Suisse

La conférence de Genève sur le Proche-Orient vise à relancer le droit humanitaire international

Enfants lors d'un rassemblement pro-palestinien à Londres le 7 février 2024.


Enfants lors d’un rassemblement propalestinien à Londres le 7 février 2024.


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La Suisse accueille vendredi une réunion des parties aux Conventions de Genève sur le Proche-Orient. L’objectif est de réaffirmer la protection de la population civile et des biens civils dans les Territoires palestiniens occupés.

En septembre dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé à la Suisse d’organiser une conférence des États parties aux Conventions de Genève sur la protection de la population civile dans les Territoires palestiniens occupés. La Suisse, État dépositaire des Conventions, disposait de six mois pour mettre en place le sommet.

Les quatre Conventions de Genève, qui datent de 1949 et constituent les piliers du droit international humanitaireLien externe (DIH), protègent les personnes ne participant pas ou plus aux hostilités. Elles s’appliquent aux Territoires palestiniens, à Gaza et à la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, occupés par Israël depuis 1967. 

La conférence se concentrera sur la quatrième Convention de Genève, qui protège la population civile en temps de guerre, interdit les déplacements forcés de population et les colonies dans les Territoires occupés et fixe les règles de conduite de la puissance occupante. Elle rappellera aux parties l’importance du respect du droit international humanitaire. Une déclaration conjointe – non contraignante – est attendue, confirment des sources diplomatiques. 

Réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation au Moyen-Orient, au siège de l’ONU à New York, le 20 février 2023. Le Conseil a exprimé sa consternation face aux projets du gouvernement israélien visant à légaliser rétroactivement les colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés, avertissant dans une déclaration que de telles mesures «font obstacle à la paix».


Réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation au Moyen-Orient, au siège de l’ONU à New York, le 20 février 2023. Le Conseil a exprimé sa consternation face aux projets du gouvernement israélien visant à légaliser rétroactivement les colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés, avertissant dans une déclaration que de telles mesures «font obstacle à la paix».


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Les 196 États parties aux Conventions de Genève sont tenus de respecter ces dernières. En tant qu’État dépositaire des Conventions, la Suisse conserve le texte original de ces traités internationaux. Le pays est au service des États signataires et s’engage à agir avec impartialité.

Contexte international tendu

Le sommet se tiendra après quinze mois de guerre entre Israël et le groupe armé palestinien Hamas. Le conflit a entraîné le déplacement à plusieurs reprises de presque la quasi-totalité des deux millions d’habitantes et habitants de Gaza à l’intérieur de l’enclave, tué au moins 48’000 Palestiniennes et Palestiniens selon les chiffres du ministère de la Santé de Gaza et détruit une grande partie de l’infrastructure.

«Cette conférence sera un rappel plus que nécessaire que le droit international humanitaire doit être respecté», déclare Vincent Chetail, professeur de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.

Depuis la fin janvier, un fragile cessez-le-feu a permis l’échange de prisonniers palestiniens contre des otages capturés par le Hamas lors de l’attaque terroriste en Israël du 7 octobre 2023, qui a fait 1139 morts du côté israélien. L’accord prévoit également le retrait progressif d’Israël aux frontières de Gaza, ainsi qu’un déploiement massif de l’aide humanitaire.

Une otage israélienne libérée est accueillie par des soldats israéliens près d’un véhicule de la Croix-Rouge internationale, après sa libération par le Hamas dans la bande de Gaza, le 30 janvier 2025.


Une otage israélienne libérée est accueillie par des soldats israéliens près d’un véhicule de la Croix-Rouge internationale, après sa libération par le Hamas dans la bande de Gaza, le 30 janvier 2025.


AFP / Israeli Army

Dans le même temps, Donald Trump fait pression sur les États arabes pour qu’ils s’accordent sur une proposition visant à expulser et à réinstaller de manière permanente l’ensemble de la population de Gaza. Le président américain a également suggéré que les États-Unis prennent le «contrôle» de la région pour la développer et en faire la «Riviera du Proche-Orient».

«La quatrième Convention rappelle l’interdiction du déplacement forcé de la population palestinienne, un point qui a fait l’objet d’intenses débats en raison de la proposition totalement illégale de Donald Trump», relève Vincent Chetail.

«L’interdiction des déplacements forcés vise à empêcher une puissance occupante de coloniser un pays et de procéder à un nettoyage ethnique», poursuit-il. La proposition de Donald Trump a suscité de vives réactions des pays arabes voisins, tels que la Jordanie et l’Égypte, ainsi que de l’Union européenne. 

Des Palestiniens déplacés à l’intérieur de leur propre pays marchent sur la route Al Rashid dans le centre de Gaza alors qu’ils reviennent du sud vers le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier 2025.


Des Palestiniens déplacés à l’intérieur de leur propre pays marchent sur la route Al Rashid dans le centre de Gaza alors qu’ils reviennent du sud vers le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier 2025.


Mohammed Saber / Keystone

Qu’attendre de la déclaration?

Peu de détails ont filtré sur le sommet. Ce que l’on sait, c’est qu’elle se tiendra au niveau des ambassadeurs et qu’une déclaration sera adoptée.

Les États-Unis et Israël ne devraient pas y participer. Du reste, leur absence n’affectera pas l’issue de la conférence, selon des juristes internationaux interrogés par swissinfo.ch. 

Certains États souhaitent que la conférence reste aussi neutre que possible et ne mentionne pas la situation particulière d’un pays, d’après des diplomates européens. Le but est de ne pas compromettre les négociations futures qui concernent les prochaines étapes de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas.

Cependant, cette position va à l’encontre de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui stipule explicitement que la conférence doit se concentrer sur les «Territoires palestiniens occupés». 

«Certains États feront pression pour que la déclaration condamne l’occupation illégale des Territoires palestiniens, d’autant plus que cette illégalité a été reconnue à plusieurs reprises par la Cour internationale de justice (CIJ), notamment en juillet», relève Vincent Chetail. 

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Dans un avis consultatif rendu en juillet dernier, la CIJ a statué que la présence continue d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est, depuis 1967 était illégale et devait prendre fin dès que possible.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rejeté l’avis de la CIJ. Israël n’a pas fourni de réponse claire quant à la légalité de son occupation.

Des conférences similaires organisées par la Suisse en 1999 et 2001 ont conclu que la quatrième Convention de Genève s’appliquait aux Territoires palestiniens occupés. La déclaration de la dernière conférence, en 2014, appelait également au respect du droit international tant par Israël, en tant que puissance occupante, que par les groupes armés non étatiques comme le Hamas.

«Je doute que la prochaine conférence aille au-delà de ce qui a été réalisé en 2014», indique Vincent Chetail. 

Israël critique la politisation des Conventions de Genève et du droit international humanitaire. «La tentative de convoquer la conférence durant la mise en œuvre d’un accord de cessez-le-feu extrêmement délicat, dont dépend la vie d’otages israéliens, démontre une fois de plus que cette initiative ne vise pas à promouvoir le droit international humanitaire. Elle ne sert que de plateforme supplémentaire pour attaquer un pays démocratique et renforcer les organisations terroristes», déclare un porte-parole de la mission israélienne auprès de l’ONU à Genève, contacté par swissinfo.ch. 

La conférence ne peut pas adopter de résolutions juridiquement contraignantes ou même imposer des sanctions, mais «les Conventions sont juridiquement contraignantes», souligne Vincent Chetail.

Décombres de l’hôpital Al-Shifa, au milieu d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, dans la ville de Gaza, le 5 février 2025.


Décombres de l’hôpital Al-Shifa, au milieu d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, dans la ville de Gaza, le 5 février 2025.


Haitham Imad / Keystone

«La Suisse a un rôle à jouer en tant qu’État dépositaire et pays neutre pour rappeler au monde, et en particulier aux dirigeants des États-Unis et d’Israël, que le droit international humanitaire doit être respecté en toutes circonstances et qu’il s’applique à tous. C’est essentiel», estime Vincent Chetail.

La protection des infrastructures en temps de guerre par la puissance occupante sera également abordée. 

Quid des prochaines étapes?

La conférence sera suivie d’autres initiatives visant à replacer les Nations Unies au cœur du processus de paix au Proche-Orient, dont elles ont été plus ou moins exclues. L’ONU n’a pas participé au cessez-le-feu négocié en janvier par les États-Unis, le Qatar et l’Égypte avec Israël et le Hamas. Et Donald Trump a clairement exprimé sa préférence pour des accords bilatéraux plutôt que pour des négociations multilatérales. 

Les aspects politiques du conflit au Proche-Orient seront abordés lors d’une conférence mandatée par l’Assemblée générale des Nations Unies, sous l’égide de la France et de l’Arabie saoudite, à New York en juin. La réunion portera sur «la résolution pacifique de la question palestinienne ainsi que sur la solution à deux États et sa mise en œuvre». 

«Il est intéressant de constater que toute une série d’activités diplomatiques est déployée et que la convocation de la conférence sur la quatrième Convention de Genève fait partie intégrante de ces activités», note Vincent Chetail.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Zélie Schaller/op

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