Alimentation : Les pâtes « premium » méritent-elles d’être deux fois plus chères ?
Pas chères, rapides à préparer et à accommoder sans le moindre talent culinaire, les pâtes sont une valeur sûre à tous les âges de la vie : de l’enfant accro aux coquillettes au beurre à l’étudiant affamé au lendemain d’une soirée arrosée en passant par la mère de famille débordée, elles mettent tout le monde d’accord.
Et parce qu’il n’y a pas que les « pasta box » dans la vie, c’est désormais le créneau des pâtes « Premium » qui se fait une place de choix dans les rayons des supermarchés, autrement dit des pâtes bien plus chères mais aussi présentées dans des emballages aux couleurs chatoyantes. Payer deux fois plus ses fusilli est-il un choix gastronomique raisonnable ou un piège marketing ? On a voulu en savoir plus.
Des prix qui peuvent aller du simple au double
Un petit tour sur les sites des supermarchés suffit à montrer les écarts de prix entre des pâtes, toutes composées simplement d’eau et de blé dur. Sur Carrefour.fr, les linguine de la marque distributeur coûtent 1.98 euros au kilo tandis que le prix affiché pour les linguine des marques italiennes Rummo et Garofalo s’affichent à 4.18 euros le kilo, soit un prix supérieur de 211 % ! Comment expliquer cet écart de tarif alors même que les ingrédients inscrits sur le paquet sont identiques ? « C’est le processus de fabrication et les matières premières qui font toute la différence », explique Giulia Becuzzi, directrice marketing pâtes pour l’Europe de l’Ouest chez Barilla. Le leader mondial de la pâte a lancé sa gamme premium « Al bronzo » en France en octobre 2024, en même temps que sur le marché italien. Elles se caractérisent « par une fabrication dans des moules en bronze qui permettent de créer des microgravures à la surface des pâtes afin de mieux accrocher les sauces et créer un amalgame plus gourmand à la cuisson » précise la directrice marketing. Les pâtes « standards » de Barilla sont, elles, fabriquées dans des moules en téflon qui assurent au contraire une bonne régularité, nécessaire à une production à grande échelle. D’autres marques « Premium » comme De Cecco mettent aussi en avant le temps de séchage à basse température des pâtes, lequel assure un meilleur niveau de protéines, ce qui a « un impact sur la texture et l’élasticité » précise Giulia Becuzzi.
Avec sa gamme « Al Bronzo », « Barilla veut offrir une expérience gastronomique dans un contexte inflationniste » alors que les Français ont moins les moyens de sortir au restaurant. Et donner l’impression aux consommateurs de vivre la dolce vita à Capri dans leur cuisine Ikea ? Le packaging participe à cette impression d’exclusivité avec ses emballages au rouge intense « qui me font penser à Ferrari ! » plaisante la directrice marketing. Et encore, d’autres marques vont encore plus loin dans la premiumisation en s’affichant à des tarifs supérieurs à 12 euros le kilo, dans des paquets chics et minimalistes. Comme c’est le cas chez Eataly, la chaîne d’épicerie italienne qui a ouvert un magasin à Paris en 2019.
Un investissement gastronomique qui vaut le coût
Pour Alberto Suardi, jeune chef italien de la chaîne Big Mamma, l’investissement est largement récompensé au moment du repas. Il insiste : « Seules les pâtes de bonne qualité, fabriquées dans des moules en bronze, avec une farine pas trop raffinée et un temps de séchage long tiennent bien la cuisson et peuvent être servies al dente, c’est-à-dire encore un peu croquante en bouche ». Car c’est ainsi que l’on mange les pâtes dans la Botte, « on ne respecte jamais le temps de cuisson indiqué sur le paquet en Italie, on enlève les pâtes de l’eau bouillante 3 à 4 minutes avant et on termine la cuisson dans la casserole avec la sauce. Les pâtes de qualité moyenne ne supportent pas cette étape car elles s’écrasent et collent, en perdant complètement leur forme initiale » précise le Chef originaire de Vérone en Lombardi.
Un marché « Premium » en expansion dans toute l’Europe
Les pâtes « Premium » sont à la conquête du marché français. Quasi absentes des grandes surfaces il y a encore 15 ans, elles représentent 4 % du marché aujourd’hui. Et même si on est encore loin des 30 % observés sur le marché italien, Giulia Becuzzi est confiante en l’avenir : « C’est un petit segment qui séduit de plus en plus les consommateurs puisque 20 % des foyers français ont consommé ce type de pâtes en 2024. Notre objectif est de doubler la part de marché dans les années qui viennent, et on est optimiste car c’est une tendance qu’on observe partout en Europe ». Une bonne nouvelle pour les puristes de la pasta qui peuvent peut-être y voir un progrès civilisationnel. Comme l’explique le chef Alberto Suardi, « plus on va dans le Nord de l’Europe, plus les gens mangent des pâtes très cuites, pas du tout croquantes comme on les aiment chez nous ». Mais notre honneur est sauf car « en France, même si on a un peu adapté la cuisson au goût local dans les restaurants Big Mamma, les pâtes se mangent presque comme en Italie ! ».
Que les adeptes des pâtes premiers prix se rassurent, les coquillettes, elles, ne devraient pas être touchées par cette fièvre inflationniste, car si elles sont sur le podium des pâtes préférées des Français, elles continuent d’être largement méprisées (à juste titre ?) par les fabricants transalpins.