Une nuit avec un vétérinaire de campagne : « D’ici dix ans, problème »
Un vétérinaire sur deux se détourne de la profession dans les cinq premières années selon l’OBSVET, l’observatoire des vétérinaires. Le taux de suicide chez ceux qui restent est trois fois plus élevé que la moyenne de la population.
Les chiffres sont préoccupants : un vétérinaire sur deux abandonne sa profession dans les cinq premières années, selon l’OBSVET, l’observatoire des vétérinaires. Pour ceux qui exercent encore, le taux de suicide est trois fois plus élevé que la moyenne nationale. En Wallonie, il y a un vétérinaire pour 2000 bovins, et les prévisions montrent une réduction de ce chiffre, pouvant atteindre deux fois moins d’ici 2035, ce qui indique un risque de désert médical. Les jeunes diplômés se détourent des exploitations agricoles. Comment cette situation a-t-elle évolué ? Pour tenter de le comprendre, nous avons rencontré Julien, vétérinaire à Ferrières. Cet article fait partie de notre série consacrée aux métiers de nuit.
Ferrières, avec ses 5000 habitants, est situé à la frontière des Ardennes, à 45 kilomètres au sud de Liège. Le village est encadré de terres agricoles où les éleveurs sont encore nombreux.
En arrivant au centre vétérinaire, il est environ 22 heures. Julien est en service depuis 7 heures du matin et sa garde ne se terminera qu’à 7 heures le lendemain, soit une garde de 24 heures : « C’est classique dans le métier. Heureusement, j’ai une bonne résistance à la fatigue. »
Julien, fils d’agriculteurs, a très vite développé une passion pour les bovins. Son père lui a déconseillé de suivre ses pas en exploitant sa propre ferme : « Tu ne vas quand même pas t’endetter toute ta vie pour ça ? » Il s’est alors tourné vers la profession vétérinaire pour rester en contact avec les animaux, sans regrets jusqu’à présent : « Je suis bien content de ne pas avoir fini agriculteur, je trouve ça trop dur. Mais j’apprécie de travailler à leurs côtés. »
Avec l’aide de ses partenaires de VetExpress, Julien s’occupe d’environ 15 000 bovins par an, tout en traitant de nombreux petits animaux, principalement des chiens et des chats. « Ma médecine ‘passion’, ce sont les bovins. C’est beaucoup plus rudimentaire, brut. Il y a moins d’outils d’analyse, il faut être plus subtil dans son diagnostic. Mais j’apprécie aussi la précision avec laquelle on peut soigner les petits animaux aujourd’hui. »
À 22 heures, il reçoit deux appels : un chiot blessé à recoudre et une vache à faire vêler par césarienne. Après avoir soigné le chiot, il se dirige vers Durbuy, où un éleveur de blanc-bleu belge l’attend.
À 23 heures, il réalise une césarienne. Bien que cela reste une opération chirurgicale avec des risques, Julien et l’éleveur restent concentrés. Après avoir anesthésié et préparé la vache, les litres de sang coulent. Enfin, un veau de 65 kilos est prêt à naître. L’opération se passe sans encombre, et après avoir pris soin de suturer la vache, il est temps de rentrer au centre. Minuit et demi approche : « C’est vrai qu’on travaille beaucoup, mais comment faire autrement ? Imagine, après une garde de 20 heures, qu’un client t’appelle pour te dire que sa vache est malade. Qu’est-ce que tu vas lui dire ? ‘Non, je suis fatigué’ ? Cela devrait peut-être être envisageable pour ma santé, mais c’est inconcevable. »
À une heure du matin, c’est le moment creux de la nuit. La majorité des éleveurs planifient les vêlages et évitent de les faire en pleine nuit. Julien profite de ce temps pour s’occuper de tâches administratives : factures et commandes de matériel. « Je pourrais faire des papiers toute la nuit, tellement il y en a à remplir, » plaisante-t-il. Il s’est associé à quatre autres vétérinaires pour fonder VetExpress. Pour lui, c’est essentiel pour perdurer. « On se répartit les gardes, donc je suis de garde deux nuits sur quatre. Quand on a un problème ou un mauvais retour client, on peut en parler avec les autres. L’association change tout. »
À l’inverse, un vétérinaire seul peut rapidement se retrouver submergé par le travail, les démarches administratives, et les tensions financières. Des pressions qui contribuent au taux élevé de suicides dans la profession ces dernières années. « Et le fait qu’on sait comment donner la mort. On a accès facilement aux produits d’euthanasie. C’est une étape de moins à franchir. J’ai malheureusement vu plusieurs confrères prendre cette décision. »
Malgré tout, la passion de Julien pour son métier est intacte. Il en parle avec enthousiasme. Mais alors, pourquoi le taux de diplômés se spécialisant dans les grands animaux est-il si bas ? « Il faut réapprendre à connaître le monde agricole. On voit souvent ceux qui travaillent dans les fermes de manière négative. Les jeunes ne s’y intéressent plus. Oui, les horaires sont rudes, mais l’association, je le répète, aide à tenir. »
À 7 heures, Julien a terminé sa nuit. Il laisse ses associés prendre le relais avant de rentrer chez lui, fatigué mais le sourire aux lèvres.
En Belgique, toute personne en détresse ou ayant des pensées suicidaires peut contacter le service SOS Suicide au 0800 32 123 (appel gratuit et disponible 24 heures sur 24).

