France

« On jette le fœtus et on doit faire comme si de rien n’était »… La douloureuse banalisation des fausses couches

Toutes les minutes et demie, une femme vit une fausse couche en France. Magali, Marine, Lucie et Clara en font partie. Certaines sont déjà mères, d’autres n’y parviennent pas. Mais toutes dénoncent la banalisation par des soignants de cet événement qui les a pourtant profondément marquées, aussi bien physiquement que mentalement.

Pour Aurélie, enceinte de presque trois mois au moment de son arrêt de grossesse, l’annonce a été faite de façon brutale. « Lors de l’échographie de contrôle, on m’a simplement annoncé qu’il « n’y avait pas d’activité cardiaque », et qu’il « valait mieux ça qu’un handicapé ». Alors que je commençais à avoir les larmes qui coulaient, il m’a été demandé de me rhabiller et de rejoindre la salle d’attente, bondée de femmes enceintes. »

« Ce manque d’empathie est vraiment terrible »

Magali, 42 ans, a également très mal vécu son passage aux urgences. « En me faisant passer l’échographie, le gynécologue ne me regardait quasiment pas. Il m’a simplement dit « il n’y a presque plus rien ». » Tentant de digérer l’information, Magali lui demande un certificat pour pouvoir faire du télétravail. Il lui répond « ah bon ? » « Je lui ai expliqué que je ne me voyais pas perdre du sang au bureau, et il a fini par accepter en écrivant sur le certificat “à la demande de la patiente.” Ce manque d’empathie est vraiment terrible. »

Ce qui a particulièrement choqué Marine, qui a fait deux fausses couches après ses deux premiers enfants, c’est le fossé abyssal entre la banalité de l’annonce et son vécu. « Après m’avoir annoncé que le cœur ne battait plus, l’interne m’a fait son discours automatique : soit vous allez l’évacuer naturellement en ressentant comme de fortes règles, soit avec un médicament, soit via une aspiration. » Pourtant, ce qui est arrivé ensuite ne ressemblait en rien à des menstruations. « J’ai eu une grosse poche d’eau qui a éclaté. Je me suis ruée aux toilettes et j’ai vu un embryon, avec deux yeux noirs, dans ma culotte. » Paniquée, elle jette l’embryon dans la cuvette, tire la chasse d’eau et nettoie le sang dans les toilettes pour ne pas choquer ses amies, avec qui elle est alors en week-end. « C’est fou de se dire qu’on jette le fœtus, on tire la chasse, et qu’on doit faire comme si de rien n’était », appuie Clara, 32 ans, ayant vécu quatre fausses couches.

« Une médecine paternaliste »

Pour Mathilde Lemiesle, autrice et créatrice du compte Instagram@mespresquesriens, ayant vécu quatre fausses couches avant de devenir mère, la société occulte totalement ce qu’implique la notion de fausse couche. « J’ai fait des malaises, j’ai perdu des litres de sang. Ça a été très violent et je suis persuadée que le silence autour de la question a rendu la chose d’autant plus dur à vivre, car je ne savais pas ce que j’allais traverser. » Un avis partagé par la gynécologue obstétricienne Myriam Cheloufi : « Si les femmes savaient qu’à chaque grossesse, il y avait 15 % de risque qu’elle s’arrête, le diagnostic serait sûrement reçu différemment. »

Le docteur Geoffroy Robin, gynécologue et secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (Cnof), voit surtout dans ces témoignages les restes d’une « médecine paternaliste qui estimait que les fausses couches étaient banales parce que très fréquentes […] Les médecins s’assuraient seulement que la patiente était en sécurité et souffre le moins possible. »

Un besoin de distance pour les soignants

D’après Bertrand de Rochambeau, président du syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (SYNGOF), « l’accompagnement psychologique est peu enseigné ». Pour les soignants qui le souhaitent, l’association Agapa organise des formations sur l’arrêt naturel de grossesse. « On forme régulièrement des équipes dans certains hôpitaux pendant deux jours, avec beaucoup de jeux de rôle », explique l’Agapa à 20 Minutes.

Mais pour la docteure Cheloufi, c’est davantage une question de temps que de formation. « Les urgences ne sont pas le lieu le plus adapté pour accompagner une femme vivant une fausse couche. On a des créneaux très courts et on peut être interrompu à tout moment pour une naissance. » Et puis, la médecin l’admet : l’arrêt naturel de grossesse étant la première cause de consultation et de diagnostic aux urgences gynécologiques, « on y est toujours sensibles mais au bout d’un moment, on a besoin de prendre un peu de distance. D’où le fait que l’on puisse paraître froid. »

« Nous aurions apprécié un peu plus de douceur »

Aurélie le comprend mais regrette la situation. Elle a envoyé un courrier au centre d’imagerie où elle a été reçue. « Si ce sujet est délicat, écrit-elle, et qu’il n’est évidemment pas facile pour le professionnel de santé d’annoncer cette mauvaise nouvelle, nous aurions apprécié un peu plus de douceur, dans le choix des mots ou dans l’annonce. »

Heureusement, certains soignants font preuve de bienveillance. « Ma gynécologue – qui était remplacée lors de l’échographie – m’a appelée personnellement le soir même pour m’expliquer que malheureusement, les arrêts spontanés de grossesse étaient fréquents et que je n’y étais pour rien, raconte Juliette. Elle m’a aussi encouragée à consulter un psychologue. » Marine, actuellement enceinte de 18 semaines, a aussi trouvé la perle rare. « Ma gynécologue m’a dit “je vous fais des échographies quand vous voulez si ça vous rassure”. Et elle l’a fait sans me juger. » La jeune femme lâche en sanglotant : « Jamais je n’aurais tenté une nouvelle grossesse sans elle. »

Des avancées sur la prise en charge

S’il existe toujours une très grande hétérogénéité dans la prise en charge des fausses couches selon les médecins et les hôpitaux, elle est en train de changer « grâce à la jeune génération de soignants », selon le secrétaire général du Cnof et gynécologue au CHU de Lille.

« Dans mon équipe, on refait un point avec la patiente après l’aspiration ou la prise du médicament pour savoir comment elle va, et on lui propose un suivi avec un psychologue si elle le souhaite. » Trois psychologues spécialisés en périnatalité travaillent au sein du CHU. L’un d’eux a créé des groupes de parole sur l’arrêt de grossesse. « Et ce type d’initiative se développe un peu partout. »

Une campagne d’information souhaitée

Pour pallier le manque de temps, la docteure Cheloufi a créé des plaquettes qu’elle laisse dans la salle d’attente. On y trouve toutes les informations médicales, les contacts de la psychologue du service et de l’association Agapa, qui organise des groupes de parole. Elle y inscrit aussi le lien vers des podcasts et des comptes Instagram sur le sujet. Celui de Mathilde en fait partie.

« Beaucoup de soignants me disent qu’ils dirigent leurs patientes vers mon compte, ou mettent mon livre dans la salle d’attente », confirme l’autrice de BD. Une bonne chose selon elle, mais pas suffisante. Son souhait : la mise en place d’une vaste campagne nationale d’information sur le sujet. Pour Magali, cela devra aussi passer par la fin de l’utilisation du terme « fausse couche » qui, selon elle, « ne devrait pas exister ». Car il n’y a rien de faux dans ce qu’elle a vécu.