Tribune – Soixante-cinq ans après : Les premiers Casques bleus tunisiens
Le gouvernement tunisien a donné son feu vert à la participation de l’armée tunisienne dans une mission de maintien de la paix au Congo, et le 14 juillet 1960, les premiers soldats du contingent tunisien, commandés par le Colonel Lasmar Bouzaiane, sont partis pour Léopoldville. La Brigade tunisienne a accompli sa mission de maintien de la sécurité dans la province du Kassai en trois mois, et le général suédois Carl Von Horn a déclaré Luluabourg ville pacifiée.
Le gouvernement tunisien a donné son approbation pour la participation de l’armée tunisienne à une mission de maintien de la paix au Congo. Un défi urgent s’est alors présenté à l’état-major tunisien. En quelques jours, il devait former, en utilisant des unités existantes et par voie de volontariat, deux bataillons d’infanterie, qui ont été désignés comme le 9ème et le 10ème bataillon.
L’état-major a travaillé sans relâche, jour et nuit, pour créer, organiser, équiper, armer et préparer deux mille cinq cents hommes à partir pour une opération située à plusieurs milliers de kilomètres de la Tunisie. Les volontaires ont afflué de toutes parts, et les unités stationnées le long de la frontière ont été peu sollicités pour cette mission.
Le 14 juillet 1960, les premiers soldats du contingent tunisien, sous le commandement du Colonel Lasmar Bouzaiane, ont quitté la Tunisie à destination de Léopoldville pour une mission qui allait durer trois ans. Cette brigade était constituée de deux bataillons d’infanterie et de plusieurs unités de soutien, dont une compagnie de musique qui a connu un grand succès.
Le défi de devenir les premiers Casques bleus à fouler le sol congolais a été relevé avec succès grâce à un important pont aérien à l’aide d’avions américains *Globemaster*, permettant le transport rapide de l’ensemble du contingent en quelques jours.
Les forces des Nations Unies, rassemblées à Léopoldville, avaient quatre missions principales :
1. Remplacer rapidement les unités belges qui maintenaient l’ordre.
2. Prendre la place des troupes ambiguës de l’ANC, contrôler leurs activités et, par la suite, les transformer en une force fiable.
3. Établir le libre mouvement des forces de l’ONU à travers le pays.
4. Se préparer à empêcher toute intervention extérieure unilatérale.
La brigade tunisienne, après avoir reçu les équipements spécifiques, a été affectée à la province du Kassai, où le Premier ministre Albert Kalonji était sur le point de déclarer l’indépendance. La mission confiée à la brigade tunisienne consistait à « maintenir la sécurité et l’ordre public dans la province », tout en neutralisant l’ANC et en désarmant ses membres, qui opéraient sans commandement et créaient la terreur parmi la population.
Cette opération a été réalisée en un temps record. Nos troupes ont passé de nombreuses heures à dialoguer avec les chefs tribaux, leur expliquant l’absence de différences entre un Lulua, un Baluba, un Batshok ou un Botendé. Nous leur rappelions que toutes ces tribus formaient ensemble une province où ils devaient cohabiter en sécurité et en harmonie.
Convaincre des chefs tribaux endeuillés par des combats fratricides pour des raisons futiles n’a pas été simple. Au début de notre mission, nous avons rencontré de nombreuses difficultés pour obtenir des résultats positifs. Nous avons même dû faire preuve de force pour séparer les factions et, à chaque intervention, saisir les armes utilisées, y compris des armes modernes volées ainsi que des explosifs dérobés à des mines, employés pour fabriquer des bombes artisanales.
Ces conflits entre tribus entraînaient parfois des centaines de morts, qu’il était impératif d’enterrer rapidement dans des fosses communes pour éviter les épidémies. Nos officiers et sous-officiers se sont distingués par leur intelligence et leur savoir-faire, nouant d’excellentes relations avec la population.
Notre appartenance à l’Afrique a servi de point d’ancrage et de moteur dans nos interactions avec les Congolais. Sensibles à notre discours sincère et à notre volonté d’aider, ils nous ont soutenus, facilitant ainsi notre mission.
Certaines figures officielles, comme le Colonel Hamida Ferchichi, ont brillamment contribué à cette opération de pacification. Il a rapidement appris le tshiluba, langue la plus parlée de la province, lui permettant d’interagir directement avec les habitants. Son efficacité a été couronnée de succès en très peu de temps.
En trois mois, la brigade a rétabli la paix et la sécurité dans la province, ce qui a conduit le *Prince du Kassai*, surnom donné au Colonel Lasmar par le général suédois Carl Von Horn, commandant des forces de l’ONU au Congo, à déclarer Luluabourg ville ouverte, c’est-à-dire pacifiée.
Les Congolais, tant les autorités que la population, ont compris que notre mission se résumait à les aider à s’administrer et à gérer leurs propres affaires. La vie a rapidement repris son cours normal, avec la police et la gendarmerie retrouvant leurs fonctions et les maires s’occupant de l’administration de leurs villes.
Nous avons déploré la disparition de plusieurs de nos hommes, dont le sergent-chef Belkhairia. Le commandement des Forces de l’Onuc a été étonné par la rapidité avec laquelle notre mission a été exécutée et par les résultats positifs obtenus, notamment dans la pacification d’une province plus vaste que notre propre pays.
C’est pourquoi, face aux problèmes de sécurité croissants à Léopoldville, il a été décidé en octobre 1960 de remplacer la brigade tunisienne par la brigade ghanéenne afin de maintenir l’ordre et la sécurité dans cette capitale peuplée de plusieurs millions d’habitants. Cela visait également à éviter une implication plus profonde des troupes ghanéennes dans les affaires congolaises, le Ghana ayant soutenu dès le départ le Premier ministre Patrice Lumumba.
Le commandement militaire de l’Onuc à Léopoldville est passé sous l’autorité de la brigade tunisienne le 11 novembre 1960 à midi. La nouvelle mission de notre brigade s’annonçait complexe, car la situation à Léopoldville était délicate, marquée par une atmosphère incertaine et tendue.
La brigade a commencé son installation à Léopoldville tout en exerçant sa mission délicate de maintien de l’ordre dans cette grande ville, entourée de bidonvilles où résident des centaines de milliers de Congolais, dont beaucoup avaient quitté la brousse pour chercher une vie meilleure en ville.
Bien que l’enceinte européenne soit relativement calme, les cités indigènes étaient constamment agitées par des rumeurs et l’ivresse, rendant la situation explosive. Les nombreux partis politiques présents au Congo compliquaient également nos efforts. Les alliances politiques évoluaient rapidement, ce qui ajoutait un niveau d’incertitude.
La situation a atteint un point critique en novembre 1960, lorsque des militaires de l’ANC, soutenus par des troupes et des automitrailleuses, ont encerclé la résidence de l’ambassadeur du Ghana, récemment déclaré persona non grata. Les soldats congolais ont tenté de l’arrêter pour l’expulser, mais sa résidence, bénéficiant de l’immunité diplomatique, était sous la protection des Forces de l’Onuc.
Un détachement tunisien était chargé de sa sécurité. Les éléments de l’ANC, déterminés à arrêter l’ambassadeur, ont ouvert le feu sur nos troupes après de longues discussions infructueuses. Ce fut l’incident le plus grave et le plus critique auquel les Forces de l’Onuc et spécifiquement les troupes tunisiennes ont été confrontées durant leur présence en République du Congo.
Cet incident malheureux a été exploité tendanciellement par les partis politiques anti-Onu. (À suivre).
B.B.K.
(Ancien sous-chef d’état-major de l’armée de terre, ancien Casque bleu au Congo et au Katanga, ancien gouverneur)
N.B. : Les opinions émises dans ces tribunes n’engagent que leurs auteurs. Elles sont l’expression d’un point de vue personnel.

