La Banque Centrale de Tunisie, de l’orthodoxie en temps de pandémie, à la générosité face à l’absurde !

Parmi les multiples informations qui ont émaillé cette semaine, une a particulièrement retenu mon attention : l’accueil réservé par Kaïs Saïed au gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Rien, à priori, de surprenant dans cette mise en scène. Fidèle à son habitude, Saied s’est contenté d’orner sa page Facebook de slogans creux, vidés de toute substance, comme on meublerait une salle vide. Mais cette image d’apparat m’a renvoyé à une réalité plus dérangeante : certaines institutions prestigieuses, si promptes jadis à se draper dans la toge de l’indépendance lors du confort démocratique, se prêtent sans résistance aux dictats des dictatures, fût-ce-t-elles médiocres.
Au pire du choc Covid en 2020, la Tunisie traversait une récession historique et un mur de financement. Le gouvernement, à court de solutions alternatives réalistes, proposa alors que la Banque centrale de Tunisie, participe directement, à titre exceptionnel, au comblement du déficit.
Les gardiens du temple crièrent alors à l’hérésie !
Au début, c’était un Niet ! La BCT ne manqua pas de nous rappeler des évidences, tout droit sorties des manuels scolaires : réduire les dépenses, solliciter les marchés, attendre des aides extérieures…Comment n’y a-t-on pas pensé ?!
Vains furent nos arguments : la situation exceptionnelle due au COVID, l’impérieuse nécessité de financer la riposte, ou encore l’exemple d’économies bien plus libérales où les banques centrales ont agi sans trembler. Au Royaume-Uni la Banque d’Angleterre réactiva en 2020, à titre exceptionnel, une ligne de financement direct du Trésor. Ou encore dans la zone euro la BCE, juridiquement empêchée de financer directement les États, contourna l’obstacle en lançant un programme inédit de rachat massif de dettes publiques nationales (le PEPP). Ce dispositif permit à la la France, l’Allemagne et à leurs voisins de bénéficier d’un soutien monétaire colossal, rendant possible le fameux « quoi qu’il en coûte ».
Chez nous la banque centrale et son conseil d’administration ne voyaient pas les choses de cet œil.
Heureusement, sous la pression de l’urgence, le Parlement, celui des “voleurs” et des “traîtres”, finit malgré tout par voter, en décembre 2020, une dérogation strictement encadrée. Elle permettait à la BCT d’accorder à la Trésorerie jusqu’à 2,8 milliards de dinars, sans intérêts, remboursables sur cinq ans dont un de grâce.
Comprenez : une ouverture tardive, plafonnée et limitée dans le temps, bien loin du « quoi qu’il en coûte » recherché par le gouvernement de l’époque, que l’on disait truffé de corrompus !
Mais voilà qu’après le coup d’État du 25 juillet 2021, une ère nouvelle s’ouvre en Tunisie. Du jour au lendemain, le concept de l’indépendance de la BCT, hier sacralisé comme un dogme, est requalifié par la nouvelle élite, aux côtés de Kaïs Saïed et de ses prétendues solutions pour l’humanité, en une menace contre l’unité nationale.
Ce que la tragédie du COVID n’avait pu justifier, les slogans pompeux de “l’ère nouvelle” l’ont soudain validé, et avec une bienveillance militante, en prime ! Voilà donc le « parlement » de Kais Saied, celui de la souveraineté à crédit, qui adopta en décembre 2024, un article autorisant la BCT à octroyer au Trésor jusqu’à 7 milliards de dinars, sans intérêts, remboursables sur 15 ans dont 3 de grâce ! Au diable la rigueur monétaire.
On passe alors par un coup de génie, d’un filet de 2,8 Milliards de dinars sur 5 ans arrachés en 2020, à un cadeau plus de deux fois supérieur en montant et trois fois plus étalé en termes de durée.
Les voilà donc les nouvelles sphères promises par l’absurde ! Le financement des sociétés populaires devient alors une priorité nationale censée justifier toutes les entorses à la sacro-sainte indépendance de la BCT !
Indépendance dites-vous ?
La réponse nous vient de celui-là même qui ne distingue pas les milliers des millions. Tout en s’adonnant à son hobby favori, sortir les petites phrases et multiplier les jeux de mots antipathiques, il nous apprend qu’il existe une différence, qui aurait échappé aux médisants, entre l’indépendance et l’autonomie de la banque centrale !
La trouvaille !
Au-delà de la dénonciation de l’asservissement des institutions prestigieuses de l’état par le régime folklorique de Kais Saied, ces épisodes de notre histoire et le positionnement des uns et des autres à leurs égard, nous renvoient à l’urgence de nous unir autour des grandes questions de l’avenir de notre pays. Réfléchissons à la question de savoir quelle Tunisie voulons-nous pour nous et pour nos enfants ? Quelles institutions devons-nous protéger ? et sous quelles formes ? Quels garde-fous devons-nous mettre en place pour empêcher l’arbitraire de nous voler notre pays ?
L’indépendance de la banque centrale et de la justice, la démocratie, le respect des droits fondamentaux, la liberté de la presse, le vivre-ensemble…, doivent tous être au cœur du débat entre les différentes expressions politiques et sociales du pays. La page de l’absurde sera tôt ou tard, tournée. Viendra alors le temps de la vraie reconstruction. Et c’est là où les bases devront être les plus solides pour que nos enfants n’aient plus jamais à subir les affres de l’absolutisme, du populisme et de la médiocrité, surtout lorsqu’elle est applaudie par une certaine élite complaisante incapable de discerner les véritables dangers qui menacent la Tunisie.
Hichem Mechichi

