Tunisie

Beït al-Hikma : Conférence inaugurale 2023 sur l’humanité et l’Anthropocène

L’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, « Beït al-Hikma », a donné le coup d’envoi de l’année académique 2025-2026 le samedi 4 octobre 2025, avec une conférence inaugurale présentée par le professeur François Hartog. Le monde vit désormais dans une spirale d’instabilité permanente, amplifiée par les médias et les réseaux sociaux, avec des incertitudes croissantes dues à divers facteurs, dont la guerre en Ukraine depuis février 2022 et le conflit israélo-palestinien depuis octobre 2023.

« Nous sommes confrontés à une accumulation rapide de facteurs d’incertitude, amplifiés par les médias et les réseaux sociaux. Une spirale de menaces semble s’être déclenchée, que nos sociétés, prises entre urgence et contradictions, peinent à maîtriser ».

La Presse — L’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, « Beït al-Hikma », a lancé l’année académique 2025-2026 le samedi 4 octobre 2025, avec une conférence inaugurale de haute qualité, intitulée « Un temps désorienté : du présentisme à l’Anthropocène », présentée par le professeur François Hartog, historien de renom et titulaire de la chaire d’historiographie ancienne et moderne à l’École des hautes études en sciences sociales.

Le conférencier a su séduire un large auditoire en l’incitant à méditer sur les profondes transformations de notre rapport au temps, à l’histoire et à l’avenir.

François hartog beit al hikma

La spirale d’instabilité

En abordant les concepts de « présentisme », selon lequel seul le présent existe, et d’« Anthropocène », qui désigne une nouvelle ère géologique où l’impact de l’activité humaine sur la planète est devenu la force géologique et environnementale dominante, le professeur Hartog a démontré comment notre rapport au temps se redéfinit à une époque où l’humain marque durablement la Terre.

Il souligne que la centralité du présent, intensifiée par les technologies et la communication instantanée, se heurte à la durée et à l’ampleur des phénomènes planétaires et historiques, engendrant une véritable désorientation temporelle dans nos sociétés contemporaines.

Il a également interrogé les conséquences de cette double temporalité pour la pensée historique, l’urbanisme, la politique et l’action sociale, insistant sur l’importance d’articuler les temporalités individuelles et planétaires dans un monde en proie à des crises écologiques et sociales grandissantes.

François Hartog dresse un constat clair sur l’époque actuelle, marquée par une accumulation sans précédent d’incertitudes. De la pandémie de Covid-19 aux conflits internationaux récents, en passant par le dérèglement climatique et la montée des tensions politiques, le monde vit désormais dans une spirale d’instabilité permanente, exacerbée par les médias et les réseaux sociaux.

« Avant la pandémie de Covid-19, l’incertitude était le mot d’ordre de l’ouverture de la décennie. Si la pandémie a été un indicateur de l’incertitude mondiale en 2020-2021, de nouveaux facteurs sont apparus depuis, tels que la guerre en Ukraine depuis février 2022, le conflit israélo-palestinien depuis octobre 2023, et le retour de Donald Trump au pouvoir en janvier 2025, le tout dans un contexte d’instabilité climatique accrue ».

L’historien a examiné cette crise sous l’angle du temps, qu’il considère aujourd’hui profondément désorienté. « Le futur a perdu de son évidence », explique-t-il, notant que notre société s’enferme dans un présentisme, ou plutôt un présent envahissant et sans perspective, alimenté par la communication instantanée et l’urgence permanente.

Nous sommes face à une accumulation rapide de facteurs d’incertitude, amplifiés par les médias et les réseaux sociaux. Une spirale de menaces semble s’être enclenchée, que nos sociétés, tiraillées entre urgence et contradictions, peinent à gérer, explique-t-il. « Face à cette incertitude généralisée, les inquiétudes augmentent, tout comme les prophètes de malheur et autres exploitants de l’angoisse ».

La tyrannie du temps immédiat

L’Anthropocène, reconnu comme une nouvelle époque géologique, souligne que l’humanité est devenue une force géologique. Les actions humaines modifient la Terre de manière exponentielle depuis les années 1950. Présentisme et Anthropocène confrontent l’humanité à un passé immense (4,54 milliards d’années) et à un futur déjà menaçant, avec des extinctions massives possibles, avertit le conférencier.

« Ces temporalités dépassent notre capacité de représentation et nourrissent incertitude et inquiétude. Le présentisme engendre une première désorientation temporelle ; l’Anthropocène en ajoute une seconde. Cette accumulation de temporalités multiples est maintenant la condition historique de nos sociétés ».

Le conférencier interroge : « Comment vivre dans l’Anthropocène ? Comment articuler les temporalités planétaires et celles du monde humain, souvent discordantes et contradictoires ? ». D’après lui, la coexistence d’un présentisme à la fois choisi et subi, les inégalités entre le Nord et le Sud, ainsi que la gestion de l’urgence climatique génèrent de fortes tensions. Dans ce contexte, a-t-il ajouté, l’urbanisme et l’architecture doivent faire preuve de flexibilité, de modularité et d’adaptabilité.

Cependant, cette adaptation se heurte à une « tyrannie du temps immédiat », dictée par les technologies et l’intelligence artificielle, qui valorisent l’efficacité instantanée au détriment de la réflexion et du long terme. En convitant des figures de proue de la recherche et de la pensée mondiale, Beït al-Hikma continue ainsi sa mission d’ouverture et de dialogue scientifique, offrant au public académique un moment privilégié de réflexion et d’échanges sur les enjeux contemporains.