Cet ancien bâtiment agricole en Valais a été transformé en maison de vacances. Hallenbarter AG
Pour beaucoup, en Suisse surtout, posséder une maison à la montagne tient du rêve. L’offre est rare et chère. Dans le même temps, de nombreuses étables et remises d’altitude sont vides, désormais inutiles du point de vue agricole. Démolir ou transformer?– tel est le dilemme. Qui divise…
Ce contenu a été publié le 26 janvier 2022 – 10:09
26 janvier 2022 – 10:09
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Aux Grisons et en Valais surtout, deux cantons de montagne, des milliers d’étables et de hangars parsèment la campagne et ne servent plus à personne pour y abriter animaux et outils. Faut-il les abandonner à l’usure du temps, les démolir ou les réaffecter en logements de vacances?
«Tout dépend des étables», observe l’architecte grison Gion A. Caminada, porté sur le sujet sous l’angle scientifique puisque professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). La question fondamentale est de savoir si l’étable cible se situe dans une localité ou en rase campagne.
«Je possède moi-même plusieurs étables à Vrin, car mon père était agriculteur, explique Gion A. Caminada. Nous, les gens de la région, cherchons à les conserver même si nous ne les utilisons pas, sachant que nous nous sentons rattachés à elles.» En tant qu’architecte, le Grison a lui-même transformé des remises, notamment à Fürstenau, où il a imaginé l’auberge «Casa Caminada».
L’auberge «Casa Caminada» à Fürstenau. Ben Huggler
S’agissant des bâtisses agricoles perdues dans le paysage, l’architecte n’y va pas par quatre chemins. Si elles ne sont plus utilisées par l’agriculture, elles doivent disparaître. «Les nostalgiques considèrent que ces vieilles étables font partie d’une campagne intacte. Mais il y a 200 ou 300 ans, elles n’existaient pas – la région était boisée.» Une campagne intacte, ça n’existe pas, lance d’ailleurs l’architecte. Il s’agit toujours d’une construction humaine. En transformant ces étables en logement, on ne préserve pas un patrimoine culturel, on le détruit. «La culture est davantage qu’une image», rappelle-t-il.
L’association pour l’aménagement du territoire Espace Suisse est du même avis. «Selon leur emplacement, les bâtiments inutilisés ou même délabrés devraient être démolis». Transformer les étables en maisons d’habitation? «Nous sommes très critiques», reprend Raimund Rodewald, représentant de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage. Avec des organisations de protection de la nature et diverses associations, la fondation a lancé une initiative populaireLien externe visant à interdire la transformation de bâtiments agricoles en habitations.
Refus de l’étalement urbain
Et pourtant, la situation prévalant dans les Alpes suisses pourrait plaider en faveur d’une réaffectation des étables en logements de vacances. Ces régions sont en effet confrontées à une pénurie de terrains à bâtir.
Certes, de nombreux villages de montagne subissent un exode rural. Mais les gens de l’extérieur se ruent sur les appartements de vacances – les hypothèques à prix canon y sont pour quelque chose – tout en ne les occupant qu’à temps partiel. C’est le problème des lits froids. Certaines régions se sont littéralement étouffées à coup de législations autrefois quelque peu laxistes et de boom de la construction.
En 2012, la population a exprimé son malaise en acceptant l’initiative populaire «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires». Un an plus tard, elle avalisait un renforcement de la norme nationale sur l’aménagement du territoire.
A Scharans, dans le canton des Grisons, les architectes Gasser et Derungs ont transformé cette étable historique avec entrepôt de foin en maison d’habitation. Bodo Mertoglu
La condition préalable à la nouvelle «maison-étable» de Scharans était de respecter strictement l’existant de l’étable tout en créant une nouvelle définition de l’espace, c’est-à-dire en créant pour ainsi dire une maison dans l’étable. Bodo Mertoglu
À Madulain, dans le canton des Grisons, le bureau d’architectes Schmidlin a transformé ou plutôt reconverti une étable à foin, qui était vide au centre de ce village de 200 âmes, en un lieu d’art. Constructive Alps
Hormis l’installation d’un système d’éclairage, l’étable n’a pratiquement pas changé. L’endroit n’a pas besoin d’être chauffé, car la maçonnerie massive en moellons régule la température. Constructive Alps
Dans la commune de montagne de Sargogn, la législation actuelle permet, en collaboration avec le service des monuments historiques des Grisons, de transformer des étables caractéristiques du site en résidences secondaires. von Mann Architektur
Le caractère de l’étable a été conservé et peut être vécu à l’intérieur. von Mann Architektur
Dans le petit village de Riom, dans le canton des Grisons, une grange volumineuse a été transformée en un lieu culturel chauffé appelé «Clavadeira». Les architectes Derungs et Gasser ont essayé de préserver l’ambiance de l’espace. Le projet a été récompensé par le Prix Wakker 2018. Keystone / Christian Beutler
Dans le petit village de Pozzo, dans les Alpes de Lombardie (Italie), une ancienne étable a été réutilisée comme chapelle mortuaire. L’architecte Sergio Ghirardelli a placé la chapelle à l’intérieur du bâtiment sous forme de boîte. Constructive alps
La grange de Beatenberg (canton de Berne), vieille de plus de 200 ans, a été construite selon la méthode traditionnelle en rondins. La grange vide a été rénovée avec le soutien du service cantonal des monuments historiques et de la protection du patrimoine de sorte que son caractère d’origine soit conservé. Elle est louée par la fondation Vacances au cœur du patrimoine. Stiftung Ferien im Baudenkmal
La fondation Vacances au cœur du patrimoine est un projet à la croisée du tourisme et de la conservation du patrimoine. Dans toute la Suisse, elle reprend des monuments historiques exposés à la ruine et menacés de démolition, les restaure en douceur et leur donne un avenir animé en tant qu’objets de vacances. Gataric-fotografie.ch
Au centre du village de Soglio (canton des Grisons), une étable a été transformée par les architectes Runelli. Ruinelli Associati
Le béton damé reprend le rôle statique de l’ancienne maçonnerie traditionnelle, une tentative de fusionner l’ancienne substance avec la nouvelle, comme si le béton damé était la suite logique et contemporaine des anciens murs de pierre. Ruinelli Associati
Dans les environs de Berlin, une styliste et une photographe ont transformé une ancienne étable en studio de photo. Ruben Beilby
D’après les plans de l’architecte Helga Blocksdorf, il fallait un budget minimal de 150’000 euros pour la transformation. Ruben Beilby
«La loi sur l’aménagement du territoire prévoit une séparation stricte en zones constructibles et zones non constructibles, écrit Monika Zumbrunn, d’Espace Suisse. Ce principe dit de séparation permet d’éviter le mitage du territoire et contribue à un usage mesuré du sol.»
De fait, les vieilles étables sont souvent situées en pleine nature, autrement dit, hors de la zone constructible. Parfois même en pleine région de danger d’avalanche. «En cas de réaffectation d’anciens bâtiments agricoles, il en découle le plus souvent des utilisations multiples et des aménagements supplémentaires, de nouvelles routes d’accès par exemple», explique Monika Zumbrunn. Chaque utilisation additionnelle nuit au paysage naturel et culturel comme aux écosystèmes, déjà fortement sous pression, ajoute la communicatrice d’Espace Suisse.
Ce que dit le droit suisse
Le droit suisse en matière d’aménagement du territoire prévoit une séparation stricte entre zones constructibles et zones non constructibles. Le changement d’affectation des étables, hangars et autres édifices agricoles situés hors de la zone constructible pour des raisons historiques n’est possible qu’à de strictes conditions. Par exemple lorsque le bâtiment en question est digne de protectionLien externe ou caractérise le paysageLien externe. Autorités et tribunaux se montrent généralement assez pointilleux alors que la politique locale tente les échappatoires dans l’intérêt des entreprises de la construction et la sauvegarde des emplois.
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Représentant de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage, Raimund Rodewald admet que l’emplacement de l’étable est crucial. Celles situées au sein des villages sont le plus souvent en zone constructible. Mais pour Raimund Rodewald, les communes pourraient en faire un usage public au lieu de les abandonner au boom immobilier. Elles peuvent les convertir en musées, en petites salles de concert, en lieu de rencontre pour personnes âgées, en point d’information…
Ce qui ne convainc pas Gion A. Caminada. «Une étable est une étable», estime-t-il. Une chapelle ou un musée n’y ont pas leur place. Ce genre de mélanges conduisent à la confusion. «Les villages sont faits de hiérarchies formelles claires. Si l’on veut utiliser des étables à d’autres fins, il faut introduire une catégorie additionnelle.»
Que font les autres pays?
L’agriculture s’étant partout modernisée, le débat autour des étables vides s’observe dans d’autres pays. La situation varie toutefois considérablement d’une région à l’autre. En Allemagne, par exemple, on cherche à réaffecter les étables de village en maisons d’habitation. Objectif: éviter que tout le monde ne s’installe en périphérie, dans de nouvelles constructions, menant au dépeuplement des centres.
Au centre de Dornbirn en Autriche, un bâtiment agricole datant de 1889 a été transformé avec soin en un atelier-logement, après avoir échappé de peu à la démolition. La structure de l’étable, de l’aire de battage et de la remise a été conservée. Angela Lamprecht/Constructive Alps
Au Tyrol et dans certaines parties de la Grande-Bretagne, la transformation des étables est quasiment impossible, selon Raimund Rodewald. Mais pour des raisons qui diffèrent. L’Autriche souhaite protéger l’hôtellerie de la concurrence, l’Angleterre veut pour sa part préserver son patrimoine culturel. Les règles britanniques ont toutefois perdu de leur rigueurLien externe ces dernières années.
Dans la péninsule italienne, les étables sont rarement réutilisées, n’étant pas viabilisées, donc impropres à servir de maisons de vacances. «En Suisse, nous débattons dans le luxe, beaucoup d’argent a été investi en régions de haute montagne dans les routes, les lignes électriques et les raccordements aux égouts, constate Raimund Rodewald. Ici, de nombreux lieux chargés d’histoire ont connu la gentrification.»
Une étable ne s’habite pas
Reste que du point de vue architectonique aussi, la réaffectation d’une étable en habitation tient du défi. En général, remises et étables ne sont pas isolées thermiquement. Ni du reste raccordées aux réseaux électrique, d’eau et d’égouts. Lorsque des animaux y ont vécu, il s’agit parfois aussi d’éliminer les odeurs gênantes.
La question, au fond, se résume à ceci, explique Gion A. Caminada: «Comment puis-je créer un espace de vie intéressant tout en réutilisant la substance existante?» Pour y parvenir, les architectes doivent faire preuve de pensée rationnelle et économique, mais aussi d’imagination esthétique.
En Suisse, concevoir sa maison de vacances à partir d’une étable est donc tout sauf aisé. Une fois obstacles juridiques et pratiques franchis, il devient toutefois possible de concrétiser son rêve au parfum d’histoire. Les exemples réussis le prouvent, à découvrir dans notre galerie photos.