Suisse

Pourquoi les locataires et les propriétaires suisses n’arrivent pas à s’entendre

La plupart des logements suisses sont loués à des propriétaires.


La plupart des logements suisses sont loués à des propriétaires.


Keystone / Alessandro Della Bella

Les propriétaires et les locataires suisses viennent de vivre un nouvel épisode de leur éternel antagonisme, avec une double victoire des locataires dans les urnes. Pourquoi les deux groupes sont-ils toujours à couteaux tirés en Suisse? Cet antagonisme permanent sert-il les intérêts de l’un ou de l’autre?

Il est indéniable que la Suisse est un pays de locataires si on la compare à de nombreux autres pays d’Europe. Près de 60% des ménages louent un toit plutôt que de contracter un prêt hypothécaire pour acheter leur propre bien.

Trouver le juste équilibre entre les droits des propriétaires et des locataires est donc une question sociale particulièrement sensible en Suisse.

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D’un côté, l’Association des locataires (Asloca) se plaint continuellement de l’avidité des propriétaires. De l’autre côté, l’association des propriétaires (HEV) déplore que ses membres aient les mains liées par des règles restrictives.

Le malaise existe depuis des décennies. Aucune des deux parties ne semble jamais totalement satisfaite des lois existantes qui régissent les augmentations de loyer, les expulsions et la sous-location.

Une impasse qui entrave les réformes

«C’est une impasse», constate Dominik Meier, journaliste parlementaire à SRF. «Depuis 30 ans, toutes les tentatives de réforme et les discussions ont échoué. Des questions importantes telles que le rendement autorisé pour les propriétaires sont mal réglementées et les loyers augmentent. Les réglementations entravent la construction de logements et l’espace habitable se raréfie.»


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Ces problèmes ont inévitablement été repris par les partis politiques. Les partis de gauche ont choisi de se ranger du côté des locataires, tandis que leurs homologues de droite ont pris fait et cause pour les propriétaires.

On peut dire que la bataille a atteint son paroxysme lors des votations fédérales du 24 novembre, lorsque le peuple a rejeté deux décisions parlementaires qui auraient facilité l’expulsion des locataires par les propriétaires et limité la pratique de la sous-location.

«Il est temps d’arrêter cette guerre de tranchées entre locataires et propriétaires», a déclaré le ministre de l’Économie Guy Parmelin après le vote. «Voulons-nous nous épuiser les uns les autres?»

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Guy Parmelin a fait part de son exaspération face aux tentatives avortées de réunir les parties opposées pour trouver des solutions. Il a une nouvelle fois invité les associations de locataires et de propriétaires à s’asseoir autour d’une table de négociation afin de mieux se comprendre.

Les tensions s’aggravent

Cette impasse contribue à expliquer le fait que «notre droit de la location n’a pratiquement pas changé depuis 1990, alors que les conditions du marché du logement locatif ont beaucoup évolué», a ajouté Guy Parmelin.

«Les tensions sont tout à fait normales si l’on considère que les propriétaires ont intérêt à tirer les loyers les plus élevés possible de leurs biens, tandis que les locataires veulent payer le moins possible, ou du moins pas plus que ce qu’ils peuvent se permettre», estime Jennifer Duyne Barenstein, directrice du Centre de recherche sur l’architecture, la société et l’environnement bâti de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

«Avec la pénurie actuelle de logements abordables, en particulier dans les villes, la spéculation immobilière croissante et la démolition à grande échelle de logements abordables au nom de la densification ou des rénovations énergétiques, les tensions augmentent naturellement», ajoute-t-elle.

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Le département de Jennifer Duyne Barenstein à l’EPFZ fait actuellement partie d’un projet de recherche de l’Union européenne visant à réduire les inégalités en matière de logement dans neuf pays européens, dont la Suisse.

Trouver le bon équilibre entre les intérêts des propriétaires et des locataires est un aspect crucial d’un marché locatif sain. Jennifer Duyne Barenstein constate qu’une protection excessive des locataires peut conduire les propriétaires à laisser des logements vides ou à ne pas effectuer de travaux de rénovation, y compris de rénovation énergétique.

Des logements plus abordables

«Dans le même temps, la possibilité pour les propriétaires de résilier les contrats de location pour cause de rénovation et d’augmenter considérablement les loyers par la suite est très problématique et constitue actuellement l’une des raisons pour lesquelles nous sommes confrontés à une crise de l’accessibilité au logement dans de nombreuses villes suisses», précise la spécialiste.

Il y a peu de signes d’un dégel des relations entre les locataires et les propriétaires. Le président de l’Asloca Carlo Sommaruga a salué le résultat du vote de dimanche comme une réprimande à «l’arrogance insupportable» des milieux immobiliers.

L’association des locataires s’est aussi engagée à intensifier ses activités, après avoir lancé cet été une initiative populaire contre les «loyers trop élevés». Par ailleurs, elle se dit prête à retourner aux urnes si le Parlement décide l’année prochaine d’accroître le pouvoir des propriétaires en matière d’augmentation des loyers. Le Parlement devrait voter sur deux propositions de ce type lors de la session de printemps.

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Jennifer Duyne Barenstein estime que l’augmentation du nombre de logements abordables est un moyen de sortir de l’impasse et d’améliorer les conditions de vie des locataires. Il y a quatre ans, l’électorat a rejeté une proposition visant à augmenter l’offre de logements abordables de 5 à 10% du parc immobilier total. La spécialiste pense toutefois que le moment est venu de réexaminer la question.

«Il est absolument nécessaire d’augmenter l’offre de logements abordables sans but lucratif. Actuellement, moins de 5% du parc immobilier appartient à des organisations à but non lucratif, telles que les coopératives de logements, note-t-elle. L’augmentation de l’offre de logements sans but lucratif aurait un impact positif direct et indirect sur le marché du logement.»

Relu et vérifié par Reto Gysi von Wartburg / traduit de l’anglais avec l’aide de Deepl / kro