Suisse

Quel bilan pour les deux ans de mandat de la Suisse au Conseil de sécurité des Nations unies?  

Pascale Baeriswyl, représentante permanente de la Suisse auprès de l'ONU et présidente du Conseil de sécurité pour le mois d'octobre, serre la main de Riyad Mansour, ambassadeur palestinien auprès de l'ONU, lors d'une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la situation au Proche-Orient.


Pascale Baeriswyl, représentante permanente de la Suisse auprès de l’ONU et présidente du Conseil de sécurité pour le mois d’octobre, serre la main de Riyad Mansour, ambassadeur palestinien auprès de l’ONU, lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la situation au Proche-Orient.


2024 Getty Images

Membre du Conseil de sécurité de l’ONU pour la première fois de l’histoire en 2023-2024, la Suisse en a assuré le mois dernier la présidence tournante pour la seconde fois après mai 2023. Quel a été son apport sur fond de contexte international troublé? Analyse.

La Suisse ne pouvait pas trouver terrain plus miné alors que les tensions se sont encore exacerbées dans le monde ces deux dernières années. Aujourd’hui, le Conseil de sécurité de l’ONU peine à répondre aux souffrances en Ukraine, à Gaza, au Soudan, au Myanmar. Les cinq membres permanents du Conseil (Chine, France, États-Unis, Grande-Bretagne, Russie) recourent aussi davantage à leur droit de vetoLien externe. Rien que pour Gaza, cinq résolutions ont été rejetées avant que le Conseil ne se prononce en mars pour un cessez-le-feuLien externe (résolution 2728).

Sara Hellmüller et Lucile Maertens

Sara Hellmüller est chercheuse à l’ETH Zurich et Lucile Maertens est professeure associée au l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève. Ces deux expertes documententLien externe – sous l’angle académique et scientifique – la première participation de la Suisse au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce projet est mené en collaboration avec l’IHEID, l’ETHZ et l’Université de Lausanne, et financé par la Fondation de l’Université de LausanneLien externe.

Le multilatéralisme est mis à mal par des États comme la Russie, dont l’invasion en Ukraine viole la Charte des Nations Unies. Les soutiens financiers provenant d’États-membres se font aussi attendre, ce qui entraîne des problèmes de trésorerie. Siégeant à la présidence du Conseil, la Suisse a connu un mois d’octobre particulièrement difficile. Le Secrétaire général de l’ONU António Guterresa été déclaré persona non grata par Israël; des Casques bleus de la Force de l’ONU au Liban (FINUL) ont été pris pour cible par l’armée israélienne dans le sud du pays; et le parlement israélien a banni l’antenne onusienne pour les réfugié·es de Palestine (UNRWA).

Ce contexte extrêmement tendu empêche les États élus du Conseil de sécurité d’exploiter tout le potentiel de leurs deux années de mandat, posant même la question du genre d’influence dont ils pourraient avoir face aux jeux des grandes puissances. La présence suisse au sein de ce Conseil avait fait l’objet d’un débat au niveau national et sa candidature avait été soumise à une décision du parlement. En dépit de ces multiples défis, la Suisse est tout de même parvenue à porter des dossiers qui lui tenaient à cœur, usant pour cela de méthodes novatrices pour contourner des blocages.

Des dossiers thématiques et géographiques maintenus  

Au cours de son mandat, la Suisse s’est imposée par ses prises de position comme une fervente défenseuse du droit international humanitaire. Berne a rappelé par exemple combien il était crucial de protéger les populations civiles en cas de conflit. L’adoption d’une résolutionLien externe pour assurer la protection du personnel humanitaire et de l’ONU en zones de guerre fait partie de ses succès diplomatiques. Idem pour le renforcement des outils dont dispose la Cour pénale internationale pour laquelle la Suisse agit comme «point focal Lien externe» aux côtés du Japon. Elle a aussi insisté sur l’importance des Conventions de Genève lors de la visite informelleLien externe des membres du Conseil de sécurité organisée à Genève même en août dernier.

Le ministre suisse des affaires étrangères Ignazio Cassis, à droite, et des invités posent derrière des chaises pour marquer le 75e anniversaire des Conventions de Genève sur la Place des Nations, devant le siège européen des Nations Unies à Genève, en août.


Le ministre suisse des affaires étrangères Ignazio Cassis, à droite, et des invités posent derrière des chaises pour marquer le 75e anniversaire des Conventions de Genève sur la Place des Nations, devant le siège européen des Nations Unies à Genève, en août.


Keystone / Salvatore Di Nolfi

Malgré les vents contraires et l’opposition de certains ÉtatsLien externe, la Suisse a maintenu également le thème du climat à l’ordre du jour du Conseil. Jusqu’à intégrer des éléments de langage sur la sécurité climatiqueLien externe dans les documents onusiens lorsque des missions ont été renouvelées, comme ce fut le cas en Haïti avec le Bureau intégré de l’ONULien externe (BINUH). Le 24 mai dernier, la Suisse a aussi agi comme porte-plume avec la Sierra Leone, rédigeant l’ébauche d’une déclaration du PrésidentLien externe sur les violences au Sahel et en Afrique de l’Ouest qui mentionne les effets du changement climatique sur la sécurité dans la région. La Suisse copréside en outre avec le Mozambique le groupe informel d’expert·esLien externe de l’ONU sur la sécurité climatique.

Enfin, la délégation suisse a également promu l’agenda Femme, Paix et Sécurité de l’ONU, notamment lors du débat ouvert annuelLien externe sur le sujet durant lequel la présidente de la Confédération Viola Amherd a rappelé l’importance de la participation accrue des femmes dans les processus de paix. Pendant sa présidence, la Suisse a également assuré la paritéLien externe en invitant autant de femmes que d’hommes à prendre la parole en tant qu’intervenant·es externes (28 briefers). point presse sur le rôle vital des femmes dans la consolidation de la paixLien externe avant une réunion d’information du Conseil sur la Colombie.

En ce qui concerne les dossiers géographiques, la Suisse a contribué à la prolongation de plusieurs mandats de missions de la paixLien externe, par exemple en ColombieLien externe ou au Soudan du SudLien externe. Il y a tout juste un an, des négociations conduites avec succès par la Suisse ont permis de renouveler le mandat de l’EUFOR ALTHEALien externe en Bosnie, force de stabilisation de l’Union européenne qui avait succédé à l’OTAN. En revanche, d’autres missions de maintien de la paix ont dû être abrogées ou sont en passe de l’être, au MaliLien externe ou en République démocratique du CongoLien externe par exemple.  

Pour tenter de contenir l’escalade des violences au Moyen-Orient, la Suisse a fait usage des instruments qui étaient à sa disposition pendant le mois de sa présidence. En exprimant le soutien des membres du Conseil envers le Secrétaire général de l’ONU António Guterres lors d’un point presseLien externe; en publiant des communiqués de presse validés par les Etats-membres dénonçant les attaquesLien externe contre la FINUL; en mettant en avant le travail indispensableLien externe de l’UNRWA dans les Territoires occupés. Sous son égide, des réunions d’urgence ont été convoquées pour répondre aux tensions entre Israël et l’IranLien externe.

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Méthodes de travail novatrices

La façon de travailler a également évolué au sein du Conseil sous l’impulsion de la Suisse. Favorisant le travail de coalition et s’appuyant sur son sens de la diplomatie, son expertise et son savoir-faire, la délégation suisse est parvenue à rédiger et faire adopter des textes. La résolution 2728Lien externe appelant à un cessez-le-feu à Gaza, première résolution de l’histoire du Conseil à avoir été parrainée par l’ensemble des dix membres élus, en est un exemple. 

La Suisse a plaidé pour que le Conseil de sécurité renouvelle son approche en recourant davantage aux données scientifiques dans son analyse des situations de tensions et conflits. Déjà à l’agenda lors de sa première présidence en 2023 dans le cadre d’une réunion informelle, ce thème de la diplomatie scientifiqueLien externe s’est réinvité en octobre dernier, le chef des affaires étrangères suisse Ignazio Cassis s’employant à défendre cette approche.

Une déclaration de la PrésidenteLien externe reconnaissant le rôle du développement scientifique en matière de paix et de sécurité a, par la suite, été adoptée par consensus. La Suisse a mis à profit le rôle politique de président du Conseil pour promouvoir des discussions et des prises de décision moins polarisées s’appuyant, avant tout, sur les faits scientifiques.

Pascale Baeriswyl, présidente du Conseil de sécurité des Nations unies, lors d'une séance d'information sur le Moyen-Orient et la situation en Israël.


Pascale Baeriswyl, présidente du Conseil de sécurité des Nations unies, lors d’une séance d’information sur le Moyen-Orient et la situation en Israël.


Keystone / Alessandro Della Valle

Des visites des membres du Conseil de sécurité sur le terrain des opérations ont également été relancées à l’initiative de la Suisse. La première de ces visites a permis aux membres du groupe d’expert·es informel sur les femmes, la paix et la sécurité, de se rendre au Soudan du SudLien externe. Puis une visite de l’ensemble des membres du Conseil a été menée en ColombieLien externe en février dernier. La Suisse a ainsi contribué à contrer des critiques qui voient le Conseil comme déconnecté des réalités sur lesquelles il prend pourtant des décisions quotidiennement. 

Le renforcement de partenariats avec des acteurs institutionnels suprarégionaux comme l’Union africaine (UA) est aussi à porter à son crédit. Pendant la première Présidence de la Suisse, Viola AmherdLien externe s’exprimait en faveur du financement d’opérations de la paix menées par l’Union africaine, ce qui a été approuvé dans une résolution adoptée en décembre 2023Lien externe. La Suisse a aussi facilité le montage d’événements conjointsLien externe entre l’ONU et l’UA, renforçant ainsi son image de promotrice du multilatéralisme.

Mais beaucoup reste à faire. De vives tensions entre les grandes puissances demeurent et sont susceptibles de faire capoter la mise en œuvre de résolutions votées. Il sera intéressant de voir si les méthodes prônées par la Suisse perdureront au-delà de son mandat.  

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Prochaines étapes

Après cette expérience de deux ans à New York, la Suisse pourra-t-elle capitaliser sur son mandat au Conseil de sécurité pour accentuer son rôle d’avocate du multilatéralisme sur la scène internationale? Pourra-t-elle également prolonger les liens tissés auprès des cinq membres permanents du Conseil? Pour ce faire, Berne peut notamment s’appuyer sur ses nouveaux engagements au Conseil de l’EuropeLien externe à Strasbourg et au Conseil des droits de l’hommeLien externe à Genève.

La Genève internationale profitera-t-elle aussi de ce mandat à moyen terme? À New York, la Suisse a fait la promotion de ses acteurs et actrices et mis en exergue son expertise, en soulignant également toute l’importance d’un axe fort Genève-New York. Demain dira si ses efforts permettront à ces deux centres de mieux collaborer.

À plus long terme, un nouveau mandat de la Suisse au Conseil de sécurité dépendra du bilan qui sera tiré de cette première expérience. Car être membre de cette institution demeure une tâche exigeante, requérant de l’expertise et impliquant des prises de risque politiques. Ses membres élus y jouent un rôle d’autant plus crucial que ce Conseil est aujourd’hui de plus en plus polarisé. Mais ceci à condition de faire preuve de courage et de volonté politiques pour innover, voire pour réformer le système en profondeur.  

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Texte relu et vérifié par Benjamin von Wyl, traduit de l’anglais par Alain Meyer/sj