Tunisie

Dream City 2025 : La Palestine, centre moral du 3 au 19 octobre

Le festival Dream City 2025 est prévu du 3 au 19 octobre prochain et se concentre sur des archives, pratiques et gestes de résistance en lien avec Gaza et Tunis. La pré-ouverture se déroulera le 2 octobre avec «Tarab», une œuvre d’Eric Minh Cuong Castaing, dédiée aux danseurs de Gaza tués en 2024.

Dream city

« Le silence n’est pas neutralité : c’est complicité. Nous choisissons une autre écriture : faire de la ville un sismographe, de l’art un dispositif probatoire ; tisser les archives de Gaza et de Tunis, relier archives, pratiques et gestes de résistance ».

La Presse — «Nous entrons dans une époque où régimes d’enclosure, économies d’extraction et effacement des preuves reconfigurent droit et perception. Gaza en donne la mesure : elle n’est pas un ‘‘cas’’ mais le sismographe d’un effondrement moral global. Partir de Gaza, c’est refuser l’euphémisme, nommer avec précision — génocide, dépossession, siège — et demander aux formes de produire des preuves.

De là se déploie l’architecture de Dream City 2025 : la preuve ; une polyphonie modale (maqâms) des écologies politiques ; la persistance comme pratique du temps », c’est avec ces mots que s’ouvre l’édito de la saison 2025 de Dream City, prévue du 3 au 19 octobre prochain.

Conçu par Jan Goossens en dialogue avec Selma et Sofiane Ouissi et porté par l’association «L’Art Rue», ce festival s’ancre dans la médina et l’espace public, avec pour objectif d’impliquer des artistes libres et engagés dans de nouveaux projets reliant un territoire à ses populations ainsi qu’à ses enjeux politiques et sociaux.

Comment maintenir le lien alors que l’effacement des faits, la réduction des libertés et l’«apocalypse lente» qui atteint corps et imaginaires progressent ? Cette question nourrira cette nouvelle édition de Dream City, reliant Tunis à d’autres points du globe, avec Gaza en son cœur.

Choukri ben dignité
Choukri Ben-Dignité

«Certaines villes condensent l’histoire jusqu’à devenir des sismographes. Gaza en est l’exemple : lieu habité et mémoire en flammes. Le siège s’inscrit dans une chronologie — Nakba 1948, occupation, blocus — où la destruction matérielle vise aussi la destruction morale : l’anéantissement de la capacité d’un peuple à se penser.

Gaza met à l’épreuve nos institutions et révèle un ‘‘ordre fondé sur des règles‘‘ qui se dérobe dès qu’il contrarie des intérêts stratégiques. Euphémisation, hiérarchisation des vies : les symptômes sont connus. Nommer Gaza génocide n’est pas polémique, c’est un devoir de précision. Nous nommons aussi : punition collective et effacement planifié », revendiquent les organisateurs, plaçant la Palestine comme centre de gravité moral de l’édition.

Hommage aux danseurs de Gaza

En écho à cela, la pré-ouverture prévue pour le 2 octobre s’effectuera avec «Tarab», une œuvre d’Eric Minh Cuong Castaing, dédiée aux danseurs de Gaza tués en 2024. Cette célébration sera réalisée avec le musicien libanais d’origine palestinienne, Rayess Bek, et sept danseurs tunisiens. Portés par la dabkeh, la Taa’Kib et rejoints par une centaine de danseurs complices, ils entraîneront le public dans un élan commun où la douleur se transforme en transe collective mêlant traditions et gestes contemporains.

Radouan mriziga the desert crédit photo louca van roy
Radouan Mriziga-the desert-crédit photo Louca Van Roy

En partenariat avec la Sharjah Art Foundation, des artistes produisent des contre-cartographies — Jumana Manna, Sille Storihle, Sharif Waked, Raeda Saadeh, Basma al-Shaif — illuminant une contre-géographie des fractures palestiniennes : mémoire active, traces restaurées, récits de pacification déjoués, résistance déplacée vers la persistance.

«Face à l’effacement, l’art devient enquête, archive et document»

«Tarab» fait partie des nouvelles créations contextuelles programmées dans cette édition avec 23 autres œuvres, dont «Zifzafa» de Lawrence Abu Hamdan. Chercheur, cinéaste, artiste et activiste, ou comme il le dit un «Private Ear», il associe art, justice et écologie. Avec Zifzafa, il participe pour la deuxième fois à Dream City.

En 2022, il avait présenté Daght Jawi à la Cité des Sciences de Tunis, puis à Bruxelles en 2024 dans le cadre de Dream City x Kanal.

Cette année, le festival accompagne et coproduit sa nouvelle création. Zifzafa est un mot arabe évoquant un vent qui ébranle tout sur son passage.

Dans son œuvre éponyme, Hamdan mêle paysage sonore, parole et simulation en temps réel. Il établit, par des enregistrements géolocalisés et une analyse acoustique, que le bruit des éoliennes sur le Golan occupé engendre l’inhabitabilité : le son devient une preuve matérielle d’une dépossession, l’«écologie» masquant une colonisation.

«Composé par Busher Kanj Abu Saleh et interprété avec Amr Mdah, cette performance sonore capte le vent comme force d’effacement autant que cri de résistance. Ici, le son devient mémoire, archive et ligne de front », peut-on lire dans un texte présentant l’œuvre.

Dans une même approche de réhabilitation et de documentation, on trouve «La vertigineuse histoire d’Orthosia», une performance signée Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Ensemble, ils révèlent des strates d’effacement.

A l’origine, un fait se déroulant à Nahr el Bared, au nord du Liban, dans un camp de réfugiés palestiniens fuyant la Nakba de 1948. En 2007, la guerre éclate, détruisant le camp. C’est à ce moment que surgissent les vestiges d’Orthosia, ville romaine disparue depuis un tsunami en 551 apr. J.-C. Découverte majeure, mais fouiller impliquerait un second déplacement des réfugiés.

Les artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, à travers photo, installation, vidéo et cinéma, interrogent les récits invisibilisés. Avec cette performance, ils nous immergent dans un palimpseste de constructions et de destructions, révélant les cités invisibles et les mondes souterrains. Une autre question de preuves, selon les organisateurs, est abordée avec «Dignité», une œuvre théâtrale de Chokri Ben Chikha. Il y réactive l’archive des «zoos humains» en tribunal du présent.

D’autres œuvres prévues dans cette édition, telles que «Resilience Overflow» (Lara Tabet) et «In Search for Justice Among the Rubble» (Public Works Studio) — en collaboration avec le Center for Human Rights & the Arts (Bard College) et Tania El Khoury — documenteront cette mise à mort des preuves par les forces coloniales.

De même, la grande exposition «La polyphonie modale» de Suni‘a Bisihrika sera au cœur de cette édition. Créée par Your Magic–First Movement, Tunis (Dream Exhibition), elle a été imaginée et curatée par Tarek Abou El Fetouh. «Suni’a Bisihrika» est un cycle curatorial en cinq phases à travers plusieurs villes, débutant à Tunis pendant Dream City 2025 et se concluant en 2027 avec une grande exposition et la publication d’un ouvrage coédité avec Rasha Salti.

Le titre évoque une phrase mnémotechnique servant à mémoriser les huit maqâms arabes principaux. Chaque lettre correspond à un maqâm, structure modale utilisée depuis des siècles, du monde arabe à l’Asie centrale. Chargés d’histoire, de politique et de culture, les maqâms interrogent les notions figées d’identité. Ils sont porteurs de diversité, ayant traversé guerres, exils et effondrements. 27 autres expositions sont prévues, incluant installations, art vidéo et autres publications.

Choukri ben dignité
nassa4nassa- cham3dan-crédit photo Salma Olama

Différents axes

Le festival se concentre sur les «écologies politiques» où paysages, corps et gestes se présentent comme autant d’archives de domination et de résistance. À cet égard, des œuvres telles que «Magec / The Desert» de Radouan Mriziga, «The Grounding Point» de Sonia Kallel, «Laâroussa Fragment» et «Laâroussa Quartet» de Selma & Sofiane Ouissi figurent au programme.

La question de la persistance sera également abordée, comme le soulignent les organisateurs, face à «l’apocalypse lente». Cela inclut des œuvres telles que Sham3dan (nasa4nasa), Asswat (Cyrinne Douss), Dressing Room (Bissane Al Sharif), Every Brilliant Thing (Ahmed Al Attar & Nanda Mohammed), Tolon Kè! (Serge-Aimé Coulibaly) et Blue Nile to the Galaxy Around Olodumare de Jeremy Nedd et Impilo Mapantsula.

«Créer aujourd’hui est risqué ; se taire l’est davantage. Le silence n’est pas neutralité : c’est complicité.

Nous choisissons une autre écriture : faire de la ville un sismographe, de l’art un dispositif probatoire : tisser les archives de Gaza et de Tunis, relier archives, pratiques et gestes de résistance. Rêver avec précision : des mots pour nommer, des gestes pour préserver, des formes pour ouvrir l’avenir », c’est à travers ces mots manifestes que l’équipe de l’Art Rue résume cette édition.

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Eric Minh- Cuong Castaing- crédit photo Julie Charbonier