Vivre avec la dialyse : Les défis quotidiens de près de 38.000 Marocains

Les maladies rénales toucheraient, en effet, plus de deux millions de Marocains. Invisibles à leurs débuts, elles évoluent souvent silencieusement jusqu’à un stade avancé. Selon le Pre Amal Bourquia, néphrologue et présidente de l’association «Reins», «les personnes atteintes ne ressentent aucun symptôme avant les stades avancés, d’où l’importance de dépister tôt afin d’intervenir à temps». Parmi les facteurs de risque, elle cite le diabète, l’hypertension artérielle, l’obésité et les antécédents familiaux.
La Journée mondiale du rein, célébrée ce jeudi 13 mars 2025 sur le thème «Détectez les maladies rénales tôt pour protéger la santé rénale», est une occasion de sensibiliser à l’importance du dépistage précoce et d’encourager une prise en charge efficace pour éviter ou retarder la dialyse.
«Le Maroc compte aujourd’hui près de 38.000 patients en hémodialyse chronique et une centaine en dialyse péritonéale, un chiffre en augmentation constante», précise le Pre Bourquia. Et d’ajouter que «le nombre de patients en hémodialyse au Maroc a connu une augmentation notable, passant de 162 patients par million d’habitants en 2004 à près de 1.200 dialysés par million d’habitants en 2024. Aussi, chaque année, environ 5.000 nouveaux cas atteignent le stade terminal de l’insuffisance rénale et doivent bénéficier d’une dialyse». Cette progression s’explique par la prévalence des maladies chroniques et l’amélioration du diagnostic. D’après la spécialiste, cette croissance est attribuée à plusieurs facteurs, notamment l’augmentation de l’incidence de maladies chroniques telles que le diabète et l’hypertension artérielle, qui sont les principales causes de l’insuffisance rénale chronique, l’allongement de l’espérance de vie, augmentant ainsi le nombre de personnes susceptibles de développer des maladies rénales chroniques et une identification plus précoce des patients nécessitant une dialyse.
La répartition inégale des centres de dialyse, un obstacle majeur à l’accès aux soins
Parmi les difficultés majeures rencontrées par les patients dialysés, l’inégale répartition des centres de dialyse entre le secteur public et privé, ainsi que les disparités régionales en termes d’accès aux soins figurent en tête. «En 2025, le Maroc compte 600 centres de dialyse, dont 440 dans le secteur privé et 160 dans le secteur public. Cette répartition déséquilibrée fait que les patients des zones urbaines et des grandes villes bénéficient de meilleurs services, tandis que ceux des zones rurales, souvent mal desservies, rencontrent de sérieuses difficultés pour accéder à ces soins essentiels. Cette inégalité dans la distribution des infrastructures limite considérablement l’accès à la dialyse pour une partie de la population», affirme la présidente de l’association «Reins».
Un quotidien difficile, entre contrainte médicale et répercussions sociales
En ce qui concerne la qualité des soins, la spécialiste souligne que même si le Maroc dispose d’un cadre réglementaire définissant les normes des centres de dialyse, des disparités subsistent. «Tous les patients devraient avoir accès à des soins conformes aux standards internationaux, avec un suivi personnalisé», plaide-t-elle. «En effet, des lois existent concernant les structures, l’équipement et le fonctionnement des centres de dialyse. Cependant, la qualité des soins varie considérablement d’un établissement à l’autre. Bien que chacun s’efforce de fournir les meilleurs soins possibles, compte tenu du coût élevé de ce traitement de substitution, il demeure essentiel que tous les centres respectent des normes strictes afin de garantir une prise en charge optimale et homogène pour tous les patients».
Questions à la professeure en néphrologie, dialyse et transplantation, présidente de l’association «Reins»
Pre Amal Bourquia : «La détection précoce des affections rénales est cruciale, mais elle est freinée par une connaissance limitée des facteurs de risque»

Le Matin : Le Maroc dispose-t-il d’un nombre suffisant de néphrologues et de personnel médical spécialisé pour assurer un suivi optimal des patients dialysés ?
Pre Amal Bourquia : Le Maroc compte 600 néphrologues, dont une grande majorité exerce dans le secteur privé. Cependant, des disparités régionales importantes persistent, notamment avec une concentration élevée de médecins dans l’axe Casablanca-Rabat, comme c’est le cas pour de nombreuses autres spécialités médicales. Certaines régions restent ainsi largement sous-dotées en personnel médical spécialisé, soulignant l’urgence de mettre en place une carte sanitaire afin d’assurer une répartition plus équitable des médecins. En ce qui concerne le personnel médical spécialisé, le déficit est considérable, et le niveau de qualification varie fortement. Il est donc impératif d’investir davantage dans le développement de formations et la création d’équipes compétentes pour améliorer la couverture médicale dans tout le pays.
Quelles solutions préconisez-vous pour améliorer l’accès et la qualité des soins en dialyse ?
Tout d’abord, la qualité des soins dépend en grande partie de la formation du personnel. Il est crucial de recruter davantage d’infirmiers spécialisés et de leur offrir une formation de qualité afin d’assurer une prise en charge optimale des patients. Parallèlement, il est nécessaire de travailler à réduire le nombre de patients nécessitant une dialyse en mettant l’accent sur la sensibilisation et la prévention, notamment vis-à-vis des maladies chroniques courantes telles que le diabète et l’hypertension artérielle. Il est également essentiel d’accompagner les malades avant qu’ils n’atteignent le stade terminal de l’insuffisance rénale, en assurant un suivi et une prise en charge adéquats pour prévenir les complications et permettre aux patients d’arriver en dialyse dans les meilleures conditions possibles.
Quelles sont les principales causes de l’insuffisance rénale au Maroc ? Y a-t-il un manque de prévention ?
Les principales causes de l’insuffisance rénale chronique (IRC) au Maroc sont le diabète et l’hypertension artérielle non contrôlée, qui endommagent les vaisseaux sanguins des reins, entraînant ainsi une insuffisance rénale. Les glomérulonéphrites, si elles ne sont pas traitées de manière appropriée, peuvent également évoluer vers une IRC. Par ailleurs, certaines maladies génétiques, comme la polykystose rénale, augmentent le risque d’IRC, tout comme des infections rénales répétées qui peuvent progressivement détériorer la fonction rénale.
Malgré la gravité de la situation, plusieurs défis subsistent en matière de prévention. Le dépistage des maladies rénales reste insuffisant, en raison notamment de l’absence de programmes systématiques de dépistage. La détection précoce des affections rénales est cruciale, mais elle est freinée par une connaissance limitée des facteurs de risque et des symptômes de l’IRC, tant chez les patients que chez les professionnels de santé. Les disparités régionales dans l’accès aux soins compliquent davantage la prise en charge précoce des maladies rénales, et l’absence de suivi régulier des patients à risque, notamment ceux souffrant de diabète ou d’hypertension, retarde souvent le diagnostic et le traitement appropriés.
Pour améliorer la prévention de l’IRC, il est impératif de renforcer les programmes de dépistage, d’intensifier les campagnes de sensibilisation, de garantir une formation continue des professionnels de santé et d’assurer un accès équitable aux services médicaux dans toutes les régions du pays.