview.
«Il existe un certain nombre de preuves d’une intervention significative des services secrets russes et du Parquet dans l’enquête suisse sur l’affaire Magnitsky», déclare Ilya Shumanov, directeur de Transparency International Russie.
«Nous doutions que les autorités suisses traiteraient cette affaire de manière impartiale. Il est évident que l’affaire Magnitsky aurait dû être une enquête importante pour la Suisse. Cela laisse à penser qu’il n’y a pas de volonté politique en Suisse d’enquêter sur de tels crimes», ajoute-t-il.
Michael Lauber a démissionné en 2020 «par respect pour les institutions démocratiques suisses», alors qu’il avait été mis en accusation par deux commissions parlementaires. Son retrait est survenu après son implication dans d’autres affaires très médiatisées, notamment une réunion non enregistrée avec Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale de football (FIFA).
En 2023, les poursuites pénales liées à cette réunion ont été abandonnées.
Les deux commissions parlementaires ont déclaré que Michael Lauber était soupçonné «d’abus d’autorité, de violation du secret de fonction et de favoritisme».
«En raison du secret de fonction, auquel je dois encore me conformer, je ne peux vous fournir aucune information en réponse à vos questions. Je ne commente pas les conjectures, les fausses accusations et les rumeurs diffusées par les médias. De même, je ne commente pas les évaluations de prétendus experts qui donnent des avis sans avoir connaissance des dossiers», déclare Michael Lauber dans un courriel adressé à swissinfo.ch par l’intermédiaire de son avocat.
Affaire à suivre…
En 2020, une enquête officielle sur Michael Lauber lancée par l’autorité de surveillance du MPC a déclaré qu’il avait «gravement violé ses obligations officielles et légales» et que, par son comportement, il avait «porté atteinte à la réputation du Ministère public de la Confédération».
Après la démission de Michael Lauber, les parlementaires suisses ont envisagé une réforme du MPC et commandé deux rapports. L’une des options étudiées était une réduction des pouvoirs du procureur.
«Les travaux de la commission en charge des tribunaux fédéraux et du MPC sont secrets. Néanmoins, des travaux sur la surveillance et les sanctions sont en cours. Un changement de direction a déjà eu lieu, avec une volonté claire du procureur d’appliquer rigoureusement la loi», indique Carlo Sommaruga, parlementaire suisse qui siège au sein de la commission judiciaire.
En juin 2023, l’autorité de surveillance du MPC a déclaré que, entre 2016 et 2020, la gestion des dossiers au sein du MPC avait été «lacunaire et obsolète». L’analyse de 6400 ordonnances de classement a révélé que trois procédures sur quatre avaient été clôturées sans que les personnes accusées aient été entendues. Dans le cas des enquêtes criminelles, une audition n’a eu lieu que dans une procédure sur dix.
Épilogue
«[Vinzenz Schnell] a eu un comportement pire qu’un interrogateur russe sous Staline, qui aurait été plus correct et plus poli avec moi qu’il ne l’a été», lâche Andreas Gross à propos de l’interrogatoire mené par l’homme de Fedpol.
«La seule différence est qu’en Russie j’aurais été jeté en prison ou dans un goulag en Extrême-Orient. Vinzenz Schnell, lui, ne pouvait pas faire cela.» Andreas Gross, aujourd’hui à la retraite, se rappelle s’être senti «totalement impuissant» à l’époque.
Membre du Conseil de l’Europe jusqu’en 2016, il y a été rapporteur pour la Russie de 2008 à 2014. Il a également été rapporteur sur les droits humains en Tchétchénie entre 2004 et 2007. Il a personnellement rencontré Vladimir Poutine en 2000 et a observé une demi-douzaine d’élections russes. Chargé de rédiger un rapport sur l’impunité des personnes responsables de la mort de Sergueï Magnitsky, il s’est rendu à Moscou à plusieurs reprises entre 2011 et 2013.
Andreas Gross n’a rencontré Michael Lauber qu’une seule fois à Berne, alors qu’il préparait son rapport sur la mort de Sergueï Magnitsky. «Je lui ai alors demandé s’il pouvait imaginer qu’en Russie les autorités fiscales elles-mêmes avaient volé l’argent des contribuables. Michael Lauber m’a répondu en être conscient.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/ds/gw/livm, traduit de l’anglais par Zélie Schaller/ptur