Malgré son retard sur l’IA, l’Afrique ne veut pas rester en marge de la révolution technologique


L’Afrique n’a pas été oubliée au Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA). Le grand raout organisé à Paris, lundi 10 et mardi 11 février, avec un souci d’inclure les pays du Sud, a été l’occasion, notamment, de faire la promotion du futur « Conseil africain de l’IA » annoncé début février par Smart Africa, une alliance d’une quarantaine d’Etats visant à promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies sur le continent. L’organe devrait être lancé officiellement lors du Sommet mondial sur l’IA en Afrique, prévu début avril à Kigali (Rwanda).
Mais si l’Afrique revendique d’avoir voix au chapitre, une question demeure : comment peut-elle prendre part à la révolution en cours tout en partant avec un grand temps de retard ? Selon un scénario favorable, l’IA pourrait permettre de répondre efficacement à certains des maux les plus pressants : en compensant les lacunes des systèmes éducatifs et de santé, en améliorant les rendements agricoles ou en facilitant l’accès aux services financiers pour une population encore largement exclue du système bancaire.
L’Afrique a d’ailleurs vu émerger quelques belles pépites du secteur, comme la start-up tunisienne InstaDeep, rachetée en 2023 par le laboratoire allemand BioNTech. Cette société, qui a élaboré un système d’alerte sur les variants du Covid-19, développe aujourd’hui une solution pour lutter contre les essaims de criquets pèlerins, particulièrement dévastateurs dans certains pays africains.
Pour autant, la mise au point d’une IA « made in Africa » se heurte à de nombreux handicaps, à commencer par le déficit d’infrastructures numériques. L’Afrique subsaharienne, en particulier, est la région la moins bien équipée au monde pour pouvoir saisir les opportunités de l’IA, selon l’indice 2023 de degré de préparation à l’IA d’Oxford Insights. Une position de « retardataire » qui tient à la faible disponibilité d’Internet, à son coût relativement élevé et à la mauvaise qualité des connexions.
« Effet transformateur »
Cette situation est aggravée par la pénurie de data centers. Le continent héberge moins de 2 % de ces équipements indispensables pour traiter les masses de données qui nourrissent les applications basées sur l’IA. Seuls 5 % des talents africains du secteur ont aujourd’hui accès à la puissance de calcul et aux ressources nécessaires pour effectuer des tâches complexes, selon une analyse d’Alex Tsado, fondateur d’Alliance4AI, une communauté d’experts basée en Afrique du Sud. A cette contrainte s’ajoutent un manque de compétences locales et un contexte de sous-financement pour les entreprises technologiques du continent.
« L’Afrique est très désavantagée et bien qu’elle représente 17 % de la population du globe, elle produit moins de 1 % de l’IA mondiale », relève Bright Simons, analyste au sein du cercle de réflexion ghanéen Imani, en faisant référence à l’élaboration de modèles d’apprentissage automatique et de langage, mais également à la rédaction d’articles de recherche consacrés à cette technologie.
Fondateur de la société mPedigree, spécialisée dans la lutte contre la contrefaçon pharmaceutique, Bright Simons estime néanmoins que l’IA peut avoir un « effet transformateur » : non pas via de nouvelles solutions créées spécifiquement en Afrique, mais grâce à l’intégration de modèles déjà existants et leur utilisation par les entreprises du continent. Ce à quoi s’emploie mPedigree pour améliorer la détection de médicaments contrefaits.
« Il ne faut pas partir perdant », exhorte pour sa part Babacar Seck, fondateur d’Askya Investment Partners, une société basée à Dakar et qui cible des entreprises spécialisées dans la tech et l’IA, en insistant sur les changements à l’œuvre sur le continent : une courbe d’adoption des nouveaux services numériques rapide grâce à une population jeune en forte croissance, des cycles de formations spécialisées qui se développent de l’Afrique du Sud au Maroc en passant par l’Ouganda, mais aussi la multiplication de projets autour de la fibre optique et des data centers portés par les Big Tech et d’autres opérateurs privés.
« Oui, il faut plus d’infrastructures, mais on peut déjà faire davantage avec ce qu’on a, poursuit Babacar Seck. Ce dont nous avons encore plus besoin, c’est d’accélérer le développement d’un écosystème IA africain, de la recherche aux start-up, en boostant les investissements et les partenariats avec les grandes entreprises. »