Tunisie

Erige Shiri récompensé à Marrakech : un cinéma qui interroge nos zones d’ombre.

Le film “Promis le ciel” d’Erige Shiri a remporté l’Etoile d’or du festival international du film de Marrakech et sera présenté aux prochaines JCC dans le cadre de la compétition officielle. Dans ce long-métrage, Shiri réunit quatre figures féminines qui viennent de Côte d’Ivoire ou d’autres horizons africains et tentent de reconstruire un quotidien à Tunis.


Son film « Promis le ciel » a récemment remporté l’Étoile d’or au festival international du film de Marrakech et sera présenté aux prochaines Journées Cinématographiques de Carthage dans le cadre de la compétition officielle.

Erige Shiri est une cinéaste qui s’impose avec force, même sans faire de bruit.

Avec « Promis le ciel », son dernier long-métrage, Erige Shiri continue de suivre une trajectoire singulière dans le paysage cinématographique tunisien. Son cinéma est sensible, charnel et instinctif, avançant silencieusement tout en laissant une empreinte durable.

Récemment récompensée au Festival de Marrakech, elle représentera également la Tunisie aux Journées Cinématographiques de Carthage 2025, une légitimité naturelle pour une œuvre qui trouble sans rechercher l’effet.

Dans « Promis le ciel », Shiri assemble quatre figures féminines : Marie, Naney, Jolie, et la petite Kenza, rescapée d’un naufrage.

Ces femmes viennent de Côte d’Ivoire ou d’autres horizons africains et s’efforcent de reconstruire leur quotidien à Tunis, au milieu d’une solidarité improvisée, d’une survie quotidienne et d’une spiritualité partagée dans une petite église informelle.

Pasteure, étudiante, sans-papiers ou enfant, elles évoluent dans un espace fragile, entre deux mondes, où se créent chaque jour des gestes de soutien, des stratégies de débrouille et des bribes de futur.

Le film ne vise ni à opposer les communautés ni à établir des culpabilités. Shiri refuse les dichotomies simplistes.

Elle observe des femmes prises dans des zones complexes—humanitaires, administratives, émotionnelles—et les filme sans jugement.

Les personnages sont profondément humains, avec leurs faiblesses, leur bonté, leur fatigue et parfois leur dureté.

Au centre, les trajectoires de ces trois jeunes femmes cristallisent un monde en mutation et nous obligent à regarder notre relation à l’autre, à l’exil et à la vulnérabilité sous un nouveau jour.

Sa caméra, fidèle à sa démarche, reste proche : gestes du quotidien, regards furtifs, silences qui en disent long.

Il s’agit d’une forme d’endoscopie émotionnelle, où l’on scrute la force, le doute, l’épuisement, et la tendresse. Les actrices, belles de vérité, incarnent leurs personnages avec une intensité rare.

Le casting, soigneusement pensé, épouse chaque nuance de ces existences souvent invisibilisées.

« Promis le ciel » s’inscrit dans la continuité organique du travail d’Erige Shiri.

Déjà dans son premier long-métrage documentaire, « La Voie normale » (2018), elle avait révélé sa capacité à saisir la dignité du quotidien.

À travers le portrait de cheminots affectés à une ligne ferroviaire délaissée, elle filmait un pays en recomposition, entre dérèglements institutionnels, fatigue des corps et solidarité ouvrière.

Shiri s’introduisait littéralement dans les cabines, dans les gestes, dans la parole brute — non pour dénoncer frontalement, mais pour comprendre de l’intérieur les fragilités d’un système et la résilience de ceux qui le font fonctionner.

Quatre ans plus tard, « Sous les figuiers » (2022) élargissait ce geste vers un espace ouvert, lumineux, mais tout aussi codifié : un verger du Nord-Ouest tunisien où de jeunes femmes cueillent des figues à l’aube et rentrent au crépuscule.

Entre sensualité, rivalités, confidences, et jeux de pouvoir, Shiri captait l’éveil de ces travailleuses saisonnières, leur passage vers l’âge adulte, ainsi que leur relation à la parole et au corps.

Les figuiers devenaient un théâtre naturel où se jouaient des micro-émancipations et des confrontations subtiles.

De « La Voie normale » à « Sous les figuiers », et aujourd’hui « Promis le ciel », se dessine une ligne claire :

Erige Shiri filme les êtres au travail — travail du corps, du lien, de la survie, du devenir.

Le rail, le verger, la ville : trois lieux différents mais marqués par les mêmes tensions, les mêmes questions.

Comment se tenir debout quand la société vous fragilise ?

Comment inventer des espaces de solidarité ?

Comment continuer à vivre quand tout vacille autour de vous ?

Dans « Promis le ciel », cette approche atteint une nouvelle maturité.

Shiri donne voix à celles qui sont rarement vues à l’écran : les femmes migrantes, les invisibles, celles qui vivent dans des interstices administratifs et sociaux.

Mais loin de tout voyeurisme ou victimisation, elle leur restitue une dignité pleine, complexe et vibrante. Chez Erige Shiri, on ne filme pas des symboles.

On filme des personnes. Et c’est peut-être là que réside la force de son cinéma ; un cinéma qui écoute avant de raconter, qui regarde avant de conclure, qui accompagne avant de juger.