Tunisie

En Tunisie, Mourad Zeghidi, journaliste, détenu depuis plus de 300 jours : « Je n’ai fait que mon métier »

Des journalistes rassemblés devant le tribunal de Tunis où leurs collègues, Borhen Bsaïes et Mourad Zeghidi, doivent comparaître le 22 mai 2024. Des journalistes rassemblés devant le tribunal de Tunis où leurs collègues, Borhen Bsaïes et Mourad Zeghidi, doivent comparaître le 22 mai 2024.

Plus de 300 jours se sont écoulés depuis l’arrestation, le 11 mai 2024 en Tunisie, du journaliste sportif Mourad Zeghidi, ancien de Canal Horizons en Tunisie puis de Canal+ en France. Alors que ses proches et soutiens attendaient sa libération en janvier, au terme de sa peine, de nouvelles accusations ont prolongé son incarcération.

En réponse à ce placement en détention provisoire, ses défenseurs ont intensifié leur campagne pour sa libération, dénonçant un acharnement judiciaire contre les voix critiques en Tunisie. Une pétition, lancée le 8 mars, a déjà recueilli près de 5 000 signatures.

Mourad Zeghidi a été interpellé le 11 mai 2024, alors que l’attention était retenue le même jour par l’arrestation en direct de Sonia Dahmani, chroniqueuse et avocate retranchée au siège de l’ordre national des avocats. Pendant ce temps, une autre opération, plus discrète, se déroulait au domicile de M. Zeghidi, dans la banlieue de Tunis. Une dizaine de policiers ont fait irruption chez le journaliste, connu pour sa modération. Son téléphone et celui de sa fille ont été saisis avant qu’il ne soit conduit en détention.

Toujours le 11 mai, Borhen Bsaïes, animateur de « L’Emission impossible », la matinale de la radio IFM, où intervenaient régulièrement Mourad Zeghidi et Sonia Dahmani, était également arrêté, marquant de fait l’arrêt de l’une des émissions de radio les plus écoutées en Tunisie.

Le décret-loi 54, un outil de censure

Selon des documents judiciaires consultés par Le Monde, les accusations formulées à l’encontre de M. Zeghidi reposent essentiellement sur ses analyses de la situation politique du pays. Il lui est notamment reproché d’avoir critiqué certaines décisions du président Kaïs Saïed et remis en cause la légitimité des élus locaux après un scrutin caractérisé par une abstention massive.

Ses commentaires sur les restrictions pesant sur les candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2024 ont également été retenus contre lui. Le journaliste a en outre été interrogé sur une publication sur son compte Facebook dans laquelle il exprimait son soutien à Mohamed Boughalleb, un confrère alors emprisonné, puis libéré en février 2024.

Le 22 mai 2024, après un procès expéditif, Mourad Zeghidi et Borhen Bsaïes ont été condamnés à un an de prison pour « diffusion de fausses nouvelles » et « fausses déclarations dans le but de diffamer autrui », en vertu du décret-loi 54, un texte controversé fréquemment dénoncé comme un outil de censure. « J’assume », a alors déclaré Mourad Zeghidi devant le juge, défendant son travail d’analyste politique et rejetant toute intention diffamatoire. « Je n’ai fait que mon métier », a-t-il insisté.

Lors de son procès en appel, le 30 juillet, sa peine a été réduite à huit mois de prison. Alors que sa libération était attenduele 7 janvier, un nouveau mandat de dépôt a été émis contre lui en décembre 2024 dans le cadre d’une enquête pour « blanchiment d’argent ». Ses avocats et ses proches dénoncent une manœuvre visant à ternir son image. « Comme un élan de solidarité s’était formé autour de lui, ils ont voulu le discréditer avec ces accusations », estime sa sœur, Meriem Zeghidi Adda.

« L’un des journalistes les plus honnêtes »

Son avocat, MGhazi Mrabet, souligne que l’accusation se fonde sur des irrégularités fiscales et non sur des flux financiers suspects. L’objectif est, selon lui, de dissuader toute contestation. « Ils ont choisi l’un des journalistes les plus honnêtes, les plus professionnels, voire modéré dans le seul but de faire taire tous les journalistes et voix libres de ce pays. Ce qui fut fait. Tout le monde s’est tu depuis l’arrestation de Mourad », constate-t-il.

Promulgué par le président Saïed en septembre 2022, le décret-loi 54 est officiellement présenté comme un instrument de lutte contre les fausses informations et la cybercriminalité. Mais les organisations de défense des droits humains et le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) dénoncent un texte répressif, utilisé pour sanctionner la liberté d’expression. Son article 24 prévoit des peines pouvant aller jusqu’à dix ans de prison et de lourdes amendes pour la diffusion de « fausses nouvelles ».

Dans un contexte de régression démocratique, ce décret sert à poursuivre des journalistes, des opposants et des citoyens exprimant des critiques sur les réseaux sociaux. A ce jour, quatre journalistes sont officiellement incarcérés en Tunisie et une vingtaine fait l’objet de poursuites judiciaires sous le coup d’accusations diverses.

Mourad Zeghidi, personnalité connue du paysage médiatique, était revenu en Tunisie en 2014, porté par l’élan démocratique post-révolutionnaire. « Ma famille a connu les prisons et la répression mais, après la révolution de 2011, nous pensions que ce temps était révolu. Pourtant, en 2025, mon frère, comme beaucoup d’autres, est de nouveau victime de la répression. Ça fait mal d’en être là aujourd’hui, après tous les sacrifices qui ont été faits », regrette Meriem Zeghidi Adda.
S’il ne se définit ni comme militant ni comme opposant, mais « comme un journaliste porteur d’idéaux » selon sa sœur, Mourad Zeghidi est issu d’une famille marquée par l’engagement politique et syndical. Son père, Salah Zeghidi, syndicaliste influent, a été emprisonné sous l’ancien président Habib Bourguiba. Du côté maternel, son grand-père, Georges Adda, militant communiste et anticolonialiste, a été incarcéré sous le protectorat français, tandis que sa grand-mère, Gladys Adda, s’est illustrée dans la lutte pour les droits des femmes dans le pays. « Certains ne le savent pas, mais nous, on sait, grâce à notre histoire familiale, que cette injustice prendra fin », espère Meriem Zeghidi Adda.