Tunisie

Justice : Un juge suprême tombe, l’impunité se termine

Taïeb Rached a été condamné le 28 octobre 2025 à 30 ans de prison, en plus d’une amende de 4,8 millions de dinars et de 935 millions de dinars de dommages et intérêts à verser à l’État tunisien. Les magistrats Abderrazek Bahouri et Marouane Tellili ont été condamnés à 20 ans de prison chacun pour leur implication dans un réseau de corruption.

La condamnation sans précédent de Taïeb Rached, ancien premier président de la Cour de cassation, constitue un tournant majeur pour la justice tunisienne. Sa chute entraîne avec elle un réseau d’influence réunissant magistrats et hommes d’affaires, révélant les dysfonctionnements d’un système où la justice était monnayée au plus haut sommet. Ce jugement restera l’un des moments les plus marquants de l’histoire judiciaire du pays.

La Presse — Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2025, la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière du tribunal de première instance de Tunis a condamné Taïeb Rached à 30 ans de prison, en plus d’une amende de 4,8 millions de dinars et de 935 millions de dinars de dommages et intérêts à verser à l’État tunisien.

Jamaais auparavant un magistrat d’un rang aussi élevé n’avait été reconnu coupable et sanctionné aussi sévèrement.

Ce verdict constitue un tournant décisif car il s’agit de la première fois que la justice tunisienne tient l’un de ses plus hauts représentants accountable devant la loi pour corruption systémique.

Un réseau tentaculaire au cœur du pouvoir judiciaire

Autour de Taïeb Rached, un véritable système parallèle s’est effondré, mettant en lumière l’étendue d’un réseau de corruption impliquant magistrats et hommes d’affaires.

Ces derniers ont bénéficié, durant des années, d’un trafic d’influence au plus haut niveau, où les décisions judiciaires se négociaient en secret contre des privilèges et des sommes immenses.

Les peines prononcées sont à la hauteur du scandale. Abderrazek Bahouri et Marouane Tellili, deux magistrats révoqués, ont été condamnés à 20 ans de prison chacun.

Les hommes d’affaires Néjib Ismaïl et Fathi Jnayah ont écopé respectivement de 27 et 30 ans de prison, ainsi que de confiscations dépassant 80 millions de dinars.

Au total, la cour a ordonné aux condamnés de verser une réparation financière record de 935 millions de dinars au profit de l’État tunisien.

Ce montant sans précédent symbolise une justice qui souhaite frapper fort pour mettre fin à l’impunité.

L’affaire remonte à 2018. Taïeb Rached, alors procureur général près la cour d’appel de Tunis, est accusé d’être intervenu personnellement pour réduire la détention préventive de l’homme d’affaires Néjib Ismaïl, ce qui a conduit à sa libération.

En 2019, devenu premier président de la Cour de cassation, il crée deux nouvelles chambres (n°35 et n°36) où il place ses juges de confiance Bahouri et Tellili.

Ces derniers rendront plusieurs décisions de cassation sans renvoi, annulant purement et simplement des condamnations pour fraude douanière, évasion fiscale et blanchiment d’argent.

Les pertes pour le Trésor public sont évaluées à près d’un milliard de dinars, représentant un mécanisme de blanchiment judiciaire.

La justice reprend sa place

Taïeb Rached, longtemps perçu comme le gardien du temple judiciaire, est devenu le symbole de son effondrement moral.

En 2020, lors d’une intervention télévisée maladroite, il avoue avoir mené des transactions immobilières durant son mandat.

Ce moment d’arrogance a précipité sa chute. L’événement est resté gravé dans les mémoires. La suite a été dramatique, avec suspension, levée d’immunité, puis une série de procédures pour corruption, abus de fonction, blanchiment d’argent et faux en écriture publique.

L’homme qui représentait l’autorité judiciaire s’est retrouvé sur le banc des accusés.

Le verdict du 28 octobre 2025 a indubitablement provoqué un véritable séisme dans le monde de la justice.

Cette condamnation est interprétée comme un message fort signifiant que l’ère où les magistrats se croyaient au-dessus des lois est révolue.

Elle marque également le retour d’une justice désireuse de retrouver sa crédibilité et de restaurer la confiance des citoyens.

Elle illustre en particulier la volonté de l’État de rétablir la primauté du droit. Bien que le dossier puisse faire l’objet d’un appel, le message est clair.

La justice tunisienne n’est plus l’otage des puissants. La chute du juge suprême, entouré d’hommes d’affaires corrompus et de complices, en est la preuve.

Samir DRIDI