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2024 devrait sonner le glas du Salon de l’auto de Genève – SWI swissinfo.ch

En 2019, certains constructeurs n'y participaient déjà plus, mais l'exposition de Genève offrait tout de même un grand spectacle et attirait plus de 600'000 visiteurs.


En 2019, certains constructeurs n’y participaient déjà plus, mais l’exposition de Genève offrait tout de même un grand spectacle et attirait plus de 600’000 visiteurs.


© Keystone / Laurent Gillieron

Après trois annulations et un détour par le Qatar, le Salon de l’auto de Genève revient cette année dans la ville dont il porte le nom. Mais l’intérêt est faible. L’expert automobile Stefan Bratzel évoque sa tentative de renaissance et le nouvel ordre mondial de l’automobile.

En 1947, le Salon de l’automobile de Genève a été le premier événement international de l’industrie automobile à reprendre après la Seconde Guerre mondiale. Cette année, il est le dernier des grands salons à faire son retour sur son ancien site, après une pause due à la pandémie.

Entre 2020 et 2023, le Salon international de l’automobile de Genève a été annulé. En 2023, il a eu lieu au Qatar, en octobre au lieu du mois de mars habituel, en marge du Grand Prix de F1. Il a accueilli 180’000 visiteurs. 200’000 sont désormais attendus à Genève du 27 février au 3 mars.

Une image des temps heureux: en 1947, le Salon de l'automobile de Genève a fait son retour après une pause causée par la guerre et est rapidement devenu une attraction pour le public.


Une image des temps heureux: en 1947, le Salon de l’automobile de Genève a fait son retour après une pause causée par la guerre et est rapidement devenu une attraction pour le public.


Keystone / Str

Ce sont des chiffres modestes au regard des presque 120 ans d’histoire du salon. En 2005, près de 750’000 personnes avaient pris la route pour Genève.

En 2019 encore, alors que la star des salons avait déjà commencé à décliner et que certains constructeurs brillaient par leur absence, plus de 600’000 personnes avaient fait le déplacement.

Pour l’édition 2024, presque tous les constructeurs établis ont annulé leur participation. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir du salon? Et dans quelle direction se dirige cette branche en pleine tourmente, dont dépendent de nombreux sous-traitants en Suisse?

Nous avons parlé de ces bouleversements avec Stefan Bratzel, fondateur et directeur du Center of Automotive Management (CAM) à Bergisch Gladbach et l’un des plus grands experts automobiles d’Europe.

Stefan Bratzel


Stefan Bratzel est une voix qui compte dans le milieu automobile.


zVg

swissinfo.ch: On annonçait déjà la mort des salons de l’automobile il y a quelques années, puis il y a eu la pandémie. Aujourd’hui, de nombreux salons font pourtant leur retour. Y a-t-il encore un avenir pour eux ou s’agit-il des derniers soubresauts d’un format dépassé?

Stefan Bratzel: Je pense qu’il n’y a plus que quelques salons phares pertinents. Shanghai et Pékin sont pertinents. J’y ajouterais encore l’IAA en Allemagne tous les deux ans.

Ensuite, cela devient difficile, car le format des salons automobiles est de moins en moins adapté à notre époque.

Les constructeurs cherchent aujourd’hui d’autres canaux pour promouvoir leurs véhicules. Ils vont de plus en plus vers le public, et non plus l’inverse, avec des pop-up stores dans les centres-villes ou via les réseaux sociaux.

En outre, le paysage des salons s’est transformé. Les salons de l’électronique jouent un rôle parce que la voiture s’est petit à petit transformée en produit numérique.

Le salon de l’automobile de Genève était autrefois un rendez-vous incontournable de la branche. Désormais, presque tous les constructeurs établis se sont désistés, y compris les groupes automobiles allemands. Comment faut-il interpréter cela?

Les coûts élevés ne sont plus proportionnels aux bénéfices. Les constructeurs réfléchissent soigneusement à l’endroit où ils dépensent de l’argent.

Personnellement, j’ai toujours aimé me rendre à Genève parce que le salon était très compact. Mais le faible nombre d’exposants cette année va probablement marquer sa fin. Il pourrait aussi en être autrement, mais je ne vois pas comment pour l’instant.

L’année dernière, le salon de Genève a coopéré avec le Qatar pour organiser un événement spectaculaire – financé par l’État pétrolier – en marge du Grand Prix de F1. Cette année, le salon a lieu à Genève, dans le format d’un congrès sectoriel tourné vers l’avenir. Un concept est-il encore identifiable?

Je ne perçois aucune stratégie. L’année dernière, l’événement était au Qatar, cela peut se faire ainsi avec l’argent des pays du Golfe. Associer le salon à un congrès peut aussi avoir du sens, mais je ne sais pas si c’est viable et si le nombre de visiteurs sera suffisant.

Le caractère événementiel est aujourd’hui important, et il fonctionne plutôt à l’extérieur, mais à Genève, la saison n’est pas optimale pour cela. L’IAA de Munich, avec des expositions en centre-ville, a été un pas dans la bonne direction à cet égard.

Dans les périodes fastes, Genève était en quelque sorte le terrain neutre de la branche, les constructeurs des pays voisins, du Japon et des États-Unis s’y retrouvaient. Est-ce que la Suisse subit aujourd’hui le contrecoup de son manque d’influence en tant que pays sans marque automobile?

C’est en quelque sorte un avantage pour les Allemands. Si l’association de l’industrie automobile parvient à convaincre ses propres membres de participer au salon, on aura déjà fait beaucoup. De plus, l’Allemagne est le plus grand marché automobile d’Europe.

La Suisse avait une fonction intéressante à l’époque où les salons de l’automobile jouaient un rôle. Mais cette époque est révolue et je ne la vois pas revenir.

Admettons que le salon de l’auto soit maussade, comme on s’y attend. Dans quelle mesure est-il réaliste qu’il soit vendu en tant que marque événementielle au Qatar?

Je ne connais pas les implications financières. Si l’intérêt pour Genève est faible, je pourrais bien imaginer une vente – la question est de savoir s’il y a un acheteur.

En 2023, le Salon international de l'automobile de Genève a été hébergé par le Qatar et a attiré 180’000 visiteurs, dont certains très fortunés.


En 2023, le Salon international de l’automobile de Genève a été hébergé par le Qatar et a attiré 180’000 visiteurs, dont certains très fortunés.


Shaad Fotos

Le marketing de la branche a changé, les halls d’exposition ne produisent pas d’images vendeuses pour TikTok et Instagram. Internet est-il finalement le plus grand ennemi des salons automobiles?

La numérisation joue un rôle central dans la transformation, et dans la manière dont les constructeurs rencontrent leur public, avec des images, avec des éléments interactifs.

Il s’agit d’une question fondamentale: comment l’automobile change-t-elle? Quel est le nouveau paradigme?

Autrefois, la voiture était étroitement liée au statut et au design. Cela change actuellement de manière très marquée. Le marketing doit réagir à cette évolution. Pour certains clients, la voiture ne représente que la base de la mobilité.

Et puis il y a le segment supérieur. On sponsorise des tournois de golf ou de tennis, des régates, pour donner de la valeur à la marque. De nombreuses marques se sont vraiment perdues dans les grands salons, c’est pourquoi certaines ont cherché leurs propres plates-formes il y a des années déjà.

En Chine, les salons classiques semblent avoir encore un avenir.

Il existe différents stades de développement selon les pays. En Chine, nous parlons encore de première motorisation pour de nombreux clients. La numérisation est déjà très avancée. Mais nous verrons encore pendant quelques années les salons de l’automobile de Shanghai et de Pékin.

En Europe, tout va se focaliser sur un salon phare: l’IAA. Paris ne joue plus aucun rôle. Tous les autres salons ne jouent plus aucun rôle au niveau international. Ce sont de simples salons régionaux.

Les bouleversements dans le secteur automobile liés à la numérisation et au virage électrique secouent également les hiérarchies.

Sommes-nous à la veille d’un nouvel ordre mondial automobile dans lequel la Chine donne le ton?

Absolument. Lorsque je donne des conférences, je dépeins toujours le nouvel univers qui est en train de naître. Avec les nouveaux acteurs qui jouent un rôle dans l’ère électrique et numérique.

Tesla est bien établi. En Chine, ce sont BYD et MG qui vont certainement survivre. Les acteurs du big data ont également un rôle à jouer. Les fournisseurs établis comme Bosch doivent repenser leur rôle.

Evénementiel et «instagrammable», c'est ainsi que s'est présenté le Salon international de l'automobile de Genève au Qatar.


Evénementiel et «instagrammable», c’est ainsi que s’est présenté le Salon international de l’automobile de Genève au Qatar.


zVg

Les deux grands constructeurs chinois, BYD et MG Motor, seront présents au Salon de l’auto. On suppose qu’ils profitent du vide à Genève pour faire leur entrée sur le marché suisse.

C’est tout à fait possible. Les deux marques jouent déjà un rôle fort dans le monde entier et elles voudront également prendre de l’importance sur le marché européen. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain, elles doivent encore acquérir de l’expérience.

Mais, à l’instar de Hyundai il y a 20 ans, il y a des chances qu’elles obtiennent des parts de marché significatives avec leur propre valorisation en Europe.

L’exception à la règle: Microlino, un petit constructeur suisse est présent à Genève:

Relu et vérifié par Samuel Jaberg. Traduit de l’allemand par Emilie Ridard/ptur