Champions Cup : Mais pourquoi diable Antoine Dupont est-il détesté des supporters sud-africains ?
Antoine Dupont va enfin régler ses comptes avec l’hémisphère sud. Pour la première fois depuis 2017 et une lourde défaite du XV de France (35-12) à l’Ellis Park Stadium, le demi de mêlée fait son retour en Afrique du Sud pour affronter les Sharks en Champions Cup avec le Stade Toulousain, ce samedi. Et il est attendu de pied ferme.
« Dupont overrated »
Six jours avant le coup d’envoi, 70 % des places (environ 40.000) étaient déjà vendues pour cet affrontement entre les vainqueurs des deux dernières coupes « d’Europe ». « Les Sharks poussent pour le remplir, ça démontre que ce match est assez populaire », s’enthousiasme Jared Wright, journaliste sud-africain à Planet Rugby. « Pour l’instant, le taux de remplissage des stades en Afrique du Sud pour les matchs de Champions Cup, ce n’est pas la folie, rappelle de son côté l’ancien Toulousain et ex-international français Vincent Clerc. C’est l’occasion de faire démarrer cette compétition là-bas pour que ça ait du sens. » Quoi de mieux pour ça que de voir l’ennemi public Antoine Dupont se frotter au chouchou Grant Williams, Toto mais en mieux si l’on s’en tient au Twitter rugby sud-af, très actif sur les mots-clés « Dupont overrated » (« Dupont surcoté »).
Difficile de trouver un point de départ à l’aigreur australe envers le numéro 9 français, tout au plus sait-on qu’elle grandit à mesure que les performances du Toulousain sont saluées par les connaisseurs, incitant les supporters des Springboks à les atténuer, comme après le triplé en dix minutes d’Antoine Dupont contre Clermont pour son retour post-JO 2024 ou après son titre de joueur de l’année, catégorie rugby à 7.
L’Afrique du Sud en mal de reconnaissance individuelle
Les Sud-Africains sont intimement persuadés que leurs joueurs, pourtant double champions du monde en titre, sont sous-côtés (à l’inverse de Dupont), alors même que Pieter-Steph du Toit a soulevé à deux reprises le trophée de joueur de l’année (2019 et 2024). « Cela remonte à 1995, lorsque la Nouvelle-Zélande a attribué la défaite à une intoxication alimentaire, et peut-être plus encore », observe Jared Wright.
Le traumatisme déborde donc largement de l’anti-dupontisme primaire et frise souvent la caricature, comme si tous les honneurs leur revenaient de droit. Ils ont été nombreux à râler contre le titre d’entraîneur de l’année accordé à Jérôme Daret, coach de l’équipe de France championne olympique ou à s’en prendre à la joueuse américaine Ilona Maher, à qui l’on reproche d’être trop populaire.
« Ils sont juste vexés qu’on parle beaucoup moins de leurs joueurs alors que je pense que c’est plutôt flatteur pour eux de considérer qu’ils ont 23 mecs tellement forts et soudés qu’ils n’ont pas besoin d’avoir une superstar ou des joueurs très au-dessus du lot », analyse le fondateur du compte satirique Boucherie Ovalie. L’Afrique du Sud victime de sa toute-puissance ? Wright adhère à la théorie : « Souvent, lorsque vous regardez les statistiques après le match, il n’y a pas de joueur qui se distingue vraiment dans une catégorie. »
Mais il y a autre chose. Aussi puissant soit-il pour son gabarit, le Toulousain incarne par sa virtuosité l’antithèse de la force brute sud-africaine, secret de leur hégémonie mais aussi de leur impopularité selon le journaliste. « Les Springboks sont considérés comme de grosses brutes qui ne jouent pas un rugby divertissant, et cela dure depuis des années, fait-il remarquer. Ce sont des choses qui peuvent expliquer la posture victimaire de certains supporters. »
« Individuellement, Antoine a quelque chose de plus, sourit Vincent Clerc. Et je comprends que ça soit frustrant, c’est quand même un peuple très fier, qui a la gagne en lui et l’a prouvé avec ce titre de champion du monde. Maintenant, c’est une compétition un peu saine de se dire, »est-ce que nous, on n’est pas capables de montrer qu’on a les meilleurs joueurs du monde aussi ? » C’est aussi le petit jeu, mais ça ne m’étonne pas qu’ils soient vexés. »
Que doit faire Dupont pour réduire ses détracteurs au silence ?
Gagner dans l’hémisphère sud semble être un prérequis dans la mesure où il s’agit du principal argument des « antis », qui redoublent de rage et s’inventent un monde où Antoine Dupont les évite depuis l’annonce d’un XV de France remanié pour la tournée néo-zélandaise de l’été 2025. Dans l’imaginaire sud-africain mais aussi NZ, c’est dans le Sud que se joue le meilleur rugby et là où il faut faire ses preuves, pas dans la farmer’s league du nord. Les résultats des franchises sud-africaines en Coupe d’Europe ont pourtant de quoi les ramener à l’humilité. « Pour l’instant, à part les Sharks, qui peuvent un peu rivaliser, on voit que leurs autres équipes ne sont pas encore au niveau, note Vincent Clerc. Elles n’ont peut-être pas conscience du niveau des Européens et de l’importance de ces compétitions, notamment aux yeux des équipes celtes qui mettent toute leur énergie dans la Champions Cup. »
Les supporters sud-africains pourront toujours se raccrocher au palmarès de la Coupe du monde autant qu’ils le voudront, il y a un certain plaisir à voir Eben Etzebeth en personne chanter les louanges de l’hémisphère nord en parlant de la Champions Cup avec des étoiles dans les yeux, au micro du podcast du Times, « The Ruck ». « C’est de loin la plus grande compétition [de clubs] au monde. Au fil des années, le rugby sud-africain et les supporters vont se rendre compte de l’ampleur et de la valeur de ce titre. Si tu gagnes, tu as une étoile sur le maillot, c’est quelque chose d’énorme. »
Antoine Dupont l’a remporté deux fois, en 2021 et 2024, mais ce n’est jamais assez pour éteindre le feu de la mauvaise foi, surtout quand celle-ci à le luxe de pouvoir puiser ses forces dans un bilan trop léger du Goat en Coupe du monde, le domaine sud-africain par excellence. Sortir un gros match chez les Sharks ne suffira pas à couper le son mais serait un moyen pour Dupont de s’offrir un petit répit. Pour le reste, le chemin de la reconnaissance dans le Sud attendra 2027. D’ici là, les Toulousains et les Bleus devront composer avec les railleries sud-africaines.