« Le complexe de Staline » : satire d’Abdelouahab Aïssaoui sur le réel.
« Okdat Staline » ou « Le Complexe de Staline » est le nouveau roman de l’écrivain algérien Abdelouahab Aïssaoui, publié aux éditions Meskiliani. Le roman est actuellement en lice, à côté de trois autres livres, pour le Prix littéraire Abou El Kacem Chebbi.
À la première page de son roman, l’auteur Abdelouahab Aïssaoui cite un extrait de « Candide » de Voltaire, annonçant ainsi l’histoire à venir et la réflexion philosophique qui la traverse à travers ses 190 pages.
« Okdat Staline » ou « Le Complexe de Staline » est le dernier ouvrage de l’écrivain algérien Abdelouahab Aïssaoui, publié aux éditions Meskiliani. Formé en ingénierie, Aïssaoui a déjà écrit sept ouvrages, entre romans et recueils de nouvelles. Son roman le plus reconnu, « Eddiwen El Isbarti », lui a permis de décrocher en 2021 le Prix international du roman arabe (Booker).
« Le Complexe de Staline » est actuellement en compétition, aux côtés de trois autres livres, pour le Prix littéraire Abou El Kacem Chebbi.
Le récit commence avec la phrase choc : « J’aime Staline. » Ameur, le personnage principal, se retrouve alité à l’hôpital suite à un traumatisme aux séquelles graves et irréversibles. Les circonstances de son accident et l’identité de ce mystérieux Staline ne sont pas révélées, poussant le lecteur à avancer dans une analepse fluide.
Les souvenirs d’Ameur se développent sur cinq chapitres, correspondant à cinq nuits de partage intimiste avec Khira, l’infirmière qui l’accompagne. Il commence même à évoquer sa naissance dans un village nommé « El Mafkouda », signifiant « la perdue ».
Ce nom révèle beaucoup sur la vie rurale en Algérie durant les années 1970, où simplicité et isolement balisent le quotidien. Les villageois sont repliés sur eux-mêmes, avec la ville proche comme unique ouverture, et les liens familiaux ainsi que l’espoir d’un meilleur avenir y tiennent une place prépondérante.
Le narrateur décrit des personnages emblématiques de cette société : un père obsédé par l’armée, qui collectionne des chaussures de soldats jusqu’à ce que cela lui coûte cher ; une mère naïve mais combative, persuadée que les marabouts peuvent résoudre tous les problèmes ; un frère et deux sœurs aux tempéraments différents ; et un oncle presque caricatural, suivis d’une épouse autoritaire issue de la haute société.
La narration, qui n’est pas linéaire, se concentre sur des thèmes, laissant au lecteur le soin d’assembler les morceaux pour reconstituer l’histoire. Le tout est animé par un rythme rapide et une ironie subtile, perceptible dans les réactions des personnages et les commentaires d’Ameur. Si le récit est rédigé en arabe littéraire, les dialogues utilisent le dialecte algérien et le français, renforçant ainsi l’authenticité des échanges.
Malgré les épreuves qui le touchent ainsi que son entourage, Ameur reste rêveur, parfois provocateur par sa servilité excessive, rappelant ainsi Candide. Impressionné et résigné, il ne se soulève jamais vraiment contre les adversités. Son mariage avec Sonia semble offrir une issue entre son village isolé et la capitale, mais des obstacles linguistiques, sociaux et économiques anéantissent rapidement ses illusions.
L’histoire juxtapose le chien menant une vie confortable à l’homme qui endure « la vie de chien », révélant une ironie mordante sur l’inversion des valeurs et la cruauté du réel.
Au fil de son récit, Ameur aborde des thèmes poignants de manière explicite ou par des allusions ironiques : les relations de l’armée sous Boumédiène, les élections manipulées, la superficialité des milieux riches… Le titre suggère aussi une remise en question. Avec légèreté et critiques acerbes, cette fiction apparaît comme une satire révélant les absurdités de la réalité.
Ce n’est qu’au cinquième chapitre, intitulé « Staline qui m’a sauvé de l’égarement », que l’identité de son bienfaiteur et les circonstances de leur rencontre sont enfin dévoilées. Jusqu’à la dernière page, Ameur continue de rêvasser, comme vivant dans « le meilleur des mondes possibles ».
Les amputation subie par son père, qui lui coûtera la vie, et celle qu’Ameur endure à son tour sont deux allégories fortes, appelant à une lecture symbolique. Le roman se termine comme il a commencé, avec une référence à Candide. Dans le discours du médecin, l’appel à « cultiver le jardin » devient une métaphore invitant à une détermination collective pour bâtir un avenir meilleur.

