France

Marre des assiettes à partager dans les restaurants ?

Cette tendance des assiettes à partager, née au début des années 2010, s’inspire des tapas espagnoles, des mezzés libanais et des izakayas japonais. Candice Franc, fondatrice des restaurants Kuna, a noté que ses clients avaient tendance à ne plus avoir faim après avoir mangé leur butter chicken, ce qui les empêchait de découvrir d’autres spécialités.


Peut-on aborder sérieusement cette tendance des restaurants qui proposent des « assiettes à partager » ? Imaginez-vous au restaurant, installé pour déguster un plat soigneusement choisi. Mais à la place, la carte ne propose que des portions à partager, de petites bouchées artistiquement présentées. Votre dîner se transforme alors en une négociation délicate pour savoir qui obtiendra la dernière bouchée de poulet ou la dernière cuillère de houmous.

Si le partage peut sembler contraignant, ces assiettes, souvent élégamment dressées, offrent une occasion d’échange où l’on passe les plats, discute des saveurs et plaisante en se disputant gentiment le dernier morceau de poulpe. Cela évoque les repas en famille, où la nourriture devient un moyen de créer des liens. Sandrine Doppler, experte en marketing alimentaire, explique que « cette tendance à partager est tombée à pic pour les restaurateurs ayant besoin de se renouveler en s’inspirant des pratiques méditerranéennes. C’est un format très social et aussi instagrammable… »

Dans une société où beaucoup mangent seuls devant des écrans, cette idée de créer du lien est séduisante. De nombreux chefs, souvent influencés par leurs origines, ont su s’approprier cette tendance, proposant des plats qui favorisent la découverte collective et rompent avec le traditionnel schéma entrée-plat-dessert. Candice Franc, créatrice des restaurants Kuna, observe que « chez Kuna Bada, notre restaurant indien, nous avons remarqué que les clients se pleine de leur butter chicken et, du coup, ne peuvent pas découvrir d’autres spécialités. Nous souhaitions montrer un autre aspect de l’Inde. S’ils mangent de gros plats, les gens seront rapidement rassasiés et ne goûteront pas à tout. »

Cette influence, née au début des années 2010, inspirée des tapas espagnoles, des mezzés libanais ou des izakayas japonais, continue de séduire les consommateurs. « Cela me permet de goûter un peu toute la carte, confie Pauline, une Parisienne de 28 ans. J’ai découvert énormément de spécialités grâce aux assiettes à partager, et je pensais que c’était une pratique unique aux Espagnols… » Pourtant, c’est à Paris que le chef colombo-japonais Andrés Ramirez a importé son izakaya. Au Shuzo, on s’installe et savoure des spécialités d’Amérique du Sud et du Japon. Il note : « En Colombie, le partage des assiettes fait partie de notre culture. Mais on observe de plus en plus d’endroits dans le monde où les plats sont à partager. Le problème, c’est que parfois, on ne mange pas à sa faim. Certains voient cette modalité comme une opportunité de gagner plus d’argent, mais au final, l’assiette peut parfois être… disons, décevante. »

Cependant, cette image idyllique a ses limites. Les gros mangeurs peuvent sortir frustrés, comme David qui déclare détester « les restaurants avec des assiettes à partager. J’ai toujours faim et je termine la soirée avec une boîte de nuggets… » Partager implique aussi de tenir compte des goûts et des appétits des autres : certains hésitent par politesse à se servir, tandis que d’autres s’approprient le plat. À cela s’ajoutent des considérations pratiques concernant allergies, régimes spécifiques ou préoccupations sanitaires. Sandrine Doppler rappelle que « la pandémie de Covid-19 a rendu certains hésitants à partager un plat… Le compromis pour déterminer ce que chacun veut avec un groupe est comparable à passer vingt minutes à choisir un film sur Netflix. » Un moment censé être convivial ressemble parfois à une négociation où chacun veille à l’équité des portions.

Enfin, la question des traditions se pose. Le triptyque entrée, plat, dessert demeure bien ancré dans la culture européenne. Candice Franc, qui gère deux établissements en Île-de-France, constate : « Dans notre adresse méditerranéenne en Seine-et-Marne, nous avions commencé avec des assiettes à partager, mais nous avons dû revenir à quelque chose de plus classique. Avec cette cuisine, les clients souhaitent vraiment prendre une entrée, un plat et un dessert. » Pour satisfaire tous les préférences, le chef de Patsy, Vasyl Andrusyshyn, a trouvé une approche équilibrée : « En France, le partage n’est pas très ancré, et si nous imposions aux clients de prendre des petites assiettes, cela aurait été trop radical. Certains plats se prêtent au partage, d’autres non. Tout est une question d’équilibre. »