Suisse

Scandale des signatures falsifiées: la Suisse a des failles dans son système

récolte de signatures


Un travail de forçat: récolter des signatures pour une initiative populaire, ici au marché de Neuchâtel.


Keystone / Jean-Christophe Bott

Jusqu’à présent, le papier était considéré comme le garant de la sécurité du système de vote suisse. Avec le scandale des signatures falsifiées, cela est terminé. La Suisse se trouve face à un changement de paradigme. Analyse.

Que s’est-il passé?

Des entreprises commerciales de récolte de signatures sont soupçonnées d’avoir falsifié des signatures à grande échelle en Suisse. Le Ministère public de la Confédération enquête, les politiques exigent des mesures. L’affaire révélée par les journaux du groupe de médias Tamedia Lien externetouche la Suisse au cœur. La confiance dans les procédures habituelles est en jeu, la démocratie directe est impactée.


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Une douzaine d’initiatives populaires pourraient avoir été soumises au vote grâce à des signatures falsifiées. La Chancellerie fédérale tient toutefois à rassurer, en indiquant qu’il n’y a pas assez d’indices pour dire que le peuple aurait voté sur un texte alors que le nombre de signatures n’aurait pas été suffisant. Mais peut-on se fier à cette tentative d’apaisement?

Une signature ou une identité sur trois sur les feuilles de collecte de paraphes s’avèrent être fausses lorsque la récolte est effectuée par des entreprises commerciales. C’est ce qu’affirme Marc Wilmes, qui vérifie les signatures à titre professionnel. Interrogé par la radiotélévision alémanique SRFLien externe, Marc Wilmes précise que les communes peuvent certes vérifier les adresses et les dates de naissance, mais pas les signatures. Un problème majeur, puisque c’est la signature qui, dans la plupart des cantons, valide les cartes de légitimation des citoyennes et citoyens pour se rendre aux urnes.

Quels sont les enseignements?

La confiance est ébranlée. C’est le premier enseignement de cette affaire, qui générera encore beaucoup de discussions en Suisse.

Le deuxième enseignement est tout aussi décevant. Cette arnaque aux signatures montre en effet qu’il est tout à fait possible de falsifier l’identité des citoyennes et citoyens en Suisse. On peut le faire si on le veut et qu’on n’a pas de scrupules.

Ces dernières années, de plus en plus de fausses identités y apparaissent sur les feuilles de récoltes de signatures.


Ces dernières années, de plus en plus de fausses identités y apparaissent sur les feuilles de récoltes de signatures.


Keystone / Alexandra Wey

Le troisième enseignement est plus banal, mais aussi quelque peu brutal: il existe en Suisse une volonté d’acheter les décisions du peuple, et celle-ci s’est accrue ces dernières années.

Quel est le rôle de la Confédération?

Depuis des années, les autorités enquêtent sur de potentielles irrégularités dans les collectes de signatures, sans en piper mot. À ce titre, il est intéressant de noter que le canton de Neuchâtel a interdit les collectes de signatures rémunérées dès 2021, après avoir observé des fraudes.  

Et il est encore plus frappant de constater que le Conseil fédéral a levé cette interdiction en 2023 en invoquant le droit fédéral. Il l’a fait au moment même où la Chancellerie fédérale enquêtait précisément sur ce schéma frauduleux. En 2022, elle avait déposé une plainte pénale à ce sujet.

Si la confiance dans le système de vote est le bien le plus précieux, il est difficile de comprendre pourquoi la Chancellerie fédérale et le gouvernement n’ont pas communiqué à ce sujet pendant si longtemps. Cela devra un jour être pris en compte lorsqu’on calculera combien de confiance a coûté la fraude aux signatures.

Quel est le rôle du fédéralisme?

Il était crédule de penser que la sécurité était assurée lorsque l’État utilise le papier, lui qui doit déjà naviguer dans les méandres du fédéralisme, entre cantons, communes et Confédération.

Le besoin élevé de synchronisation entre ces trois niveaux de la démocratie suisse est également source d’erreurs. La dernière en date étant celle des élections fédérales de 2023Lien externe, où la Confédération a intégré plusieurs fois les résultats de trois cantons dans les résultats. Qui cherche trouve donc des failles de sécurité, en particulier dans le fédéralisme qui caractérise pourtant la Suisse.

Nous savons désormais que ces failles existent aussi bien dans l’espace numérique que sur papier.

Que signifie cette affaire pour l’e-ID et la récolte de signatures électroniques?

L’appel à un système plus sûr se fait donc déjà entendre. La réponse la plus évidente est la collecte de signatures vérifiées électroniquement, également connue sous le nom d’e-collecting. Celle-ci a en fait été créée parce que le débat public s’est largement déplacé en ligne. Il est de plus en plus difficile d’obtenir des signatures dans la rue. Internet permet de continuer de le faire, et même de le faire plus facilement.

L’e-collecting a toutefois souvent été considéré comme pas assez sûr. Désormais, il apparaît non seulement comme une alternative plus pratique et plus efficace, mais aussi plus fiable. C’est une nouveauté.

La condition préalable pour l’introduire est cependant la création d’une identité électronique. En Suisse, celle-ci devrait être introduite en 2026. Une première tentative a échoué en raison de problèmes de protection des données. La seconde version est désormais largement acceptée. Au Parlement, elle a passé l’écueil du Conseil national avec brio. Lors de la session d’automne, le Conseil des États devrait également donner sa bénédiction.

Cela pourrait marquer un changement de paradigme. Jusqu’à présent, le papier était le garant de la fiabilité du système de vote suisse. Ce n’est plus le cas. À la lumière du débat actuel, il est même en retrait par rapport aux méthodes numériques.

Qu’est-ce que cela signifie pour le vote électronique?

Le fait que le papier garantisse la sécurité et la vérifiabilité était jusqu’à présent l’argument qui avait le plus de poids contre le vote électronique. Aujourd’hui, il s’affaiblit. Cela ne signifie pas que la Suisse devra introduire l’e-voting pour des raisons de sécurité. Mais celles et ceux qui militent depuis longtemps en faveur du vote électronique peuvent considérer le «scandale des signatures falsifiées» comme un cadeau du ciel. Un obstacle a disparu.

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Relu et vérifié par Benjamin von Wyl, traduit de l’allemand par Katy Romy