Évaluation post-campagne céréalière : un bilan à analyser confus !
La campagne céréalière 2024-2025 a pris fin et l’évaluation de la saison a été organisée jeudi dernier à l’Institut national agronomique de Tunis (Inat) par le ministère de l’Agriculture, en collaboration avec la BNA et la BTS. D’après les chiffres, sur 20 millions de quintaux récoltés, seulement 12 millions de quintaux ont été collectés, ce qui représente un tiers des besoins nationaux en céréales estimés à 36 millions de quintaux par an.

La campagne céréalière 2024-2025 est désormais terminée. Il est temps d’évaluer la saison écoulée. Cette évaluation, essentielle pour progresser, ne doit pas tomber dans des généralités ou des diagnostics divergents, parfois inappropriés. La réalité est en effet différente de ce qui est avancé.
La Presse — Cela a été en partie le cas lors de la journée nationale d’évaluation organisée jeudi dernier à l’Institut national agronomique de Tunis (Inat) par le ministère de l’Agriculture, en partenariat avec ses partenaires financiers, la BNA et la BTS. Toutefois, l’état des lieux dressé ne reflète pas la réalité sur le terrain.
En effet, bien que la récolte de cette année soit légèrement supérieure à celles des cinq dernières années, comme l’ont indiqué certains intervenants, rien de rassurant ne se dégage d’un total de 20 millions de quintaux récoltés sur près d’un million d’hectares cultivés. À peine 12 millions de quintaux ont été récoltés, représentant seulement un tiers des besoins nationaux en céréales, estimés à 36 millions de quintaux par an.
Les agriculteurs écartés!
Ces chiffres ont été confirmés par Mohamed Ali Ben Romdhane, responsable à la direction générale de la production agricole au ministère, durant son exposé sur l’évaluation de la saison passée et les préparatifs de la nouvelle campagne. En somme, la moisson de 2025 est jugée inférieure aux attentes, bien que les pluies aient été abondantes cette année.
Néanmoins, les prévisions officielles se sont révélées, hélas, incohérentes. L’écart entre les quantités récoltées et celles effectivement collectées se chiffrerait à 8 millions de quintaux, ce qui remet en question la pertinence de cette évaluation.
«Où sont passés ces 8 millions de quintaux, sachant qu’il ne reste qu’environ 2 millions de quintaux pour les semences de la prochaine campagne? Et que savons-nous des 6 millions de quintaux restants?», s’interroge Radhouane Bouguerra, céréaliculteur exploitant environ 30 hectares de blé dur irrigué.
En effet, le bilan présenté par le ministère de l’Agriculture suscite des interrogations. Les déclarations des représentants manquent souvent de clarté et de transparence. «Une évaluation de ce type réalisée sans la participation des céréaliculteurs, qui sont les véritables experts du secteur, ne peut être crue», affirment de nombreux agriculteurs. Même les chiffres avancés sont remis en question.
«Comment apprécier un débat si pertinent sans la présence des céréaliculteurs, véritables spécialistes de la terre?», s’interroge Mondher Gharbi, agriculteur de la région d’Amdoun, à Béja. Se sentant marginalisés, plusieurs céréaliculteurs affirment ne plus faire confiance à ce qu’ils considèrent comme un simulacre trompeur.
Des déclarations en contradiction
Chaque année, les appels pour assurer la disponibilité des semences en temps et en quantité suffisante semblent rester sans réponse. La campagne de semis débute souvent avec du retard. «L’année dernière, marquée par de fortes pluies, aurait dû correspondre à une saison exceptionnelle, si tout avait été correctement préparé», témoigne Mondher Gharbi.
Il souligne que «ni les semences ni les intrants n’ont été fournis en temps utile. Les semences fournies étaient un mélange variétal à faible rendement, soit 15 quintaux par hectare en moyenne». De son côté, Ben Romdhane évoque une moyenne de 22 quintaux par hectare, un chiffre également contesté et peu réaliste.
Par ailleurs, les institutions telles que l’Office des céréales et l’Avfa ne semblent pas faire l’effort nécessaire. L’Utap est, quant à elle, absente, ne soutenant pas les agriculteurs. Cette séparation met en péril la filière céréalière, qui aurait dû adopter une approche collaborative, où l’administration reste attentive aux céréaliculteurs, acteurs essentiels de la production.
Il est constaté que les déclarations ne sont souvent pas en concordance avec les actes. Une telle situation ne peut conduire à des résultats satisfaisants. «Nous devons tous redoubler d’efforts pour améliorer le secteur agricole, considéré comme un pilier du développement économique, conformément aux recommandations présidentielles sur la sécurité alimentaire nationale», a insisté le ministre de l’Agriculture lors de l’ouverture de la journée d’évaluation.
Cependant, cette réalité pose question, car il semblerait que le ministère continue d’ignorer les préoccupations essentielles des agriculteurs. «Il ne semble pas conscient de la réalité sur le terrain», dénonce un céréaliculteur mécontent.
Préparatifs des semis en cours
Cette journée d’évaluation met en lumière un sérieux déficit de communication institutionnelle, creusant l’écart entre les décideurs et les professionnels du secteur. Si rien ne change, la situation pourrait se reproduire. En effet, les mêmes causes entraînent les mêmes effets.
À l’approche de la nouvelle saison agricole 2025-2026, le ministère vient d’annoncer avoir préparé un stock d’environ 520 mille quintaux de semences sélectionnées. Cependant, «ce stock est insuffisant et ne couvrira que 350 mille hectares. Que faire pour ensemencer les 750 mille hectares restants?», s’interroge le groupement agricole «Vulgarisation et développement». Ce dernier fait observer que le ministère semble en retard sur ses objectifs en matière de semences de blé.
Concernant les engrais, Ben Romdhane indique qu’«on prévoit d’approvisionner 30 mille tonnes de «Super 45», très demandé par les agriculteurs, dont seulement 700 tonnes sont en cours de distribution, ce qui reste insuffisant. De même, 120 mille tonnes de «DAP» seront fournies dans les jours à venir». Cela devrait couvrir une superficie totale de 1,145 million d’hectares de cultures céréalières, dont une part importante est destinée au blé dur. «Notre objectif majeur est d’atteindre l’autosuffisance en blé dur», conclut le responsable.
Objectif : l’autosuffisance en blé dur
Mais comment y parvenir? Cela nécessite des semences de qualité, performantes et résilientes face aux aléas climatiques. Les variétés «Saragolla» et «Iride», déjà reconnues dans le catalogue officiel et testées depuis des années, ont affiché des rendements exceptionnels.
«Lors de la récolte 2025, elles ont battu tous les records», témoigne Radhouane Bouguerra, de Kairouan. Mondher Gharbi et d’autres céréaliculteurs le confirment, ces variétés sont censées répondre à nos besoins en blé dur.
Il convient également de rappeler que la Tunisie dépense l’équivalent de 3 milliards pour importer du blé afin de couvrir la moitié de ses besoins. Mondher Gharbi recommande donc de renforcer le partenariat public-privé pour développer la filière semences, essentiel pour réaliser des réserves stratégiques en blé dur et envisager l’exportation vers d’autres marchés.
Avec la campagne actuelle, il est crucial de réévaluer nos méthodes de planification. En passant de 20 millions de quintaux récoltés à seulement 12 millions collectés, il y a clairement un inconsistance majeure qui soulève desdoutes sur le bilan agricole.

