France

Athlétisme : « Tu y vas pour la perf »… L’exode intriguant des jeunes athlètes français vers les universités américaines

On ne sait jamais avec Donald Trump. Un petit coup de soleil en pleine partie de golf, et hop une troisième Guerre mondiale. Un coca pas bien frais et les frontières fermées à tous les étudiants étrangers. Ça serait embêtant, car de plus de jeunes Français décident de traverser l’Atlantique pour fréquenter les universités américaines. Notamment ceux qui veulent mener de front études et sports de haut niveau, pour espérer un jour, pourquoi pas, disputer les JO.

Léon Marchand (natation), Clément Ducos (athlétisme), Camille Radosavljevic (water-polo)… Aux Jeux de Paris, ils étaient nombreux à s’être développés aux Etats-Unis. « En voyant toutes les performances des athlètes français aux Etats-Unis, tout bon athlète doit se pencher pour regarder s’il peut avoir un avenir ici, admet Maxime Wassmer, spécialiste du 400 m, arrivé à l’Azusa Pacific University, en Californie, en septembre. C’est sûr qu’il y a un effet Marchand et pour nous, athlètes, Ducos, qui a quand même fait 4e sur 400 mètres haies aux JO. »

Il est encore difficile d’estimer le nombre total de jeunes sportifs français partis se ruer vers l’or. Selon des chiffres fournis par la Fédération française d’athlétisme, « il existe 130 et 170 athlètes, du non-licencié jusqu’à l’athlète des équipes de France jeunes », présents aux Etats-Unis. Elite Athletes Agency, qui sert d’intermédiaire entre ces jeunes qui veulent partir outre-Atlantique et les institutions américaines, accompagne, tous sports confondus, entre 280 et 300 jeunes. Et elle n’est pas la seule sur marché, vu les demandes florissantes.

Scouting, agences et démarchages

Les agences reçoivent des demandes d’étudiants qui veulent construire un projet sportif et universitaire aux Etats-unis ou vont démarcher les sportifs en leur présentant une fac qui pourrait faire leur bonheur. Des coachs américains passent même parfois par elles pour recruter. « Il y a eu un gros effet pendant les JO, où il y a eu beaucoup plus de demandes rien que sur la natation, grâce à Léon Marchand, mais même dans les autres sports olympiques comme l’athlé », indique Theo Le Calvé, cofondateur de Scholarbook.

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Une sorte de supermarché des talents qui n’est pas du goût de Trey Brokaw. L’entraîneur et coordinateur du recrutement en athlétisme à l’université de Kansas States estime que les agences se font de l’argent sur le dos des sportifs, alors qu’il est largement possible de s’en passer.

« Un coach peut sur son téléphone regarder les résultats en France, au Kenya ou en Australie. On peut suivre les athlètes sur les réseaux sociaux, les connaître, leur envoyer un message. Soit on les contacte directement. Après, certains jeunes nous écrivent aussi. D’un autre côté, je suis allé aussi sur des Euro U18, des Mondiaux U20. J’ai repéré des athlètes dans 15 pays différents. Je suis allé en Europe pour rencontrer les recrues chez elles, discuter avec leurs parents, leurs coachs. Je leur ai partagé plus d’informations sur notre université et leur ai permis de me connaître. Cela fait la différence pour eux au moment de décider s’ils veulent venir aux Etats-Unis. »

« On a des difficultés à répondre à l’exigence »

Alors, quelles sont les raisons de cet exode ? « Beaucoup me disent qu’ils allaient à l’école toute la journée, puis devaient prendre les transports pour aller à l’entraînement en soirée, commente Trey Brokaw. Les professeurs et leurs écoles ne s’intéressaient pas nécessairement à l’athlétisme. Leur seul focus était les études. » Aux Etats-Unis, on a tout au même endroit : campus, staff médical, coachs, salles de cours, logements, cantines. En trois minutes à pied, on peut tout faire, avec en plus des entraîneurs payés et disponibles presque 24h/24 pour leurs ouailles.

Sans parler de l’aménagement de cours exceptionnel pour les élèves sportifs, dont la majeure partie s’exile avec des bourses complètes (aucuns frais à payer). Quinze heures de cours par semaine pour un bachelor en moyenne, neuf heures de cours par semaine pour un master. Le reste de la journée étant consacré à l’entraînement, aux compétitions, à la récupération (et un peu aux devoirs, quand même, on rassure toutes les mamans). Impossible à réaliser en France ?

« Sur les infrastructures et sur l’unité du lieu, on a des difficultés à répondre à l’exigence, même si avec les Pôles France et les Pôles Espoirs, on essaie de se mettre un peu au niveau, rétorque Romain Barras, directeur de la haute performance à la Fédération française d’athlétisme. On a malgré tout toujours des difficultés au niveau étatique de l’aménagement des études. Ça c’est problématique dans certaines filières. Nous, on propose à nos athlètes listés les accessions aux Pôles France. Pour les athlètes qui sont 5, 6, 10e français, on ne peut pas leur proposer d’aménagements, de rentrer dans une structure. »

« Le moyen le plus proche d’être pro sans l’être »

Pas classé parmi l’élite nationale, Pierre Chauveau a donc décidé de partir aux Etats-Unis, pour « continuer à essayer de vivre [son] rêve dans la course à pied ». Arrivé à l’université de Lee (Tennessee) il y a six mois, le spécialiste du fond est ravi : « Quand tu vas là-bas, t’y es pour la perf. C’est le moyen le plus proche d’être sportif pro sans l’être. » Tous nos jeunes expatriés assurent avoir franchi un cap dans leurs performances après quelques mois aux Etats-unis, comme Samuel Pavan, spécialiste du décathlon, membre de la Stephen F. Austin State University (Texas), qui espère être de la partie à Los Angeles en 2028 :

« Psychologiquement, te mettre là-dedans, ça n’a quand même rien à voir avec ce qu’on peut retrouver en France. Dans l’engagement à l’entraînement, j’ai beaucoup progressé. Aux haies et au poids, j’ai déjà fait mes records en début d’année, alors que normalement, on n’est pas encore à notre pic de forme. Et la hauteur en salle, j’ai fait ma meilleure perf depuis 2020. »

Romain Barras tient à tempérer cet état extatique de nos jeunes athlètes : « il y a souvent une progression à court terme. A moyen terme, quand on rentre dans le système américain, on est au service de l’université. La planification sportive individualisée passe après la planification sportive de la fac. Plus le niveau de l’athlète est haut, plus le suivi individuel est pris en compte. Clément Ducos avait par exemple négocié de ne plus faire autant de 400 m et de 4 x 400. Son niveau lui permettait d’avoir un poids de négociations. Ce n’est pas le cas de tous. »

« Beaucoup d’idées reçues »

De la petite dizaine de sportifs français interrogés en vue de cet article, un seul s’est plaint d’avoir atterri dans une mauvaise fac pour des raisons sportives et a fait les démarches pour changer d’université après un an de galère. Les autres ne s’estiment pas dépassés par le poids de l’université. « Il y a beaucoup d’idées reçues sur le fait que là-bas, ils nous essorent jusqu’à ce qu’on n’ait plus rien, que l’on est un peu l’esclave de la fac, complète Samuel Pavan. Alors qu’en fait, il y a quand même une grosse part d’humain, la prépa physique n’a rien à voir avec celle d’il y a dix, vingt ans. »

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Alors, avec le bouche à oreille et les performances des athlètes « américains » lors des grandes compétitions, l’exode n’est pas près de s’arrêter, même si la France essaie de se structurer pour garder ses meilleurs espoirs. « Là, on voit vraiment quelque chose qui commence à attirer à nouveau, parce qu’on y met les moyens, assure Romain Barras. Ça n’empêchera pas les athlètes à partir dans les universités américaines. Mais, aujourd’hui, des athlètes qui ont réellement réussi, mais vraiment réussi, en partant aux Etats-Unis, je n’en ai pas mille, je n’en ai pas dix. » Mais il est quand même probable pour que ça augmente d’année en année.