Tunisie

Jellel Gasteli et Younès Ben Slimane : Deux visions, deux mondes

Le 12 décembre 2025, la galerie Selma Feriani ouvrira une double exposition mettant en dialogue Jellel Gasteli et Younès Ben Slimane. Jellel Gasteli, né en 1958 à Tunis, explore les territoires africains et méditerranéens à travers une pratique photographique, tandis que Younès Ben Slimane, né en 1992 à Tunis, interroge la mémoire et le paysage en tant que cinéaste et plasticien.

Une double exposition qui met en lumière deux artistes essentiels de la scène visuelle contemporaine.

La Presse — Le 12 décembre 2025, la galerie Selma Feriani s’apprête à présenter une nouvelle exposition : une double exposition qui établit un dialogue entre deux figures majeures de l’art contemporain, Jellel Gasteli et Younès Ben Slimane. Chacun avec sa propre écriture et sensibilité, mais partageant un même désir d’explorer le réel et ses zones d’ombre. Parallèlement, une salle de lecture a été conçue comme un espace de respiration intellectuelle, un lieu où se crée une nouvelle façon de rencontrer les œuvres.

Jellel Gasteli : Hortus, un jardin de souvenirs

Avec Hortus, Jellel Gasteli retourne à un moment décisif de sa jeunesse de photographe. En 1983, l’action est clandestine, presque initiatique. Il passe en secret la haie de figuiers de Barbarie qui entoure le jardin Henson, un espace où la nature s’exprime librement, refuge de paons et de flore luxuriante.

Dans un récit oscillant entre journal intime et mémoire, Gasteli évoque cette première traversée comme une révélation :

La longue allée de sable entourée de cyprès, l’étang, l’escalier qui mène à la petite dune qui frôle la mer… et, au bout du chemin, l’apparition d’une silhouette lointaine.

Quelques mois plus tard, il revient — cette fois en sonnant à la porte.

Entre ces deux moments, une frontière disparaît : celle qui sépare le regard furtif du regard assumé, transformant le lieu en point de départ d’un travail photographique où nature, espace et imaginaire se mêlent.

Aujourd’hui, Hortus retrace ce moment originel à travers une série où Gasteli revisite les paysages comme on se remémore un souvenir fondateur. La lumière méditerranéenne, la précision des cadrages, et le contact presque tangible avec la matière végétale inscrivent cette exposition dans la continuité d’une œuvre dont la force réside à la fois dans la rigueur et la sensibilité.

Né en 1958 à Tunis, Jellel Gasteli est l’une des grandes voix de la photographie au Maghreb et en Méditerranée. Pratiquant d’abord la photographie argentique noir et blanc grand format avant d’adopter la couleur, il explore les territoires africains, sahariens et côtiers avec une sensibilité unique.

Ses œuvres figurent dans des collections prestigieuses : Fnac, Institut du Monde arabe, Maison européenne de la photographie, Guggenheim New York, Museum Kunstpalast, Collection Sindika Dokolo, ministère tunisien de la Culture…

Ses expositions, de Tunis à Paris, Francfort, Washington, ont façonné une trajectoire où la précision formelle dialogue constamment avec une émotion intérieure.

Younès Ben Slimane : Nous savions à quel point ces îles étaient belles.

À l’étage, l’atmosphère change. Younès Ben Slimane nous plonge dans un univers nocturne, presque rituel.

Une silhouette solitaire creuse une tombe dans un cimetière désert. Le vent, le crépitement du feu, le frottement de la pelle contre la terre — tout respire le mystère, l’inquiétude et la beauté.

Dans cet espace suspendu, les objets abandonnés deviennent des signes :

Une tête de poupée, un peigne, un rouge à lèvres.

De petites reliques poignantes, derniers témoignages de vies perdues.

La vidéo baigne dans une lumière dorée, une lueur rare, venue des étoiles ou d’une lampe frontale, transformant chaque geste en une incantation silencieuse.

Ben Slimane construit une méditation visuelle sur la finitude, l’effacement, l’absence — mais aussi sur la persistance des traces.

Les îles évoquées dans le titre sont peut-être réelles, peut-être imaginaires. Ce sont surtout les îles intérieures que nous portons, celles où le souvenir persiste.

Né en 1992 à Tunis, Younès Ben Slimane est cinéaste, plasticien et architecte. Diplômé du Fresnoy, il interroge la mémoire, le paysage et les récits non linéaires.

Ses œuvres ont été exposées au Mucem, à la Biennale de Dakar, à la Fondation Zaha Hadid, au Wexner Center, au Beirut Art Center. Ses films ont été présentés à Locarno, CPH: Dox, Vila do Conde.

Lauréat de la Bourse Émergence de l’Adiaf, du Loop Barcelona Award, du Tanit d’Or aux Journées du film de Carthage, il a bénéficié de la Villa Médicis et d’AlUla Arts.

Ses œuvres sont désormais présentes dans de grandes collections, du Macba à Kadist.

La Salle de lecture : un espace pour respirer

Sur la mezzanine, un autre rythme s’impose.

Ni prolongement des expositions, ni espace parallèle, la salle de lecture propose un troisième temps : plus lent, plus introspectif.

Des livres, des archives, des fragments théoriques ou poétiques composent ici une archive vivante, non explicative, mais résonante.

On y lit, on y feuillette, on y réfléchit.

Cet espace accompagne les œuvres de Gasteli et Ben Slimane sans les enfermer dans une seule interprétation. Au contraire, il ouvre des pistes : celles des imaginaires, des géographies, des récits qui se croisent et se renouvellent.

Entre la lumière végétale de Gasteli et la nuit vibrante de Ben Slimane, l’exposition propose une véritable traversée :

Celle du visible et de l’invisible, du souvenir et du mystère, du paysage comme écriture et du geste comme rituel.

Un vernissage où la galerie se transforme, le temps d’une soirée d’hiver, en laboratoire d’images, espace de sens, lieu où l’art continue d’exprimer avec force et douceur ce que les mots ne sauraient contenir.