Tunisie

Tunisie : Ridha Chkandali réclame la fin des retraites politiques

Ridha Chkandali a publié ce lundi une note sur sa page officielle Facebook, revenant sur une rencontre tenue dimanche 2 novembre 2025 avec plusieurs députés, à l’invitation du président de leur parti. L’économiste a exprimé ses réserves sur l’augmentation de 900 millions de dinars de la masse salariale, insuffisante pour préserver le pouvoir d’achat, surtout avec l’embauche de plus de 51 000 nouveaux agents publics.


L’économiste et universitaire Ridha Chkandali a publié ce lundi sur sa page officielle Facebook une note faisant le point sur une rencontre qui a eu lieu la veille, dimanche 2 novembre 2025, avec plusieurs députés, à l’invitation du président de leur parti. Au cours de cette rencontre, il a présenté son analyse du projet de loi de finances et du budget de l’État pour 2026, en formulant une série de recommandations économiques, sociales et budgétaires.

Dans son exposé, Chkandali a souligné que la conjoncture économique mondiale de 2026 devrait être favorable à la Tunisie. Selon lui, la zone euro, principal partenaire du pays, devrait connaître une reprise de la croissance, tandis que les prix du pétrole pourraient descendre sous les 55 dollars le baril à la suite de la décision de l’OPEP+ en octobre 2025 d’augmenter sa production. De plus, les cours du blé tendre pourraient tomber en dessous de 250 dollars la tonne, ce qui allégerait la pression sur les importations tunisiennes.

**Une croissance nationale fragile et déséquilibrée**

L’économiste a cependant mis en garde contre la fragilité de la croissance tunisienne, qui repose presque uniquement sur la consommation privée, le seul moteur encore en état de fonctionner. Les investissements privés et les exportations restent faibles, tandis que l’investissement public souffre d’un faible taux d’exécution.

Il a donc appelé à ce que la loi de finances 2026 soutienne le pouvoir d’achat des Tunisiens, renforce les secteurs de l’agriculture et du tourisme, et stimule les transferts des Tunisiens de l’étranger. Selon lui, le projet doit également viser à relancer l’investissement privé et accroître les exportations pour réaliser un taux de croissance de 3,3 %, supérieur aux 2,4 % prévus par la Banque mondiale.

Par ailleurs, Chkandali a critiqué la faible capacité de l’État à exécuter son budget en 2025, en particulier concernant les dépenses sociales et les projets publics, soulignant que l’administration s’est majoritairement concentrée sur le remboursement de la dette intérieure et extérieure, au détriment des besoins essentiels des citoyens.

Il a jugé que la politique d’autosuffisance financière proclamée par le gouvernement “n’est qu’un slogan”. En réalité, celui-ci continue d’accroître son recours à l’endettement extérieur, sans réussir à mobiliser les financements, se tournant finalement vers l’endettement intérieur, notamment par le biais d’emprunts directs auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT).

**Encadrer strictement les emprunts auprès de la BCT**

Pour éviter toute dérive, Chkandali a proposé que les emprunts directs de la BCT soient plafonnés au niveau des dépenses d’investissement et interdits pour financer les dépenses courantes. Il a également conseillé de créer une commission de suivi composée de représentants du Parlement, du Conseil des régions et districts, de la BCT et du ministère des Finances, responsable de contrôler l’utilisation de ces fonds à des fins productives.

Sur un autre plan, l’universitaire a dénoncé la vision limitée de l’État social dans le projet de loi, jugé réduit à l’emploi public, l’augmentation des salaires et le rééquilibrage des caisses sociales. Il a rappelé que le véritable rôle social de l’État consiste à améliorer la qualité des services publics, en particulier dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports.

Chkandali a qualifié de “non justifiée” la générosité des avantages accordés aux entreprises communautaires, considérant qu’elle favorise l’économie de rente et freine l’initiative privée. Il a aussi constaté que les lignes de financement prévues sont trop faibles pour encourager les entrepreneurs à les solliciter.

Selon lui, le projet de loi de finances 2026 est avant tout une loi fiscale, les recettes tributaires augmentant de 3,3 milliards de dinars, soit plus que l’augmentation globale des recettes, ce qui en fait une loi comptable dépourvue de vision de développement.

L’économiste a également mis en avant la baisse du budget du ministère de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines, ce qui est en contradiction avec les besoins pressants de la région de Gabès, notamment pour la remise à niveau du complexe chimique et le renouvellement du matériel ferroviaire pour le transport du phosphate.

**Réformes du FMI et perspectives de financement**

Il a émis des réserves concernant l’augmentation de 900 millions de dinars de la masse salariale, jugée insuffisante pour préserver le pouvoir d’achat, surtout avec l’embauche de plus de 51 000 nouveaux agents publics. Chkandali a noté que la Tunisie progresse dans les réformes demandées par le FMI, notamment grâce à la réduction du poids des subventions et de la masse salariale dans le PIB, ce qui devrait faciliter les négociations pour obtenir un nouveau prêt à un coût réduit.

Face à ce constat, l’économiste a proposé une série de mesures concrètes, en commençant par l’affectation d’une partie de l’emprunt direct auprès de la Banque centrale à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG) pour financer l’acquisition de panneaux photovoltaïques. Cette initiative permettrait aux ménages tunisiens ainsi qu’aux entreprises d’acheter ces équipements à un coût réduit.

Elle contribuerait à diminuer les factures d’électricité et de gaz, à réduire les coûts énergétiques pour les industriels, et à abaisser les prix des produits fabriqués, jouant ainsi un rôle significatif dans la réduction du taux d’inflation. Ce dispositif pourrait également diminuer le déficit financier de la STEG, maîtriser le déficit énergétique et commercial, et renforcer les réserves en devises ainsi que la stabilité du dinar tunisien.

Chkandali a en outre recommandé que l’État commence par équiper ses propres administrations en panneaux solaires, celles-ci étant parmi les moins performantes dans le respect de leurs engagements envers la STEG, tout en servant d’exemple en matière de rationalisation de la consommation énergétique.

Il a aussi suggéré de supprimer le privilège accordé aux ministres, secrétaires d’État, chefs de gouvernement, gouverneurs et députés qui leur permet de bénéficier d’une pension de retraite après seulement deux ou cinq années de service. Selon Chkandali, personne ne souffrira de la suppression de ce privilège, puisqu’ils auraient droit à leur pension intégrale en se basant sur leur profession d’origine, le salaire ministériel ou parlementaire étant intégré dans le calcul proportionnellement à la durée du mandat, comme c’est le cas pour tout citoyen tunisien ordinaire devant travailler 35 ans pour obtenir sa retraite.

“Être ministre est une responsabilité et une mission au service de la nation, pas une récompense”, a-t-il déclaré. Il a ajouté que le nombre élevé de responsables bénéficiant de cet avantage injuste justifie son abolition, cela pouvant contribuer, même partiellement, à alléger les caisses sociales, tout en rétablissant l’équité entre les citoyens.

Si une étude prouve que les taxes sur les carburants dépassent le montant des subventions qui leur sont consacrées, Chkandali recommande de supprimer ces subventions et, en contrepartie, d’augmenter temporairement (mais uniquement lorsque les prix mondiaux du pétrole augmentent) le droit de circulation pour les voitures de plus de 9 chevaux fiscaux ou les voitures de luxe.

Il a également proposé de soutenir les éleveurs par des subventions sur les aliments pour bétail, afin de rendre l’élevage d’ovins et de bovins plus attractif et rentable, permettant ainsi de faire baisser sensiblement les prix des viandes rouges, blanches et des œufs.

Chkandali a recommandé de réduire progressivement l’imposition sur les pensions de retraite pour permettre aux retraités de vivre plus dignement après de longues années de service au bénéfice de la nation. Concernant l’impôt sur la fortune, il a mis en garde contre une mesure dangereuse dont de nombreux pays se sont éloignés après l’avoir mise en œuvre.

Selon lui, cet impôt pourrait inciter les Tunisiens à fragmenter leur patrimoine ou à transférer leurs économies vers l’économie parallèle, augmentant ainsi l’ampleur de ce secteur informel. Il a ajouté que la nouvelle loi sur les chèques contribue déjà à l’expansion de l’économie parallèle, en raison de l’augmentation du volume de liquidités circulant sur le marché.

L’économiste a également dénoncé la multiplication des frais bancaires, dont beaucoup sont illégaux, en soulignant que les banques en tirent un profit conséquent. Il a appelé les députés à agir pour réduire ces frais et à tenir la Banque centrale pleinement responsable de leur contrôle.

Sur le plan social, il a affirmé que le rôle social de l’État est incompatible avec des prix de médicaments élevés. Il a donc exhorté les autorités à réduire ces prix afin de les adapter au pouvoir d’achat des citoyens affaibli.

Enfin, pour stimuler l’investissement privé et la croissance économique, Chkandali a préconisé d’instaurer un taux d’imposition dégressif sur les bénéfices des entreprises, en fonction du niveau de profit réalisé. Ainsi, plus le bénéfice d’une entreprise augmente, plus le taux d’imposition diminue.

Cette mesure inciterait les sociétés à déclarer leurs bénéfices réels, réduirait la fraude fiscale et permettrait à l’État d’augmenter ses recettes fiscales.

En conclusion, Ridha Chkandali a plaidé pour une loi de finances 2026 plus réaliste, équitable et productive, centrée sur le renforcement de la consommation, la valorisation du travail productif et la justice fiscale, estimant que le développement passe par la confiance, la transparence et la qualité de la dépense publique.