Tunisie

Ils n’auront jamais Sonia. Ils n’auront jamais notre dignité.

Elle a attendu. Vendredi, Sonia a attendu jusqu’à 21h. Puis elle a compris. Compris qu’il n’y aurait rien. Pas un mot. Pas une annonce. Même pas la décence de lui dire son sort. Rien. Rien à espérer, rien à attendre, rien qu’un mépris glacial. Rien que cette attente, cette torture lente qui broie davantage que n’importe quelle sentence. Alors elle s’est couchée, et a survécu à un week-end coupée du monde.

Ce matin, la sentence est tombée : un an et demi de prison. Sa première réaction avant des larmes de rage, a été un rire. Un rire amer. Un rire qui vous glace, un rire qui n’a rien de joyeux, qui transperce l’âme de ceux qui l’entendent. Et avec ce sarcasme qui lui reste comme seule arme, elle a dit :

« Pourquoi ces six mois en moins ? C’est pour se donner bonne conscience ? »

Sonia n’espérait rien. Elle savait. Nous savions. La haine de ceux qui tiennent les chaînes dépasse toutes les limites. Nous savions qu’ils ne s’arrêteraient pas tant qu’ils n’auraient pas tout pris : sa liberté, sa dignité, son humanité. Mais ils se trompent. Parce qu’ils ne pourront jamais briser ce qu’elle est. Ils ne pourront pas la détruire.

Ses premières pensées ce matin n’étaient pas pour elle. Pas pour ses nuits glacées, pas pour la saleté des lieux, pas pour la faim qu’ils lui imposent. Sonia a pensé aux autres. Toujours aux autres. Elle a parlé de ces jeunes qu’on oblige à prendre des bus séparés selon leur couleur de peau. De ces familles à qui on refuse d’enterrer leurs morts dans des cimetières pour « gens libres ». De ces femmes et ces hommes qu’on déshumanise, qu’on réduit à des ombres parce qu’ils sont nés avec une peau plus sombre. Elle a dit à Mehdi:

« Dire que je mens, c’est dire qu’eux aussi mentent. Dire que je diffame, c’est nier leur existence. Dire que j’invente, , c’est dire qu’ils n’ont aucun droit. »

Mais sa plus grande douleur, sa plus grande inquiétude, c’est pour nos parents. Elle a demandé à Mehdi et aux avocats, encore et encore, dans quel état ils étaient. Ils l’ont rassurée bien sûr. Mais elle sait. Et nous savons. Nous savons que ma mère ne dort plus. Que mon père se lève chaque matin avec ce poids immense sur les épaules. Nous savons qu’ils ne tiendront pas. Qu’ils ne peuvent pas tenir. Cette injustice les brise, les consume, les tue à petit feu. Et Sonia le sait.

Sonia est une femme exceptionnelle. Son humanité brille là où eux n’ont que du vide. Sa douleur pour nos parents, pour tous ces Tunisiens oubliés, efface presque la sienne. Voilà pourquoi ils s’acharnent. Voilà pourquoi ils la condamnent. Parce qu’elle refuse de détourner les yeux. Parce qu’elle refuse de se taire.

Et nous, de notre côté, nous faisons tout pour lui montrer qu’elle n’est pas seule. Nos lettres lui sont interdites. Alors, sur les boîtes de nourriture que nous lui préparons chaque semaine, nous avons commencé à écrire son nom, “Sonia Dahmani”, avec un petit cœur dessiné à côté. Juste ça, un geste simple. Une preuve d’amour dans un univers de haine.

Une façon de lui dire, sans mots, qu’elle est aimée, qu’elle est pensée, qu’elle est portée.

Mais ça aussi, ils l’ont interdit. La direction de la prison nous a informés que ces petits gestes, ce simple cœur tracé à côté de son nom, étaient désormais strictement prohibés. Ils ont dit que toute boîte de nourriture portant ce signe serait refusée. Refusée. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de ces gens, Sonia n’a pas droit à l’affection. Parce que même un cœur dessiné leur est insupportable.

À leurs yeux, la déshumanisation reste leur priorité. Leur arme. Ils ne se contentent pas de l’enfermer, de la condamner, de l’affamer. Ils veulent effacer tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle représente. À la prison des femmes de la Manouba, non seulement ils détruisent les corps, mais ils s’attaquent aussi aux âmes. Et aux yeux de la directrice, il semblerait que même un simple cœur soit une menace.

Après l’avoir vu, après avoir entendu ses mots, après avoir dû consoler sa sœur, Mehdi est allé déposer le couffin de nourriture. Dedans, une salade, quelque chose de simple. Mais ils ont refusé. Encore une fois. Ils ont refusé parceque ça semblait bon. Comme si condamner Sonia ne suffisait pas. Comme s’il fallait encore l’affamer, l’humilier, la piétiner. Mehdi, emporté par la colère, leur a dit :

« je ne la reprendrait pas, appelez Sonia, et jetez-la devant elle comme vous l’avez déjà fait ! »

Parce que oui, ils ont déjà fait ça. Jeter une boîte de nourriture devant elle comme on jette un os à un chien. Ils ne se contentent pas de la condamner. Il faut l’humilier, la briser, lui rappeler chaque jour qu’ils la considèrent comme rien.

Mehdi est sorti de là brisé. Quand il m’a appelée, sa voix oscillait entre la rage et le désespoir. Et moi, je me noie avec lui dans une colère qui me brûle.

Notre colère est légitime. C’est le cri de ceux qui savent que la justice n’existe plus dans ce pays. Que la Tunisie est en train de se perdre. Ils détruisent Sonia. Ils détruisent ma famille. Ils détruisent la vérité. Mais ils ne nous détruiront pas. Sonia est toujours là. Et tant qu’elle tiendra, nous tiendrons. Dévastés, oui. En colère, oui. Mais toujours debout.
Parce que si eux n’ont plus d’humanité, nous avons encore la nôtre.

Et si eux n’ont plus de justice, nous la trouverons ailleurs.

Ils peuvent condamner Sonia. Ils peuvent briser nos cœurs. Mais ils ne pourront jamais nous faire taire. Aujourd’hui, je suis en feu. Et ce feu, je le jure, ils ne l’éteindront jamais.

Ils n’auront pas Sonia. Ils n’auront pas notre dignité.

************

سنية عدات نهار جمعة تستنى. ستنات للتسعة متاع الليل. و اكهو عاد فهمت. فهمت اللي ما فما شي. اللي مش بش يخسرو عليها حتى كلمة، اللي بش يخليوها معلقة ، حتى ڤرام حشمة و إلا إنسانية لا، ما عندهم كان الحقرة و الخبث و القهر اللي يقتل اكثر مالحكم.. ولات غمّت على رأسها و رقدت و عدات ويكاند مزّولة مقطوعة مالدنيا

نهار الاثنين صبحولها : اهوكى نقصولك ولاو عام ونص برك
بالعمل شدها الضحك.. لا يكثر خيركم. ضحكت ضحكة مرّة. ضحكة تقطع القلب و تهد. ضحكة متاع وجيعة و قهر.، تمقعرت خاطر ما قعدلها كان هذاك، قالتهم و علاش عليكم فاش قام اتّعبو في رواحكم و اتنقصو في ستة شهر كاملين باش ترتحوا ضمائركم و إلا بش تقيدو مزيّة؟

سنية ما كانت مستنية شي. شامتها قارصة. وإحنا بيدنا عارفين. عارفين الكره متاعهم ما عندوش حدود. عارفين ماهم بش يتهناو إلا ما ما يقعدلها شي: لا حرية، لا كرامة لا انسانية و لا ضحكة. أما يغلطو. خاطر سنية بقدرت ربي ما طيحش. ما ينجموش يهدّوها

بلحق بكات مالقهر اما اول حاجة قالتها والله لاهي على روحها. لا حكات عل البرد، و لا على الوسخ، و لا على الجوع اللي يقتلو فيها. حكات على الصغار اللي قاسمينهم في كيران بيض و سود، حكات على العباد اللي ما يخليوهمش يدّفنوا في حبانات “الأحرار”. حكات على الظلم و الحقرة متاع اللي تولدو كحل. قالت لمهدي

 :كي يقولوا أنا نكذب معناها الناس الكل تكذب. كيف يكذبوني و يحكمو عليا و يقولو ما فماش منو ، معناها الناس اللي تقاسي مالظلم يزيدو يمحيوهم و يعفسوهم

 
و أكثر حاجة واجعتها و مخوفتها هوما بابا و امي. تنشد عليهم و تعاود في مهدي، و في المحامين، و هما يطمنو فيها، « ما تخافش لباس، راهم شادين رواحهم. » أما سنية ما يتعداش عليها. فاهمة و حاسة. تعرفهم، تعرف اللي أمي تبات ادّادي. تعرف اللي بابا يقوم كل يوم هازز جبل على كتافه. تعرف الظلم و القهر قاعد يقتل فيهم بالعرق. تعرف و بش تموت بالقهرة

مش خاتر اختي اما والله سنية ما كيفها حد. الإنسانية متاعها حاجة ما تتوصفش. مرا تحكمت عام و نص و مخها في بابا و امي و العباد المنسيين و المظلومين. هذاك علاش يكرهوهاو و عافسين فيها. خاطر سنية ما تسكتش. خاطرها عمرها ما تعمل مغناني

و قد ما هوما يعفسو فيها قد ما نحبو نفكروها قداش نحبوها و قداش بقعتها خايبة، نحبو نقلولها اللي ماهيش وحدها و اللي ماهيش منسية، اما جواباتنا ما تخلطش. ولينا نفركسو كيفاش نوصلولها، كيفاش نقلولها رانا نحبوك. نجيو على حكّت الماكلة بجنب اسمها و نصورو قلب صغير.شي ما فيه، جاست صغير باش نحسّسوها اللي إحنا معاها و اللي متفكرينها. يخي حتى هذي شواتهم و قلقتهم. قالولنا اللي القلوب ممنوعة. قالولنا مرى الجاية تصورو قلب القفة ما تدخلش. علاش؟ خاطر سنية ما تستاهلش حتى شوية حب. يكرهو الحب يحبو كان السّم و القهر

في منوبة، ما يدمّروش كان البدن. يحبو يدمّروا الرّوح و يقتلو الأمل . الكلونالة المحترمة مديرة الحبس تكره لقلوب و تخاف منهم

ليوم مهدي بعد ما خرج مالبرلوار، بعد ربع ساعة يسمع في اختو و يواسي فيها و شادد روحو بش ما يرخّش ، مشى يوصّل في القفة. روفزولو السلاطة. اللي ليها اشهرة تتقبل. قالولوا باينة فيها جبن و هو والله لا فما ريحتو. خرج من سينتو، قالهم لوحوها، مانيش مرجعها، عيطوا لسنية و لوحوها قدامها كيما عملتوها قبل

تقول ما كفاهمش الحكم. لازم يهينوها و يذلونا لازم يلقوا كيفاش يكسرولها شوكتها. لازم يورّيوها اللي هي ماجات شي

مهدي خرج يرعش. كلمني بش يتنفذ للي خفت عليه. مت بلقهر

قهرونا. نعرفو اللي العدالة في بلادنا الله يرحمها. تونس، البلاد اللي نعرفوها، يا حسرة عليها. يدمّروا في سنية. يدمّروا في عايلتنا، يدمّروا في العدل. أما ما نطيحوش. سنية واقفة. و بقدرة ربي مادامها شادة احنا شادين معاها
خاطر كان هما ماعاتش عندهم ڤرام إنسانية، إحنا مازل عندنا

وإذا هما قتلوا العدالة، ميسالش نفركسو عليها في بلاصة أخرى

ينجموا يحكموا على سنية. ينجموا يشويونا . أما ما ينجموش يسكتونا

اليوم، ناري تشعل. والنار هذي، نقسم بالله مستحيل يطفيوها

ماهمش بش يهدو سنية
وما همش بش ينحيولنا كرامتنا

Ramla Dahmani Accent