Condamnation d’Ousman Sonko en Suisse: un avertissement pour les auteurs d’atrocités
Un ancien ministre gambien a été condamné mercredi en Suisse en vertu de la compétence universelle pour des crimes contre l’humanité. Un signal fort pour les auteurs d’atrocités dans le monde.
20 ans de prison pour des crimes contre l’humanité. Le verdict rendu mercredi par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone (canton du Tessin) à l’encontre de l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, Ousman Sonko, était très attendu en Suisse. Il l’était également à plus de 4000 kilomètres de là, en Gambie.
Ex-bras droit du dictateur Yahya Jammeh, Ousman Sonko a été reconnu coupable d’assassinats, de séquestrations et d’actes de torture commis entre les années 2000 et 2016. Son procès s’est tenu en Suisse en vertu de la compétence universelle, qui permet, depuis 2011, à la justice du pays de se saisir des crimes les plus graves même s’ils ont été commis à l’étranger, pour autant que leur auteur se trouve sur sol helvétique.
Le jugement est historique, car c’est la première fois qu’un aussi haut responsable étatique est jugé selon ce principe juridique en Europe. L’ancien ministre, dont la défense plaidait l’acquittement, peut encore faire appel de cette décision. Cela repousserait le verdict final de deux ans au moins.
Ousman Sonko avait fui la Gambie en 2016. Reconnu par ses compatriotes dans un centre d’asile du canton de Berne, il avait été dénoncé auprès des autorités par l’ONG genevoise TRIAL, spécialiste de la traque internationale des criminels. Il a déjà passé sept ans derrière les barreaux suisses depuis son arrestation en 2017.
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Signal fort
«C’est un signal extrêmement fort qui est donné, estime Philip Grant, directeur de TRIAL. Les ministres qui seraient impliqués dans des exactions au Soudan, au Myanmar, à Gaza ou en Ukraine auront en tête que les justices de pays tiers pourraient un jour les arrêter et les condamner pour les atrocités commises».
Ce jugement est avant tout un soulagement pour les victimes et leurs proches, dont certains avaient fait le déplacement en Suisse mercredi. C’est le cas de Fatoumatta Sandeng, qui fait partie des plaignantes et dont le père a été assassiné par le régime gambien en 2016. «Je suis très contente, ma famille et la Gambie aussi. Le tribunal a clairement mis en évidence le rôle joué par Ousman Sonko en tant que ministre de l’Intérieur le jour où mon père a été arrêté et torturé», a-t-elle déclaré à la RTSLien externe.
«C’est aussi un message très fort qui est donné à la Gambie. Maintenant, il faut qu’elle fasse le nécessaire pour rendre justice sur place, ajoute Philip Grant. La compétence universelle est subsidiaire, elle n’est pas là pour remplacer la justice étrangère».
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De plus en plus de cas
En juin 2023, le Tribunal pénal fédéral avait condamné Alieu Kosiah à 20 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’ancien chef rebelle libérien était le premier criminel de guerre à être jugé en Suisse grâce à la compétence universelle.
Ce principe doit permettre de lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves. Il est aujourd’hui prévu dans l’ordre juridique d’une majorité des États du monde.
Mais s’il est de plus en plus utilisé avec 36 nouvelles enquêtes ouvertes et 16 condamnations prononcées l’an dernier, seuls 13 pays ont actuellement des affaires en cours, selon le Rapport sur la compétence universelle 2024Lien externe de TRIAL, établi en collaboration avec d’autres ONG.
La France, l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, ou encore la Belgique font partie avec la Suisse des pays actifs dans ce domaine.
Une justice plus impliquée
S’il a été critique par le passé du manque d’action de la justice helvétique en matière de compétence universelle, Philip Grant estime que le Ministère public de la Confédération (MPC) montre une plus forte volonté de s’occuper des crimes internationaux depuis la nomination en 2022 du nouveau procureur général, Stefan Blättler.
«La difficulté avec la compétence universelle c’est la distance géographique avec les preuves, qui doivent être récoltées à l’étranger. Mais aussi souvent l’ampleur des faits qui sont reprochés aux personnes suspectées. Cela implique des enquêtes extrêmement longues et coûteuses», explique Maria Ludwiczak Glassey, professeure associée au Département de droit pénal de l’université de Genève.
Cette temporalité longue pose des problèmes lorsque les auteurs de crimes présumés ont déjà un certain âge.
Poursuivi par la justice suisse pour crimes contre l’humanité, l’ancien ministre de la Défense algérien, Khaled Nezzar, est ainsi décédé en 2023 à l’âge de 86 ans avant que n’aboutisse la procédure à son encontre, en cours depuis 2011. Aujourd’hui âgé de 85 ans, Rifaat al-Assad, un oncle du président syrien, pourrait lui aussi ne pas vivre la tenue de son futur procès en Suisse.
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La Suisse bien placée
La Suisse, haut lieu de tourisme international en raison de ses banques, de ses commerces et de ses établissements de santé notamment, est particulièrement bien placée pour mettre la main sur de potentiels criminels de guerre. Mais le Ministère public de la Confédération dispose de ressources financières et humaines limitées pour enquêter sur ces crimes
«On espère que cette volonté du Ministère public de la Confédération de s’occuper de ces cas va se poursuivre et que les autorités y accorderont les moyens nécessaires. La Suisse a donné aujourd’hui un signal que c’était faisable. Il faut continuer dans cette direction», déclare Philip Grant.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin