« My Father’s Scent de Maahamed Siam : Nuit des pères et des fils »
My Father’s Scent est le premier long métrage de fiction du réalisateur égyptien Mahamed Siam. Le film traite de la relation d’un père, Omar, et de son fils cadet, Farouk, pendant la première et dernière rencontre après six mois passés dans le coma.
Il y a des films qui avancent doucement, comme s’ils craignaient de réveiller les fantômes qu’ils évoquent.
La Presse — My Father’s Scent, le premier long métrage de fiction du réalisateur égyptien Mahamed Siam, en fait partie. Ce film nocturne, presque suffocant, se déroule dans l’ombre d’une maison à Alexandrie et explore les complexités d’une relation père-fils, marquée par les non-dits, la dureté des mots et l’incapacité d’aimer de manière autre que maladroite.
Après six mois dans le coma, Omar, le père, rentre chez lui, comme en revenant d’un voyage sans histoire. La maladie est présente, lourde, mais abordée avec une étrange indifférence, comme si le retour d’un corps au bord de la mort n’était qu’un détail supplémentaire dans une vie déjà éprouvée. Ce retour, presque ordinaire dans sa mise en scène, provoque cependant une explosion émotionnelle. Cette nuit sera la première véritable interaction entre un père et son fils cadet, Farouk… et la dernière. Une nuit où toute la tendresse sera encapsulée dans un flacon d’eau de Cologne.
Mohamed Siam construit son film comme un huis clos tendu, résonnant comme un drame théâtral. La caméra peine à se mouvoir, elle obseve, encadre, enferme. Elle épouse les murs de la vieille maison, ses couloirs étroits, ses pièces chargées de souvenirs et de rancœurs. L’espace devient un lieu mental et affectif, presque carcéral. La mise en scène mise sur la retenue et la précision, en évitant tout effet spectaculaire. Ici, la violence n’éclate pas : elle transpire.
La lumière est l’un des éléments centraux du film. Elle est noyée, embrumée, filtrée par la pluie incessante d’Alexandrie. L’image semble souvent planer dans un état d’indécision visuelle, comme si le regard de Farouk était embrouillé, tantôt par des larmes, tantôt par la fatigue ou la drogue, ou encore par l’incapacité de voir son père autrement que comme une figure écrasante. Les reflets urbains sur le pare-brise, la diffraction des lumières nocturnes dans les gouttes de pluie créent un paysage intérieur où tout paraît flou, incertain et douloureux. Une esthétique de l’effacement et de l’étouffement, révélant le besoin de purification face à l’impossibilité de laver le passé. Les performances des acteurs sont d’une justesse remarquable. Kamel El Basha incarne un père rude, parfois cruel, pris au piège d’un patriarcat dont il est à la fois l’incarnation et la victime. Sa méchanceté est directe, brutale, mais jamais gratuite : elle laisse transparaître un amour mal formulé, un attachement déformé par l’autorité et l’orgueil. En face, Ahmed Malek livre une interprétation bouleversante. Son fils Farouk, tel un Hamlet contemporain, est habité par une colère sourde, une nonchalance trompeuse dissimulant un manque abyssal, une tendresse inhibée et une immense quête de reconnaissance. Leur conflit est un duel de silences et de mots dévastateurs, où chaque phrase semble porter le poids d’années de malentendus. La cruauté des échanges n’efface jamais le potentiel d’amour, mais au contraire, elle en révèle la profondeur tragique. My Father’s Scent aborde cette difficulté masculine à exprimer l’affection, cette virilité toxique qui privilégie la domination au dialogue, la dureté à la vulnérabilité. La maladie, le coma, la proximité de la mort sont abordés sans pathos, presque avec indifférence, comme si la vie elle-même avait perdu son caractère exceptionnel. Se réveiller après six mois d’absence devient un non-événement, une absurdité dans un quotidien déjà fracturé.
En revisitant les moments qui précèdent la mort du père, le film ne recherche pas le suspense mais la compréhension. Il avance par petites touches, par des révélations minimes, laissant au spectateur le soin de reconstruire l’histoire affective de cette famille brisée. Le scénario s’enfonce dans la complexité des émotions, avec une ironie amère et une profonde mélancolie.
Il soulève, en subtilité, cette question vertigineuse : si chacun d’entre nous avait droit à une dernière nuit avec ceux que nous avons perdus, choisirions-nous de résoudre nos différends… ou d’oser enfin aimer ? Un film dense, contenu, profondément humain, que Mohamed Siam dédie “à tous les pères” — et, peut-être surtout, à tous les fils en quête de mots.

