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Pourquoi les tramways suisses sont devenus des véhicules très prisés en Ukraine

trams alignés


En 2023, un premier lot de 35 tramways en provenance de Zurich a fait le voyage de deux semaines par rail et par route jusqu’à Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine.


VBZ

Berne et Zurich font don de tramways usagés à des villes ukrainiennes qui souffrent des conséquences de la guerre avec la Russie. Le conflit rend le transfert de ces véhicules de 34 tonnes d’autant plus difficile, mais surtout indispensable.

La ville de Lviv, à l’ouest du pays, est certes loin de la ligne de front dans l’est de l’Ukraine, mais elle n’a pas été épargnée par l’invasion russe. L’une des transformations les plus tangibles est la croissance de sa population: de 783’000 habitants et habitantes avant la guerre il y a seulement deux ans et demi, la ville abrite aujourd’hui quelque 933’000 personnes – et ce chiffre ne cesse d’augmenter.

Parmi les nouveaux arrivants, on trouve des entreprises et des personnes fuyant les attaques dans l’est et le sud, parmi lesquelles des blessés de guerre. Cette nouvelle population exerce une pression sur les infrastructures de la ville, notamment sur son système de transports publics.

«Chaque jour, de plus en plus de personnes handicapées arrivent», explique Roman Mulyar, ingénieur en chef chez Lvivelectrotrans (LET), qui exploite les tramways et les trolleybus de Lviv. «Elles ont du mal à entrer dans les tramways à cause de leur plancher élevé.»

Don de tramways usagés

Pour remédier à ce problème, l’Ukraine s’est rapprochée de la Suisse, qui finance des projets de développement urbain durable dans le pays dans le cadre de son programme d’aide internationale. Elle est l’un des rares Etats européens à subventionner tout ou partie du don de tramways usagés à d’autres pays.

Pour Lviv, la Suisse a récupéré auprès de Berne 11 tramways à plancher bas hors service, davantage accessibles aux personnes en chaise roulante ou atteintes de handicap.

Bien que la Suisse ait déjà fait don de centaines de véhicules de ce type à l’Europe de l’Est au cours des vingt dernières années, leur transfert à Lviv – ainsi que celui de plusieurs tramways de Zurich à Vinnytsia, dans le centre de l’Ukraine – constitue une première dans un contexte de guerre. Les risques et les incertitudes liés au conflit ont contraint l’Ukraine et la Suisse à revoir leurs plans, sans pour autant les abandonner.

Remplacement d’une flotte de tramways de l’ère communiste

A Lviv, où les infrastructures civiles ont été la cible d’attaques de drones et de missiles russes, LET a dû faire face à de multiples défis liés à la guerre. Outre la pénurie de tramways accessibles, Roman Mulyar évoque le manque de pièces détachées, principalement produites dans l’est de l’Ukraine, et le départ au front de dizaines d’hommes du personnel qui, en raison de leurs compétences spécialisées, sont difficiles à remplacer.

tramway de Lviv


Le parc de tramways de Lviv, datant de l’ère communiste, est vieillissant et comporte des étages élevés difficiles d’accès pour les personnes à mobilité réduite.


Berthold Steinhilber / Laif

Les tramways bernois vont répondre à un besoin urgent de la ville: ils circuleront sur une nouvelle ligne prolongée vers un centre national de rééducation récemment inauguré, appelé Unbroken, qui vise à soigner jusqu’à 10’000 personnes civiles et militaires par an. L’arrivée des véhicules, baptisés «Vevey » par leur fabricant BERNMOBIL, fera passer de 19 à 29 la flotte de tramways à plancher rabaissé de LET, indique le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), qui coordonne le don.

«La mobilité est un enjeu crucial pour le pays depuis le début de l’agression militaire russe. Elle est essentielle pour l’économie, l’inclusion sociale et la qualité de vie», explique Marc-Alexandre Graf, responsable de programme du SECO. «Les tramways bernois sont essentiels pour Lviv. Ils en ont vraiment besoin.»

Outre l’amélioration de l’accessibilité, les dons permettront également de moderniser et de décarboner les systèmes de transports publics des villes de Vinnytsia et de Lviv. Bien que les tramways «Vevey» aient plus de 30 ans, ils consomment moins d’énergie que le parc vieillissant de tramways de l’ère communiste de Lviv et devraient fonctionner encore dix à douze ans.

Les tramways suisses sont mis hors service lorsqu’ils ont atteint leur durée de vie cible (40 ans à Zurich, par exemple) et qu’ils ne sont plus conformes aux réglementations en matière d’accessibilité et d’efficacité énergétique.

Le coût est également un facteur, explique Gwendoline Levasseur, du fournisseur de transports publics zurichois VBZ : maintenir les vieux trams en bon état est relativement coûteux en Suisse, alors qu’en Ukraine, leur durée de vie peut être prolongée d’environ 15 ans, à moindre coût.

Dans le cadre de ce don, le SECO finance quatre semaines de formation pour le personnel ukrainien. Il couvre également le coût des pièces de rechange, l’assistance pour les adaptations techniques – afin que les tramways répondent aux exigences de certification locales – et l’acheminement des tramways vers l’Ukraine.

«À notre connaissance, la Suisse est le seul pays à avoir financé des projets d’une telle envergure pour le transfert de tramways usagés», précise Marc-Alexandre Graf. Le SECO prend en charge l’intégralité du coût du don de Lviv, soit 1,8 million de francs suisses (2 millions de dollars).

En général, les transferts sont possibles vers des destinations où il existe une infrastructure de tramway similaire et où les véhicules peuvent être acheminés sur une distance relativement courte, explique Marc-Alexandre Graf. Au cours des 20 dernières années, la Suisse a envoyé des tramways en Roumanie, en Serbie et en Ukraine. De même, des villes allemandes et autrichiennes ont fait des dons à la Pologne, à la Roumanie et à la Bulgarie. À elle seule, l’Ukraine a reçu des tramways de plusieurs municipalités allemandes, ainsi que de Riga en Lettonie et de Prague en République tchèque.

Le besoin de tramways est si important à Lviv que Berlin a récemment annoncé un don de 12 tramways utilisés pour la première fois au milieu des années 1970. Lviv a également reçu un prêt de 17,4 millions d’euros (16,9 millions de francs suisses) de la Banque européenne d’investissement pour acheter dix tramways à plancher bas flambant neufs.

Des plans chamboulés par la guerre

Les tramways berlinois ne sont cependant pas des véhicules à plancher bas, et les tramways zurichois d’occasion destinés à Vinnytsia non plus; 67 d’entre eux sont envoyés dans le cadre d’un projet suisse initié avant la guerre pour contribuer à l’amélioration de la mobilité urbaine.

Comme Lviv, Vinnytsia (417’000 habitants et habitantes) a connu un afflux de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Selon le SECO, plus de 300 entreprises ont déménagé pour s’installer dans cette ville relativement sûre. Vinnytsia dispose elle aussi d’un parc de véhicules vieillissant, mais elle prévoit d’étendre son réseau ferroviaire.

Là aussi, les trams suisses répondront à la demande de modèles plus accessibles. Plusieurs wagons ne seront utilisés que pour leurs pièces détachées; le personnel ukrainien utilisera les articulations pour fixer sur les trams zurichois de nouveaux wagons à plancher bas, qui doivent être fabriqués en Ukraine.

tram bernois


Avant de choisir de donner les tramways de Vevey, les experts suisses ont évalué l’infrastructure ferroviaire de Lviv pour s’assurer de leur compatibilité. Il est écrit sur le tramway désaffecté bernois: «Bientôt je roulerai à Lviv».


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L’invasion russe a retardé le transfert. «Il a été suspendu pendant plusieurs mois parce que nous n’étions pas sûrs de pouvoir acheminer les tramways tout en garantissant la sécurité du personnel», explique Marc-Alexandre Graf. Le projet de transporter les tramways par voie ferrée jusqu’à Vinnytsia a également dû être modifié en raison de la guerre, ce qui a entraîné un surcoût. Le SECO a alloué 4,7 millions de francs à ce don.

Un premier transfert a finalement eu lieu en 2023. Au total, 35 tramways sont arrivés à la frontière ukraino-polonaise par le rail, avant d’être chargés sur des camions à plate-forme pour la dernière étape de leur voyage de deux semaines jusqu’à Vinnytsia.

D’autres projets de voyage ont dû être annulés, explique Gwendoline Levasseur, de la société de transports publics zurichoise VBZ. Au lieu que les équipes de projet suisses se rendent dans les villes de destination pour établir un lien et former le personnel local – comme elles l’avaient fait lorsque Zurich avait fait don de 86 tramways à Vinnytsia entre 2008 et 2012 -, c’est le personnel ukrainien qui est venu en Suisse. Il était trop risqué pour les Suisses de se rendre en Ukraine.

Roman Mulyar et trois de ses collègues ont passé quatre semaines à Berne pour apprendre à conduire, entretenir et réparer les trams Vevey.

Formation des Ukrainiens à Berne


La formation est essentielle pour assurer la pérennité du don de tramway, déclare Marc-Alexandre Graf. Roman Mulyar, ingénieur en chef du LET, au centre, est photographié avec deux collègues de Lviv dans un dépôt de tramway à Berne.


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Les tramways hors service offrent un bon rapport qualité-prix

À Vinnytsia, la plupart des tramways envoyés en 2008-2012 – qui ont aujourd’hui plus de 50 ans – «sont en très bon état et restent en service », affirme Gwendoline Levasseur.

Les tramways ont surtout «contribué à une amélioration substantielle du système de transports publics», selon Marc-Alexandre Graf, qui souligne que le nombre d’usagers et usagères a augmenté de 26%. «Le transfert de tramways d’occasion fonctionnels offre un bon rapport qualité-prix à la municipalité, dont les moyens financiers sont limités.»

Malgré le soutien qu’elle a reçu, Lviv a besoin d’encore davantage de tramways. Selon le SECO, le nombre de personnes déplacées dans les villes ukrainiennes est probablement beaucoup plus élevé que ne le suggèrent les chiffres officiels, car de nombreuses personnes hébergées par des amis ou des membres de leur famille ne s’inscrivent pas auprès des autorités locales. On s’attend également à ce que nombre de ces personnes restent sur place même après la guerre, de sorte que la demande continuera d’augmenter.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Julien Furrer/Pauline Turuban