Belgique

Les trois Instituts Confucius en Belgique, chevaux de Troie chinois ?

Une bienveillante association culturelle ou un dangereux cheval de Troie ? Le jugement porté sur les Instituts Confucius, depuis leur création il y a vingt ans, n’a cessé d’osciller entre ces deux extrêmes, dans les quelque 140 pays où ils ont été implantés. Y compris en Belgique, où l’on en a compté six, sur les 550 environ qui ont formé le réseau mondial à son apogée.

Pour Pékin, qui a initié ce programme en découvrant les vertus du “soft power”, il s’agissait de “promouvoir la langue et la culture chinoises” en misant sur l’attrait qu’elles exercent, mais aussi, ce faisant, de “renforcer les relations amicales” avec les pays d’accueil et, pourquoi pas ?, de “contribuer à la création d’un monde pacifique et harmonieux”. Aux yeux du public, les Instituts Confucius devaient être assez semblables à des institutions conçues pour servir des objectifs analogues : l’Alliance française, le British Council, le Goethe-Institut…

Deux différences sautent, toutefois, aux yeux. D’abord, contrairement à leurs modèles fondés dans des pays démocratiques (et qui, dans le cas de la France et de l’Allemagne, résultent d’initiatives privées), les Instituts Confucius sont l’émanation directe d’une dictature : ils sont financés et contrôlés par le gouvernement chinois, c’est-à-dire par le Parti communiste (PCC). Ensuite, ils ne fonctionnent pas de façon autonome dans les pays hôtes : ils sont presque toujours adossés à des universités (ou des hautes écoles) et, sinon, à des organisations acquises à la cause comme, chez nous, l’Association Belgique-Chine (ABC).

De l’information à la propagande

Ce sont ces spécificités qui ont d’emblée nourri la suspicion. Si l’objet déclaré des Instituts Confucius est de faciliter l’apprentissage du chinois en fournissant du matériel pédagogique, en envoyant des professeurs (payés par Pékin) et en proposant des séjours linguistiques en Chine, l’intention sous-jacente est de susciter la sympathie et la compréhension des étudiants – et, au-delà, de leurs cercles de parents et d’amis – pour tout ce qui touche de près ou de loin le régime communiste chinois : ses réalisations, sa politique, ses valeurs, sa place dans le monde. Les Instituts sont, au demeurant, investis aussi de la mission de “donner des informations en tous genres” sur la Chine.

Dans le contexte chinois, on peut évidemment craindre que l’information transmise ne soit pas nécessairement objective ou crédible. Un personnage aussi influent que Li Changchun n’a, il est vrai, guère contribué à dissiper ces craintes. Membre pendant dix ans (de 2002 à 2012) du Comité permanent du Bureau politique (l’organe suprême du pouvoir), il avait proclamé, lors d’une visite au Hanban, l’instance directrice des Instituts Confucius, qu’il revenait à ceux-ci de “glorifier la culture chinoise pour qu’elle se répande partout dans le monde”, ce qui, n’avait-il pas craint d’ajouter, “est une composante de la stratégie chinoise de propagande à destination de l’étranger”.

Li Changchun lors de sa présentation en tant que membre du comité permanent du politburo, le 15 novembre 2002
Li Changchun lors de sa présentation en tant que membre du comité permanent du politburo, le 15 novembre 2002 ©Belga

Dans les universités et les écoles

Le mot n’a peut-être pas tout à fait le même sens dans le vocabulaire communiste que dans le nôtre : information, publicité et propagande y sont vaguement synonymes. Il n’empêche que l’action des Instituts Confucius s’inscrit dans le cadre des opérations du Front uni, un département du PCC qui coordonne les offensives de toutes sortes pour convaincre les opinions publiques et, grâce à elles, les gouvernements étrangers, de la justesse du point de vue chinois sur des sujets de polémique comme le Tibet, Taïwan, les Ouïghours, Hong Kong ou les droits de l’homme.

L’impact de ce travail de “propagande” est d’autant plus redouté que les Instituts Confucius sont à l’œuvre au sein même de nos structures d’enseignement : dans les universités partenaires, mais aussi les écoles secondaires. Pour répondre à une demande nouvelle, impossible à satisfaire autrement faute de personnel compétent, beaucoup d’établissements dans de nombreux pays, de la France aux États-Unis, ainsi qu’en Belgique (en Flandre surtout), ont accepté, souvent avec reconnaissance, le recours à des professeurs chinois – qui ont, en outre, l’avantage d’être eux aussi rémunérés par Pékin.

« Depuis que j’ai refusé d’être un espion pour la Chine en Belgique, ma famille est persécutée et risque le camp de concentration ou la prison »

Un directeur devenu persona non grata

La présence des Instituts Confucius sur les campus présente encore d’autres risques, le plus sérieux étant l’espionnage. Certes, voués à la coopération culturelle, ils ne sont pas impliqués dans les facultés a priori les plus “sensibles”. Toutefois, l’université offre à leurs employés chinois des opportunités de contacts qui peuvent devenir autant d’informateurs bien ou mal intentionnés. C’est un danger contre lequel, en Belgique, la Sûreté de l’État a mis en garde les autorités académiques depuis plusieurs années, et non sans raison apparemment puisque, en 2019, elle faisait interdire l’accès à l’espace Schengen à Song Xinning, qui était le directeur de l’Institut Confucius associé à la VUB depuis 2016. La décision a été cassée ensuite pour vice de procédure par la justice, mais, dans l’intervalle, en décembre 2019, l’université annonça la fin de son partenariat, bientôt imitée par l’ULB, qui avait entamé une collaboration similaire la même année.

Xi Jinping inaugure le premier Institut Confucius de médecine chinoise d'Australie, à l'université RMIT de Melbourne, le 20 juin 2010.
Xi Jinping inaugure le premier Institut Confucius de médecine chinoise d’Australie, à l’université RMIT de Melbourne, le 20 juin 2010. ©Belga

Censure et surveillance

En juin dernier, c’est Liège qui décidait de fermer à son tour son Institut Confucius, le plus ancien dans le paysage universitaire belge puisqu’il avait été inauguré en 2006. Les motifs précis n’ont pas été donnés, en dehors d’un communiqué de presse indiquant que ce choix “résulte de la réorientation observée ces dernières années des activités de l’Institut Confucius qui n’est plus en phase avec les missions d’enseignement, de recherche et de citoyenneté de l’ULiège”. Plus que des soupçons d’espionnage, ce sont les velléités de restrictions à la liberté académique qui ont été invoquées, conséquences d’un durcissement politique de plus en plus marqué dans la Chine de Xi Jinping.

On n’en est sans doute plus au temps de Xu Lin, l’ancienne directrice générale du Hanban, qui faisait déchirer du programme d’un colloque international, au Portugal, les pages relatives à des interventions susceptibles de déplaire à sa hiérarchie. La censure n’en demeure pas moins une tentation qui habite les responsables des Instituts Confucius, quand bien même tous les enseignants et chercheurs en sinologie ne s’en plaignent pas forcément.

De six à trois

La disparition des Instituts liés aux universités francophones n’en laisse plus que trois en Belgique. Hormis celui qui opère à Bruxelles en symbiose avec l’ABC (et qui n’est donc pas près de baisser le rideau puisque cette association est d’une fidélité inébranlable à la Chine populaire : elle en était pour ainsi dire l’ambassade officieuse avant l’établissement des relations diplomatiques en 1972) , on en trouve toujours un à Louvain – il s’est maintenu contre vents et marées au sein de la KUL depuis sa fondation en 2008, survivant à des controverses récurrentes et à un malaise toujours palpable au sein de la communauté universitaire. Et, depuis 2012, un autre à Bruges, auprès de la Haute École West-Vlaanderen (Howest), qui se targue des liens tissés avec l’université Zhejiang Gongshang à Hangzhou. La présence, au sein de son comité de direction, du gouverneur de la province flamande, Carl Decaluwé (CD&V), est pour le moins originale – et stimule d’autant plus les questions sur le véritable intérêt de la Chine dans ce partenariat que Gongshang est une université “industrielle et commerciale”.

La perte d’accords lucratifs

La tendance est aujourd’hui à réclamer la disparition des Instituts Confucius – aux États-Unis, où il y en avait plus d’une centaine, ils ont presque tous fermé leurs portes (quitte à réapparaître parfois sous un nouveau nom). En Europe, la Norvège et la Suède les ont bannis. L’Allemagne et le Royaume-Uni y songent. En Belgique, Ecolo a lancé, l’an dernier, un appel en ce sens. Une des raisons invoquées est aussi que les Instituts permettent de surveiller facilement les étudiants chinois et d’intimider ceux qui seraient trop critiques à l’égard du régime communiste. Mais il faut être prêt à renoncer à des accords lucratifs. Pour la VUB, on a parlé de 200 000 euros par an. Pour les universités américaines, il peut s’agir de millions de dollars : Pékin met le prix pour intégrer – infiltrer ? – des institutions prestigieuses comme Harvard ou Stanford.

Professeur de science politique à l’Université de Nottingham, John Sullivan a passé au crible les Instituts Confucius et en a conclu que le rôle subversif qu’on leur prête est exagéré et dramatisé. Pour lui, le nœud du problème, c’est avant tout le manque de volonté de financer les études sur la Chine. Les Instituts sont venus combler un vide dans beaucoup de pays et d’universités. Si les pouvoirs politiques et les autorités académiques affectaient des moyens à la hauteur de l’importance de la Chine dans le monde actuel, les Instituts Confucius n’occuperaient pas autant de place, ni sur le terrain ni dans le débat public.

-> Ce mercredi, dès 6h30, découvrez la suite de notre série à travers un article consacré à la manière dont la Chine espionne et pirate l’industrie occidentale.