Oscars 2025 : « The Substance », « Emilia Pérez », « Flow »… Est-ce l’ère de la « French Touch » du cinéma ?
On a le sentiment que cette année sera encore une bonne année pour le cinéma français. Après le triomphe d’Anatomie d’une chute de Justine Triet l’an dernier (Palmes d’Or, Oscar du meilleur scénario, six César, deux Golden Globes…), la vague 2025 s’annonce à nouveau fructueuse.
Souvent annonciateurs des Oscars, dont les nominations sont annoncées ce jeudi à Hollywood, lors des Golden Globes une pluie de récompenses a inondé les films français, notamment Emilia Pérez de Jacques Audiard, The Substance de Coralie Fargeat et l’animé Flow produit en partie en France. Ce succès traduit-il une ère particulièrement rayonnante pour le 7e art tricolore, comparable à celui de la « French Touch » en musique ? « Clairement », répond sans détour Anaïs Bordages, journaliste et critique indépendante, spécialiste du cinéma et des séries.
Des réalisatrices en état de grâce
Le cinéma français a toujours « bénéficié d’une certaine aura » aux Etats-Unis, surtout à l’époque de la Nouvelle Vague et des films de François Truffaut et Jean-Luc Godard, souligne Marianne Chouchan, romancière et scénariste. Mais ça remonte aux années 1950-60. Alors que, selon Anaïs Bordages, depuis quelques années, « surtout depuis Titane de Julia Ducournau » et sa Palme d’Or, le cinéma français est en état de grâce.
Pour la critique de cinéma, on assiste à un véritable « renouveau parmi les réalisatrices françaises ». Et de rappeler les triomphes de L’Evénement d’Audrey Diwan à la Mostra de Venise, de Dahomey de Mati Diop à Berlin et d’Anatomie d’une chute de Justine Triet l’an dernier. Genre, féminisme, avortement… Des films qui traitent de thèmes féminins racontés par des femmes, « c’est une nouveauté », note-t-elle. Ces récompenses « montrent qu’elles sont reconnues à l’étranger ce qui crée un cercle vertueux pour tout le cinéma français », explique encore Anaïs Bordages.
Le tremplin des marches de Cannes
Les festivals internationaux ont alors prouvé leur influence certaine sur le reste des cérémonies, et notamment les grands-messes hollywoodiennes. Emilia Pérez et The Substance « qui brillent à l’étranger ont été montrés pour la première fois dans la dernière édition du festival de Cannes en 2024 », rappelle Sabrina Bouarour, maîtresse de conférences à la University of London Institute in Paris et spécialiste de cinéma. Avant ces longs-métrages, Anatomie d’une chute avait déjà cartonné sur la Côte d’Azur. « Il y a un vrai effet Cannes, le festival s’est montré précurseur et a réussi à créer un intérêt plus profond pour le cinéma français », abonde Anaïs Bordages.
Flow est un peu à part. Le film d’animation letton-franco-belge muet met en scène un monde apocalyptique après la montée des eaux, vu et vécu par les animaux. Et lui aussi est reparti avec une panoplie de statuettes du Festival international du film d’animation d’Annecy avec les prix du jury, du public, de la Fondation Gan à la Diffusion, et de la meilleure musique originale. « Tous ces prix reçus dans des festivals internationaux estampillent les films d’un gage de qualité et contribuent à les faire exister dans un marché du film toujours plus concurrentiel et dominés par l’anglais », appuie Sabrina Bouarour.
Une cuisine française
Quand la Nouvelle Vague mettait en avant un style à la fois cérébral et audacieux dans la mise en scène, les films qui font la renommée actuelle du cinéma français actuel sortent des cases. Selon Sabrina Bouarour, « leur point commun est de brouiller les frontières entre films de genre, c’est-à-dire des films dits commerciaux et populaires, et films d’auteur. Les cinéastes français réutilisent les codes de genre pour servir leur mise en scène et leur vision ».
Et osent parfois même mélanger plusieurs genres comme Jacques Audiard dans Emilia Pérez, à la fois comédie musicale, soap et thriller. Le tout porté par un casting multilingue capable de séduire différentes communautés, et notamment le public américain hispanophone. « The Substance est un film d’horreur gore teinté d’humour avec un regard féministe » et « Anatomie d’une chute croise film de procès, policier et thriller », argumente encore la maîtresse de conférences. Même si toutes, ou presque, sont des coproductions internationales, elles ont été tournées en France, des studios de Bry-sur-Marne à ceux d’Epinay en passant par la Savoie et les studios d’animation entre la France et la Belgique. « Des ressources de production françaises mises au service de films dont les histoires dépassaient le cadre hexagonal », résume Sabrina Bouarour.
Une actualité sublimée
Le vieillissement du corps des femmes dans The Substance, les questions d’identité transgenre dans Emilia Perez, la domination des rapports hommes et femmes dans Anatomie d’une chute, le dérèglement climatique dans Flow… Tous ces thèmes sont brûlants d’actualité. « Ces sujets dans l’air du temps correspondent à des préoccupations et des problématiques très contemporaines » et s’exportent très bien aux Etats-Unis, souligne Sabrina Bouarour.
« Ça plaît à l’étranger car c’est dans le courant alors que si on enlève la question de la transidentité, le film [Emilia Pérez] est vide », critique pour sa part Marianne Chouchan qui ne « comprend pas l’engouement » pour l’œuvre de Jacques Audiard. Le film a davantage séduit un public averti que les salles américaines. S’il devrait rafler quelques récompenses de plus aux Oscars, le drame musical n’a pas explosé ses recettes, cumulant 8.16 millions d’euros dans le monde, selon le site JP Box-office pour un budget estimé à 25 millions d’euros, d’après les calculs du Monde. A l’inverse, The Substance a rassemblé un budget de 16,80 millions d’euros et s’en sort avec un cumul de 43,29 millions d’euros, soit une rentabilité de 258 %.
Des films pas en français
Cette œuvre percutante, travaillée et originale de Coralie Fargeat a aussi la particularité de mettre Demi Moore en scène, une star un peu perdue de vue par Hollywood. « Ce come-back aurait beaucoup moins bien fonctionné avec une actrice française » souligne Anaïs Bordages. Jacques Audiard a aussi joué cette carte en choisissant Selena Gomez, actrice et chanteuse chérie de la pop culture, dans le rôle de l’épouse du personnage principal. « Ces cinéastes mettent en scène des stars américaines en les dirigeant à contre-emploi de leurs rôles habituels. Le public américain redécouvre ainsi des actrices de leur propre culture sous un jour nouveau », remarque Sabrina Bouarour.
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Le petit truc en plus : proposant des dialogues en anglais ou en espagnol, voire pas de dialogue du tout, toutes ces œuvres se rendent accessibles à un public international. D’ailleurs, à la sortie de la projection de The Substance à Cannes, Anaïs Bordages entendait le public découvrir et s’étonner que le film était français. Un peu comme pour Daft Punk et sa French Touch, qui n’en finissent pas de faire le tour du monde des radios grâce à cette touche universelle.