« Chute libre » de Noomene Hamda : satire de l’art en déroute
La première de la pièce « Chute libre » écrite et mise en scène par Noomene Hamda a eu lieu le 1er octobre au Théâtre des Régions à la Cité de la culture de Tunis, dans le cadre de la 6e édition de la manifestation « Sortie au théâtre ». Produite par Interact Production, la pièce réunit sur scène Noomene Hamda et Souhir Ben Amara, et ses dialogues dévoilent la face sombre du monde artistique à travers une forte charge émotionnelle.

Avec cette nouvelle pièce, Noomene Hamda démontre encore son engagement envers un théâtre moderne, soutenu par une écriture percutante et une mise en scène efficace.
La Presse — Le Théâtre des Régions à la Cité de la culture de Tunis a accueilli, le 1er octobre, la première de la pièce « Chute libre », écrite et mise en scène par Noomene Hamda.
Cette représentation fait partie de la 6e édition de l’événement « Sortie au théâtre », organisé chaque année par le Pôle théâtre et arts scéniques du Théâtre de l’Opéra de Tunis, visant à mettre en lumière les nouvelles productions tunisiennes. L’édition 2025, qui s’est déroulée du 26 septembre au 2 octobre, avait pour objectif de sortir le théâtre de son statut élitiste et de rétablir le lien avec un vaste public. Cet objectif semble atteint vu la forte affluence observée tout au long de la semaine.
Produite par Interact Production, « Chute libre » présente sur scène deux figures emblématiques de la culture tunisienne : Noomene Hamda et Souhir Ben Amara. Le public a répondu présent pour cette première, qui s’est jouée dans une salle pleine.
La pièce débute avec une scène d’enregistrement pour une émission de télévision, où deux invités discutent de leurs parcours artistiques et personnels. Rapidement, les rôles se précisent : Noomene Hamda incarne un artiste engagé, une figure théâtrale militante, cherchant à trouver sa place et une reconnaissance dans un paysage culturel en déclin. En face de lui, Souhir Ben Amara, vêtue d’une robe longue rouge en satin, représente l’image d’un succès superficiel, axé sur le paraître et le consensuel.
Dans cet échange tendu et burlesque, chacun cherche à dominer le dialogue. La logorrhée insignifiante de Souhir, remplie de clichés, se heurte aux interventions passionnées de Noomene, qui n’hésite pas à interrompre l’enregistrement à plusieurs reprises. Cette dynamique de confrontation donne lieu à une scène à la fois comique et férocement critique. Désormais, cette scène se transforme en une parodie acerbe des talk-shows privilégiant le superficiel au détriment de la créativité.
Peu à peu, la comédie se mue en une introspection douloureuse. Du ton humoristique qui marque le début de « Chute libre », les dialogues évoluent vers une atmosphère plus poignante. Le spectateur est progressivement convié à découvrir les failles et les traumas de ces deux artistes, que tout semble opposer, mais qui partagent finalement les mêmes souffrances et interrogations.

«C’est quoi, une ambition ? », finit par s’interroger chacun d’eux. Sous cette question superficielle se cachent une vulnérabilité saisissante et des désillusions profondes. Dans une lumière tamisée, les dialogues brefs laissent place à de longues tirades, suivies de soliloques intimes où chacun se livre seul au public. Ces instants bouleversants dévoilent la face obscure du monde artistique, un univers impitoyable ayant détruit leurs rêves simples et légitimes. Le texte, fortement chargé d’émotion, semble s’inspirer de l’expérience personnelle de Noomene Hamda, qui l’a rédigé après 30 ans de carrière. Il y dénonce avec acuité la quête de subventions, les sabotages, et les hommages posthumes dénués de sens.
Une voix off, diffusant des textes enregistrés par les acteurs eux-mêmes, a renforcé l’émotion scénique. Cette narration en arrière-plan était accompagnée d’une projection sur un grand écran, montrant les deux comédiens dans des scènes filmées, en complément de ce qui était joué sur scène.
À mesure que les masques tombent, les échanges entre les personnages deviennent plus tendus, nerveux, parfois même agressifs, révélant ainsi la cruauté humaine. «Un homme, ça s’empêche», déclare Noomene Hamda dans une tirade où il évoque Albert Camus. Cette phrase, tirée de «Le Premier Homme», fait référence aux pulsions, à la haine qui aurait pu transformer l’Homme, ou plutôt les artistes dans ce contexte, en véritables monstres.
La puissance expressive de la pièce repose sur son thème, son texte, mais surtout sur la remarquable qualité du jeu des acteurs. De nombreuses séquences ont suscité des applaudissements. Souhir Ben Amara, star du petit et du grand écran, a brillamment interprété ce rôle riche en nuances. Pour Noomene Hamda, cela représente une continuité de ses autres œuvres, qui s’inscrivent également dans cette même démarche d’engagement.
La musique de Dhirar Kefi, guitariste et compositeur, a intensifié la portée dramatique, notamment lors de la scène finale, celle de la chute libre.
Est-ce une chute en enfer ou les artistes verront-ils leurs ailes se déployer ?
À travers cette nouvelle pièce, Noomene Hamda réaffirme son engagement pour un théâtre ancré dans son temps, soutenu par une écriture puissante et une mise en scène efficace. Entre humour noir et moments de tension dramatique, cette pièce navigue habilement entre satire et tragédie, offrant une critique puissante et émouvante d’un monde où les véritables artistes peinent à se faire une place.

