Tunisie

Dyala Nusseibeh : « Nous ne sommes pas un pont entre institutions, artistes et collectionneurs »

Abu Dhabi Art Fair a ouvert ses portes cette semaine, et sa première édition sous le nom d’Art Paris Abu Dhabi a eu lieu en 2007, avant de devenir Abu Dhabi Art en 2009. La foire compte 142 exposants cette année et bénéficie d’une vision culturelle portée par l’Emirat, intégrant des institutions majeures comme le Louvre Abu Dhabi et le futur Guggenheim Abu Dhabi.

La foire d’art d’Abu Dhabi ouvre ses portes cette semaine, faisant partie des événements artistiques les plus significatifs de la région Mena. À cette occasion, nous avons interviewé Dyala Nusseibeh, directrice de la foire depuis plusieurs années. Son parcours dans le milieu artistique est impressionnant, notamment avec la création de la foire d’art d’Istanbul après un passage remarqué à la galerie Saatchi, ainsi que la mise en place d’une plateforme internationale pour les collectionneurs. Elle a accepté de répondre à nos questions.

La Presse — La foire d’Abu Dhabi n’est ni la plus ancienne ni la plus grande de la région. Comment expliquez-vous son rayonnement et sa position majeure sur la scène artistique ?

La foire d’Abu Dhabi est en réalité l’une des plus anciennes de la région. Sa première édition, à l’époque nommée Art Paris Abu Dhabi, a eu lieu en 2007, avant de devenir Abu Dhabi Art en 2009. C’est aussi, je pense, la plus grande, avec 142 exposants cette année. Cependant, notre objectif n’a jamais été de croître pour le seul plaisir de croître, mais de créer un véritable dialogue culturel enrichissant.

Elle repose sur une vision culturelle plus large portée par l’Emirat, ancrée dans la construction d’institutions majeures comme le Louvre Abu Dhabi et le futur Guggenheim Abu Dhabi. Ce contexte lui donne une position unique. Nous ne sommes pas simplement un marché ; nous formons un pont entre institutions, artistes et collectionneurs, et cet alignement stratégique nous donne un rayonnement bien au-delà de notre taille.

Quelle est la spécificité de cette foire par rapport à celles de Dubaï ou de Sharjah ?

Chaque scène artistique des Émirats a un rôle distinct, et cette diversité est notre force. Dubaï est un hub commercial, Sharjah a une structure institutionnelle solide et une biennale, tandis qu’Abu Dhabi Art se trouve à un carrefour : nous existons à l’intersection de la culture, du patrimoine et du marché de l’art. Notre foire est à la fois tournée vers le monde et profondément ancrée dans la région. Nous invitons des commissaires à développer des projets reflétant le rôle des Émirats comme point de rencontre des cultures et nous engageons avec les collectionneurs et les institutions d’une manière intime et intellectuellement stimulante, au lieu d’être uniquement transactionnelle.

Les thèmes chaque année s’inscrivent-ils dans une vision globale ou relèvent-ils d’une actualité inspirante ?

Il y a indéniablement une vision curatoriale à long terme guidant Abu Dhabi Art. Nous souhaitons que les histoires et les récits artistiques de notre région contribuent à façonner les discours internationaux.

Cependant, nous restons attentifs à notre environnement – l’art ne peut pas exister en vase clos. Ainsi, si le récit curatoriel de chaque édition s’inscrit dans notre mission d’éclairer les échanges interculturels et le dynamisme de la région, il reflète aussi des conversations urgentes et les enjeux de notre époque.

Quel impact cette foire a-t-elle sur les artistes de la région ? Leur visibilité se répercute-t-elle dans leurs pays ? Ou est-ce une gloire éphémère ?

Cette visibilité est à la fois transformative et durable. Lorsque des artistes de la région exposent à Abu Dhabi Art, ils sont présentés non seulement aux collectionneurs, mais aussi à des conservateurs de musées, des directeurs de fondations et des acteurs du monde culturel. Beaucoup d’entre eux ont ensuite été invités à des résidences internationales, des biennales ou des expositions grâce à cette mise en lumière. Ainsi, la foire sert de tremplin. Notre but est de construire une reconnaissance réelle et durable pour les artistes de la région, de manière à ce que leurs voix soient considérées comme essentielles dans le récit artistique mondial, et non comme des phénomènes passagers.

Chaque année, le nombre de galeries participantes augmente. Quel serait le chiffre clé pour trouver un équilibre sans nuire à l’échange ?

Absolument. La qualité prévaudra toujours sur la quantité. Notre objectif est de maintenir une foire à taille humaine, fluide et accessible – un espace où les collectionneurs peuvent réellement dialoguer avec les galeries, et où celles-ci peuvent présenter leurs artistes de manière approfondie. Il y a un seuil au-delà duquel l’intimité se perd, et nous veillons à cet équilibre délicat. Pour nous, croître ne signifie pas s’étendre, mais approfondir et inclure de manière réfléchie.

La foire d’Abu Dhabi est-elle limitée aux Émirats ? A-t-elle une présence « hors les murs » ?

Abu Dhabi Art est devenu un véritable écosystème qui dépasse largement le cadre de la foire elle-même. Des expositions comme Beyond Emerging Artists et Gateway continuent de voyager et de s’inscrire dans de nouveaux contextes. Nous collaborons avec des institutions à l’étranger et établissons de plus en plus de partenariats transfrontaliers. Bien que notre ancrage physique reste aux Émirats, la portée de nos artistes est devenue mondiale. Cette année, grâce au soutien de HSBC, nous avons présenté Beyond Emerging Artists dans des lieux prestigieux à Hong Kong et à Londres.

La foire est « bouclée ». Pensez-vous déjà à la prochaine ?

Eh bien, j’écris cette réponse une semaine avant l’ouverture de la foire ! Mais oui, la préparation de chaque édition commence au moins un an à l’avance, et chaque année nourrit la suivante : les relations, les découvertes et les échanges deviennent la base de ce qui suit. Nous sommes déjà en discussion avec des commissaires, des artistes et des galeries pour explorer comment repousser les limites et proposer une édition encore plus ambitieuse. La foire évolue en maintenant un dialogue avec la région et le monde.

Entretien réalisé par Alya Hamza