Tunisie

« Laroussa » de Selma et Sofiane Ouissi : Danse et argile en fusion.

Selma et Sofiane Ouissi ont créé un voyage vers un monde inconnu, où les gestes ancestraux des femmes potières de Sejnane sont célébrés. Dans «Laroussa», les images en mouvement rendent l’enchaînement des mains plus ample, plus grand, plus intense.

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Une célébration du lent, un chant muet offert à la terre

La Presse — À l’origine, il y a eu le geste, la genèse d’un projet qui a longtemps mûri, formant une trajectoire créative. Cette origine est marquée par la rencontre avec des femmes potières, avec la terre, le souffle du vent et le crépitement du feu. L’élément déclencheur fut le toucher, les sens éveillés au contact des regards échangés, ceux de ces femmes créatrices, des femmes-totem portant un geste ancestral en héritage.

D’abord, une curiosité, une contemplation puis une transmission. Selma et Sofiane Ouissi ont initié un voyage vers un monde méconnu, où la terre rouge se façonne, prenant forme sous nos yeux comme de vieux dessins rupestres. Les formes, les figures et les poupées témoignent des multiples facettes d’un génie créatif défiant le temps, conjurant le sort et affrontant la peur de l’inconnu.

À Dream City, le parcours de «Laroussa» a débuté avec ses fragments à la caserne Attarine. À travers la reconstitution d’un atelier vivant et une immersion dans la pratique artistique développée par Selma et Sofiane Ouissi, les gestes ancestraux des femmes potières de Sejnane sont célébrés : lents, précis, transmis de mère en fille, ils s’inscrivent dans la terre et le temps.

Le public y est convié à plonger, à s’incarner dans la matière, à laisser ses mains s’exprimer avant même les mots. Tout commence par l’acte de créer ; un geste, un fragment, une lenteur offerte. On apprend en touchant, en façonnant, en écoutant la terre respirer. Cet espace suspendu se transforme en mémoire en mouvement, un atelier d’attention où chaque marque évoque une filiation invisible.

Laaroussa Fragment prolonge l’essence de «Laaroussa Quartet», établissant un dialogue entre l’artisanat et la vie, entre le corps et la création. Un geste transmis de femme à femme donne naissance à une parole silencieuse, une force douce reliant les époques.

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Nous arrivons au spectacle sur la scène du Rio, où les corps de femmes-danseuses murmurent leurs récits, répétant le même récit, avec un geste identique qui se reproduit à l’infini, synchronisé, décalé, précis et maîtrisé. Chaque geste donne vie à une forme, conservant la chaleur des mains qui l’ont créée. Ici, l’art devient rencontre, la matière se transforme en mémoire, et la mémoire en promesse.

Dans «Laroussa», la pièce, les images en mouvement (vidéo) amplifient l’enchaînement des mains, le rendant plus ample, plus grand et plus intense. Les gros plans et les inserts multiplient les sensations ; la performance se divise et se multiplie sous diverses formes, à différents rythmes. Les femmes, porteuses de la gestuelle, révèlent les détails d’un corps à son tour façonné par le mouvement, chaque muscle du dos visible chez les interprètes trouve son reflet dans l’argile, qui change d’aspect sous la chaleur des mains.

À Sejnane, les femmes communiquent avec la terre. Les danseuses-interprètes se l’approprient pour porter ce legs, le présenter et le partager en retour. Car les mains se souviennent et savent ce que la mémoire dissimule. Dans l’argile, elles sculptent des poupées telles des prières attentives, pleines de souffle.

Selma et Sofiane Ouissi ont écouté ces anciens gestes, recueilli leurs silences et leurs savoirs, comme on collecte l’eau d’une source, une offrande… Dans ce contexte, six corps portent la trace du passé, entre son et rituel. Ce n’est ni tout à fait un spectacle, ni une démonstration ou performance : c’est un passage, un instant, une suspension hors du temps, un entre-deux où l’art rencontre le savoir-faire, où la scène devient atelier, où la création se transforme en mémoire en mouvement.

Les sons, les images, les souffles s’entrelacent, le vivant dialogue avec la trace. Ici, le corps sert d’archive. Chaque geste s’inscrit dans la chair comme sur une page de terre humide. Chaque mouvement réveille l’endormi, relie ce qui s’éloigne. Le film conserve la braise des mains expertes, celles qui modèlent le monde en silence, celles qui racontent sans mots. «Laaroussa Quartet» ne se contente pas de démontrer comment on fabrique : il révèle ce que cela engendre en nous.