Tunisie

«Â Notre semence », d’Anis Lassoued : Portrait sans fard des enfants du pays

Le Théâtre des régions de la Cité de la culture de Tunis a abrité la première projection de « Notre semence », un documentaire signé Anis Lassoued, sélectionné pour la compétition officielle. Le film, d’une durée de 80 minutes, met en regard le vécu d’adolescents issus de deux milieux différents : Yassine, dont le père maçon peine à faire vivre une famille de quatre enfants, et Skander, né dans une famille riche.

Entre confidences, larmes, humour et persévérance, ce documentaire interroge les fondements de notre quotidien et notre confiance en un avenir plus prometteur.

La Presse — La première projection de « Notre semence », un documentaire réalisé par Anis Lassoued, a eu lieu au Théâtre des régions de la Cité de la culture de Tunis.

Ce film, sélectionné pour la compétition officielle, d’une durée de 80 minutes, plonge dans la vie d’adolescents issus de deux milieux différents. Le public a pu découvrir la réalité de Yassine, qui a grandi dans un quartier populaire, dont le père, maçon, lutte pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre enfants. À l’opposé, Skander a eu la chance de naître dans une famille aisée.

Le documentaire met en lumière ces deux situations radicalement opposées pour provoquer une prise de conscience chez les spectateurs. Les enfants du maçon quittent l’école dès leur jeune âge après une série d’échecs, tandis que Skander poursuit ses études dans une école française dotée d’une piscine et d’un amphithéâtre. Tandis que Yassine s’amuse à élever des pigeons achetés au souk, Skander passe près de six heures par jour sur des jeux vidéo.

Le père de Yassine se retrouve contraint de choisir entre payer le loyer ou acheter un gâteau pour les fêtes, alors que la famille de Skander dépense sans compter. Le film, avec son ton oscillant entre critique et humour, réussit à garder l’attention du spectateur grâce à des moments chargés d’émotion.

Au fil des confidences des protagonistes, le public s’attache à eux et ressent même de l’inquiétude pour leur avenir. Les propos des enfants, parfois saisissants, parfois drôles, ont suscité des applaudissements dans la salle, témoignant d’une complicité entre le public et les personnages.

« Mon fils, aime ton pays ! »

Yassine et ses frères ne voient d’autre échappatoire à leur condition que de quitter leur pays. « J’aurais aimé être optimiste », avoue l’aîné, évoquant la situation générale en Tunisie. L’un d’eux a même tenté une immigration clandestine, mais celle-ci a été rapidement arrêtée par la police. Il envisage de retenter sa chance, croyant que le départ doit se faire avant ses 18 ans pour bénéficier de l’aide des institutions religieuses.

À l’inverse, Skander, bien que vivant dans le confort, souhaite également quitter la Tunisie. Il apprécie le pays, mais ne supporte pas la mentalité de ses habitants, la corruption lui étant particulièrement insupportable. Avec sa culture française, il semble préoccupé par des problèmes éloignés des réalités de la classe populaire, ne connaissant pas même Ibn Khaldoun, malgré la statue que l’on croise au cœur de Tunis.

À travers les déclarations de Skander et sa sœur, leur attachement à la Tunisie paraît indéniable. Ce patriotisme leur est inculqué par leurs parents, particulièrement par leur mère qui leur tient ce message inspiré d’un mur en Suisse : « Mon fils, aime ton pays ». Pour elle, même si les difficultés existent, il faut s’unir pour s’en sortir. « Si tout le monde part, qui restera ? », répond-elle lorsqu’on lui demande si elle encourage ses enfants à s’installer à l’étranger.

Elle exprime le souhait de les instruire avec le savoir développé en Europe, afin qu’ils puissent ensuite faire bénéficier leur pays. Le père, lui, gère un grand projet agricole hérité de générations passées, et espère que son fils reprendra le flambeau. À travers plusieurs scènes, le documentaire souligne l’importance de l’influence parentale dans l’éveil de l’amour de la patrie chez les jeunes.

L’immigration, qu’elle soit légale ou non, constitue un thème central du film. Le réalisateur a inclus des scènes réelles de manifestations de parents ayant perdu le contact avec leurs enfants migrants, sollicitant l’aide des autorités pour les retrouver.

En plus des inégalités sociales, le film aborde des sujets toujours d’actualité tels que l’inflation, les droits des enfants, le suicide chez les adolescents, le fanatisme religieux, l’importance du dialogue familial et la perte de confiance des jeunes envers les responsables politiques. Il se clôt sur des scènes réelles des élections présidentielles, qui suscitent l’espoir d’un avenir meilleur, auxquelles les deux familles ont pris part.

La souffrance du réalisateur

Après la projection, nous avons questionné Anis Lassoued sur sa méthode de sélection des deux familles suivies dans le film. Il explique : « Je les ai simplement croisés, mais je connais plusieurs familles similaires dans mon entourage. » Les protagonistes reflètent la vie quotidienne de nombreux anonymes, témoins de réalités sociales souvent ignorées.

Le réalisateur souligne la difficulté d’intégrer ces familles dans le documentaire, précisant que cela ne s’agit pas seulement d’un simple accord. « Il faut du temps pour pénétrer leur intimité afin qu’ils acceptent de se livrer totalement. » Concernant le choix des thèmes, Anis Lassoued estime qu’il était important d’aborder la question de l’immigration clandestine, car « selon les statistiques, 40% des migrants sont des enfants. » Sur les six enfants présentés dans le film, quatre vivent déjà à l’étranger. Les deux fils aînés du maçon ont décroché des contrats de travail, tandis que Skander et sa sœur poursuivent leurs études universitaires. Cette expérience a d’ailleurs inspiré le jeune garçon à envisager une carrière dans le cinéma.

Interrogé sur la raison d’un délai de six ans pour la sortie du film, il répond : « C’est la souffrance du réalisateur, » citant des contraintes budgétaires depuis son long-métrage précédent, « Une seconde vie ». « Il a fallu faire preuve d’ingéniosité pour financer ce documentaire. » Il convient de noter que ce film a reçu des subventions du Fonds d’encouragement à la création littéraire et artistique, et a également bénéficié du soutien d’Al Jazeera documentaire. Anis Lassoued a participé l’année dernière aux JCC avec un court-métrage de fiction intitulé « Loading ». Actif et déterminé, sa carrière est déjà jalonnée de nombreuses productions, certaines ayant été récompensées à l’international. Reste à voir si ce documentaire parviendra à convaincre le jury et à obtenir un prix.