Tunisie

Itinéraire du réalisateur Jaleleddine Faizi : du vécu à l’écran.

Les enfants de la région ont grandi conscients du poids des clichés qui collent à leur milieu de vie devenu stigmatisé. Jaleleddine Faizi est originaire de Semmama, une zone montagneuse où la vie a toujours été rude, vu son emplacement géographique et la condition économique de ses habitants.


Les enfants de la région grandissent en étant conscients du poids des stéréotypes qui pèsent sur leur milieu de vie, devenu stigmatisé. Pour la plupart, l’exode est leur seule pensée, alors qu’ils peinent à surmonter le désespoir, le doute permanent et le sentiment d’inutilité.

L’art peut-il changer le monde ? Cette question philosophique alimente un débat sans fin. Cependant, il est indéniable qu’une expérience artistique peut transformer un destin. Le jeune réalisateur Jaleleddine Faizi en est un exemple frappant grâce au succès de son court-métrage « Scarecrows of the red zone » (Fazzaat al mintaka al hamraa). Après avoir remporté le prix du Meilleur film indépendant lors de la 38e édition du Festival international du film amateur de Kélibia (Fifak), il parcourt actuellement de nombreux événements à l’étranger.

Originaire de Semmama, une région montagneuse où les conditions de vie ont toujours été difficiles en raison de l’emplacement géographique et de l’état économique de ses habitants, Jaleleddine Faizi a vu son village devenir synonyme de danger suite à des menaces terroristes et des explosions de mines. Une partie de cette zone a été isolée, devenue « zone militaire » avec un accès interdit.

Les enfants de cette région grandissent, donc, en étant conscients des stéréotypes liés à leur vie stigmatisée, aspirant majoritairement à quitter cet endroit, ne sachant comment surmonter le désespoir et le sentiment d’inutilité.

Récemment, le programme Tacir a permis à six personnes, dont Jaleleddine Faizi, de reprendre en main leur destin. L’Association de multimédia et de l’audiovisuel Amavi a lancé cette initiative pour soutenir les jeunes talents. L’objectif principal est de réduire l’inégalité d’accès à la culture et de favoriser l’inclusion sociale dans onze régions, avec le soutien de chercheurs et d’experts des industries culturelles et créatives.

Le Centre culturel des arts et des métiers de Semmama s’est engagé à fournir aux participants un environnement propice à l’expression artistique, permettant ainsi de transformer une passion ou un talent en opportunité professionnelle.

Jaleleddine Faizi a répondu à une annonce pour une résidence artistique avec les cinéastes Ikbel Zalila et Fatma Cherif. Ce moment a été un tournant dans sa vie. « Avant, j’aimais beaucoup la peinture, mais je ne l’ai plus pratiquée depuis mon enfance, faute de moyens et surtout d’encouragements », a-t-il confié. « Mais je n’ai jamais pensé à m’orienter vers le cinéma. Je me suis lancé dans cette aventure sans croire en moi et je ne m’attendais pas à un tel écho. »

« Scarecrows of the red zone » a d’abord été pensé et écrit comme un documentaire avant d’évoluer en une auto-fiction de 25 minutes. Le scénario raconte sa propre enfance à travers le personnage d’un enfant passionné de peinture, qui refuse de renoncer malgré un milieu hostile. Les épouvantails, évoqués dans le titre, symbolisent à la fois la création artistique et une figure dissuasive, abandonnée et inoffensive. Le film s’inspire de la solitude de son village et des rêves écrasés par l’isolement rural et les menaces terroristes, offrant une vision qui permet d’apercevoir la beauté et l’insolite dans la vie quotidienne de cette région.

Jaleleddine a rencontré plusieurs obstacles durant la création de son film. L’obtention des autorisations nécessaires pour le tournage a été particulièrement délicate, compte tenu du lourd passé de la région. De plus, il s’agit de sa première expérience, et sa formation technique était loin d’être parfaite.

Après avoir remporté un prix en Tunisie, le court-métrage est désormais en compétition, y compris dans des catégories professionnelles, dans de nombreux festivals internationaux, ayant été projeté au Maroc en présence du réalisateur, en Mauritanie, et sera bientôt présenté en Albanie et aux Pays-Bas. Ces participations constituent un catalyseur pour des changements personnels et professionnels qui pourraient propulser la carrière du jeune cinéaste.

Ce projet a également changé la vision de Jaleleddine sur sa propre vie. Pour lui, ce n’est pas simplement un succès personnel. C’est une histoire de résilience pour un village dont la voix est enfin entendue. « Lorsque l’on doute de soi, qu’on envisage d’abandonner et qu’on ne voit pas d’issue, être sélectionné et récompensé constitue une validation puissante. Cela redonne confiance et balaie les refus ainsi que les critiques », a-t-il partagé.

Dans un milieu où la concurrence est forte, Jaleleddine Faizi est prêt à acquérir de nouvelles compétences pour perfectionner son art. Il espère, en obtenant une meilleure visibilité et une reconnaissance accrue, attirer de nouveaux financements, ainsi que des opportunités pour de futurs projets cinématographiques.

Il est essentiel de noter que « Scarecrows of the red zone » a été le seul film tunisien indépendant au Fifak. Les autres œuvres étaient soutenues par la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (Ftca) et des écoles de cinéma. Il est impératif de donner plus d’occasions aux jeunes des zones reculées pour qu’ils puissent raconter leur vécu, loin des tumultes des grandes villes.

Ces régions représentent une pépinière de talents, aux besoins légitimes d’interroger, de dénoncer et de rêver. En créant des œuvres qui reflètent leur identité à partir d’une perspective interne, ils contribueront à une scène cinématographique innovante et engagée. De plus, un autre film produit par Tacir à Semmama, « La sourate des Fourmis » de Mohamed Rachdi, est actuellement en compétition à Montreuil, avec un thème ancré dans la réalité de son village.

Le Centre culturel des arts et des métiers de la région, qui supporte et stimule ces créations, a récemment organisé une soirée au théâtre El Hamra, en partenariat avec DVV international, pour célébrer ces projets, parmi d’autres, à l’occasion de la Conférence nationale sur l’apprentissage et l’éducation des adultes.