Une émission de télé-réalité invitant à faire le parcours d’un réfugié scandalise le Royaume-Uni
«Retourne d’où tu viens ». Ou « Go Back to Where You Came From », selon le titre original. Cette nouvelle émission de téléréalité est diffusée depuis lundi soir sur Channel 4 au Royaume-Uni. Le concept ? Proposer à six citoyens britanniques « aux opinions bien arrêtées », dixit le communiqué de presse, de se mettre dans la peau d’une personne exilée en tentant de rallier l’Angleterre depuis la Syrie ou la Somalie. « Leur voyage révélateur changera-t-il les cœurs et les esprits ? », s’interroge la chaîne.
Sous couvert de bonnes intentions et d’une démarche pédagogique, cette adaptation, en six épisodes, d’un format australien, utilise des drames humains à des fins de divertissement télévisuel. Elle tend aussi un micro à des participants qui, pour certains, tiennent des propos racistes ou islamophobes. Aussi, outre-Manche, des médias qualifient ce programme de « profondément embarrassant » et « presque insupportable par moments ».
Une traversée de la Manche en canot pneumatique
Concrètement, « Go Back to Where You Came From » propose à deux groupes de rallier le Royaume-Uni, l’un depuis Raqqa, en Syrie, l’autre depuis Mogadiscio, en Somalie. L’idée avancée est de comprendre le chemin périlleux et les risques encourus par les personnes réfugiées. La dernière étape du périple consiste en une traversée de la Manche en canot pneumatique, là où de nombreuses morts ont été déplorées ces dernières années.
Les six participants ont des opinions variées. Certains sont favorables à l’accueil de réfugiés, d’autres y sont profondément opposés. « Dans dix ans, la Grande-Bretagne sera remplie de personnes portant des burkas. L’Islam aura pris le dessus », lance ainsi une participante face caméra. Dave, qui figure lui aussi au casting, va jusqu’à comparer les personnes réfugiées à des « rats ». « Si vous laissez de la nourriture dehors, ils continueront à venir », dit-il. Il suggère également d’installer des mines afin d’empêcher les embarcations d’approcher des côtes britanniques.
« Une plateforme idéale […] pour les opinions racistes »
Alisa Pomeroy, la responsable des documentaires et du divertissement factuel de Channel 4, reconnaît que « des opinions difficiles [sont] exprimées dans la série, ce qui rendra le visionnage inconfortable pour certains », rapporte The Guardian. Mais, selon elle, pour « pouvoir remettre en question – et lutter contre – ces opinions, nous devons être capables de les diffuser. »
Dans un article de Metro, une journaliste dénonce la façon dont cette émission « offre une plateforme idéale aux gens pour exprimer joyeusement leurs opinions racistes ». « Nous n’avons pas besoin d’une émission de télévision […] pour nous rappeler les insultes et les menaces bien réelles auxquelles nous sommes confrontés depuis des années dans notre vie quotidienne », souligne-t-elle.
« Vous ne pouvez pas imiter l’expérience de la guerre »
Outre-Manche, plusieurs médias ont dénoncé les différentes facettes problématiques de ce programme, dont la perpétuation de clichés xénophobes ou encore l’exploitation du vécu des réfugiés et le fait « d’alimenter le récit selon lequel chacun doit prouver son histoire traumatisante pour donner à sa vie une quelconque valeur », note Metro.
Le traitement de ce sujet par le biais du divertissement pose aussi question. « Je voulais rendre cela plus accessible. Beaucoup ne regarderaient pas un documentaire traditionnel sur le sujet », se défend la productrice Emma Young.
De son côté, Amnesty International déplore le concept du programme. Idem pour l’organisation caritative Care4Calais. « Vous ne pouvez pas imiter l’expérience de la guerre, de la torture, de la persécution et de l’esclavage moderne à travers le prisme aseptisé de la télé-réalité, déclare son directeur au Times. Aucun participant ne sera jamais confronté au besoin déchirant de quitter son domicile parce qu’il n’y est pas en sécurité. Ils ne seront pas non plus confrontés à la menace imminente d’une mort violente. »
Comme le rapportait le journal L’Humanité récemment, plus de 40.000 exilés sont morts en Méditerranée depuis 2014.