Cirque du soleil : On était à l’entraînement des acrobates et on a eu mal aux bras pour eux
Un choc visuel. En entrant dans l’Accor Arena, les visiteurs sont marqués par une drôle d’impression. La salle de spectacle, habituellement si vaste semble beaucoup plus étroite. Plus haute que large, sa configuration pour quelques jours donne le sentiment d’entrer dans un silo.
Cette perspective toute en hauteur est provoquée par le décor qui y trône. Haut de plusieurs dizaines de mètres, il rappelle à la fois une scène de théâtre, pour son cadre et ses rideaux, et une piste de cirque pour son public placé de part et d’autre de la salle. Un objectif voulu par le Cirque du Soleil qui a investi les lieux jusqu’à dimanche pour y présenter son spectacle Corteo. Pour l’occasion, et pour la première fois, 20 Minutes s’est glissé dans les coulisses de la plus célèbre compagnie du monde.
Jusqu’à dix acrobates en même temps sur les barres
En début d’après-midi ce mercredi, ce sont les acrobates du « Tournik » qui sont à l’entraînement. Un nom bien choisi pour le vertige qu’il peut donner. Vous connaissez les barres parallèles en gymnastique ? Alors imaginez cela, mais avec six barres, quatre connectées formant un carré et deux autres, de chaque côté. Et sur ces barres, ce n’est pas un seul athlète qu’on trouve, mais jusqu’à dix acrobates tournant, volant et se croisant dans les airs.
À l’échauffement, ils sont quatorze. Dix d’entre eux participeront au spectacle du soir, les autres s’affaireront dès le lendemain et sur les autres dates dans une tournante qui offre à chacun son moment de gloire.
La troupe s’amuse, et chacun y va de ses « ouuuuh ! » et de ses « nice ! » quand un collègue réalise une pirouette. Plusieurs rient, certains font des blagues dans un nuage de poudre dont ils se badigeonnent les mains à chaque passage devant le box qui ferait presque office de comptoir.
Même les techniciens sont « castés »
Une ambiance joyeuse mais trompeuse. Ces acrobates sont tout sauf des rigolos. « Ce sont des athlètes de haut niveau. Certains sont d’anciens gymnastes, d’autres ont une formation circassienne, mais ils ont tous été castés soigneusement », nous explique Alexandra Gaillard, porte-parole du spectacle qui nous montre du doigt un grand blond au un lycra bleu. « Lui est Italien et fait partie des cinq meilleurs au monde sur les barres », sourit-elle avec fierté.
Ce « niveau d’exigence », c’est la marque de fabrique du Cirque du Soleil, fondé il y a quarante ans au Québec. En pointant du doigt un technicien qui travaille sur la scène, micro-casque sur la tête, elle balance : « Lui a été repéré sur la tournée de Taylor Swift, il a également fait Ed Sheeran. » Car oui, les techniciens aussi sont « castés ». « Nous sommes 120 à Paris pour le spectacle Corteo, dont 53 artistes. Tous, des acteurs, aux techniciens en passant par les musiciens et les acrobates, ont été détectés et testés… ».
De Paris à Las Vegas, un cirque aux 5.000 employés
Ils ont donc en commun d’avoir tous fait étape au siège à Montréal, pour passer des entretiens, des tests et ensuite fait des formations et entraînements spécifiques. On parle bien d’un siège, car le Cirque du Soleil, ce n’est pas la troupe de Vitalis dans Rémi sans famille.
Au total, la compagnie compte 5.000 employés et propose en permanence 17 spectacles dans le monde, sous trois formes. Certains sont ponctuels, comme Corteo qui se déplace avec 24 camions et bus et dont le décor est monté en douze heures. Une prouesse. Les autres peuvent rester plusieurs mois dans un lieu, sous chapiteau, et certains sont permanents comme à Las Vegas. « Nous avons deux employés à temps complet pour gérer les visas, les passeports, le transport, les hôtels, etc. », précise la porte-parole.
Aussi pour assurer de telles prestations, des artistes et acrobates s’entraînent et se forment en permanence à Montréal, prêts à intégrer les différents spectacles. C’est ce qu’a connu Julien Gobeaux, présent à l’entraînement cet après-midi et l’un des quatre Français de la troupe.
« Transformer les gymnastes en acteurs et acrobates »
Ancien gymnaste olympique (il a terminé 29e aux JO de Rio en 2016), il a intégré la compagne en 2022, repéré par le Cirque du Soleil via son compte Instagram. « J’ai passé les tests à Montréal et je me suis formé, là-bas, à l' »acting », pour sortir de la posture robotique qu’impose la gymnastique. »
Le cirque a cela de différent avec le sport que l’important est ici de faire passer des émotions comme nous explique Daniele Finzi Pasca, créateur et metteur en scène de Corteo, venu à Paris saluer ses protégés. « J’ai commencé, il y a vingt-deux ans, à essayer de transformer des gymnastes superperformants en acteurs et acrobates. Il faut créer un langage qui doit aller droit vers l’imaginaire du public. »
Car Corteo, « cortège » en italien, n’est pas qu’un enchaînement de numéros. C’est une véritable histoire, une pièce de théâtre racontée par des artistes de cirque. « C’est l’histoire d’un clown qui rêve de ses funérailles. Il imagine tous ses amis et ses amours qui viendraient le célébrer. Il y a de la gaieté et la puissance de l’amitié, explique le metteur en scène, c’est un spectacle dédié au vieux cirque qui voyage, à la troupe qui vit ensemble. »
Un esprit de troupe
Si Corteo est un monstre d’organisation et de logistique, cela reste un spectacle de cirque et l’esprit de troupe y règne. Tous les membres se connaissent très bien. Certains musiciens, acrobates, ou même la jongleuse qui fait virevolter 8 quilles en l’air à quelques mètres de la scène sont là depuis plusieurs années.
Vitali, un acrobate au buste qui ferait pâlir les Avengers fait partie du spectacle depuis le début, soit dix-neuf ans. « On aime bien se dire que ce sont des muscles Corteo », s’amuse Alexandra Gaillard en le regardant sur scène.
« Cela permet aux anciens de conseiller et d’aider les jeunes, explique Daniele Finzi Pasca, il y a une vraie transmission entre eux. » Au même moment, Julien Gobeaux discute avec Andreï, le capitaine de « Tournik ». Lui aussi participe au numéro, mais il a cette responsabilité en plus de déterminer les rôles, d’organiser et de corriger les défauts. Pour cela, il regarde avec le Français un écran posé juste devant la scène qui diffuse les images de l’entraînement en temps réel avec seulement 20 secondes de décalage. De quoi, pour les acrobates, regarder et analyser leur prestation à peine après avoir retouché le sol. Tout est pensé au millimètre on vous dit.
L’émerveillement avant tout
14h15 pile. L’entraînement de « Tournik » se termine. En quelques minutes, techniciens et artistes débarrassent la scène et en installent une nouvelle pour l’entraînement suivant, celui du trampoline où des acrobates sautent sur des lits, décors des rêves du clown.
S’ils sautent assez haut, peut-être arriveront-ils à attraper une autre artiste, de petite taille, qui vole dans la salle à l’aide de ballons d’hélium (oui oui en vrai) et qui demande aux spectateurs de la pousser pour continuer à voler. Comme pour rappeler que toute cette minutie, cette rigueur, cette exigence et cette logistique restent toujours au service de l’émerveillement et de l’imaginaire. Au service du cirque.