Les Instituts nationaux pour la santé (NIH) des États-Unis sont le premier financeur mondial de la recherche biomédicale, avec un budget annuel de 47 milliards de dollars.
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L’administration Trump a bouleversé le système de financement des Instituts nationaux pour la santé (NIH) pour la recherche biomédicale. Cette décision va avoir des conséquences considérables pour les scientifiques et les fabricants de médicaments un peu partout dans le monde, notamment en Suisse. Explications.
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19 mars 2025 – 09:00
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Je rédige des articles originaux et approfondis, basés sur des données, en utilisant mes compétences en matière d’analyse et de visualisation des données. Je couvre un large éventail de sujets, parmi lesquels la place de la Suisse dans le commerce mondial, le changement climatique et la démographie. Née et élevée en France, j’ai étudié les relations internationales à Lyon, puis j’ai été diplômée de l’école de journalisme de Lille en 2011. Installée en Suisse depuis 2012, j’ai travaillé à la RTS pendant huit ans avant de rejoindre SWI swissinfo.ch en 2020.
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Depuis son entrée en fonction, le président des États-Unis Donald Trump a publié une litanie de mémos et de décrets qui s’attaquent à la manière dont les NIH financent la recherche biomédicale. Au cours du mois dernier, son administration a interdit toute communication par les agences fédérales, a plafonné le financement indirect par les NIH, et mis sur pause toutes les subventions fédérales.
Vendredi dernier, le gouvernement américain a annoncé qu’il mettait fin aux subventions des NIH à destination des scientifiques qui étudient la santé des personnes LGBTQ+, dans le cadre d’une attaque généralisée contre les programmes en faveur de la diversité, de l’égalité et de l’inclusion.
De nombreuses mesures sont examinées par les tribunaux, mais les scientifiques et les fabricants de médicaments en Suisse se préparent à des changements aux NIH, à ce qu’ils pourraient signifier pour leurs propres financements, et plus largement, pour la recherche.
«Ces changements ont créé beaucoup d’incertitude chez les scientifiques partout dans le monde», déclare Adrian Wanner, neurobiologiste à l’Institut Paul Scherrer de Suisse, et l’un des quelque 100 chercheurs impliqués dans un projet majeur financé par les NIH, qui vise à cartographier précisément le cerveau d’une souris.
Le chercheur s’est vu octroyer 2,6 millions de dollars (2,3 millions de francs) en subventions directes des NIH, dont il a touché environ 1,7 million, dans le but de développer des techniques de microscopie avancées qui permettent de visualiser et d’analyser des structures du cerveau en haute résolution.
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Adrian Wanner, qui devrait recevoir la dernière tranche du versement en septembre, se demande même s’il y aura un appel à propositions pour la deuxième phase du projet. «Personne ne sait, pas même aux NIH, quelle direction va prendre le projet», dit-il.
D’autres chercheurs suisses ont exprimé des inquiétudes similaires. Quelle est l’importance des NIH pour la recherche biomédicale dans le monde, et en Suisse? Explications.
Quelle est la part de la recherche biomédicale mondiale financée par les NIH?
Les NIH sont les plus gros bailleurs de fonds de la recherche biomédicale dans le monde, avec un budget annuel de 47 milliards de dollars, dont 80% en subventions adressées à plus de 300’000 chercheurs à travers le monde. Le reste revient à la recherche menée par les NIH, et pour les dépenses administratives aux États-Unis.
Ce montant dépasse largement tous les financements des recherches en santé publique par le Royaume-Uni, l’Australie, et l’Union européenne réunis. Le plus gros programme européen de financement en recherche et innovation, Horizon Europe, dispose d’un budget de 95,5 milliards d’euros (90,5 milliards de francs) pour la période 2021-2027, mais porte sur des sujets plus vastes que la santé. D’après les médias locaux, la fondation nationale de science naturelle de Chine a dépensé près de 5 milliards de yuans (610 millions de francs) pour la recherche en santé en 2023.
Le Fonds national suisse de la recherche scientifique est le plus important bailleur de fonds public du pays, avec un investissement à hauteur de 432 millions de francs pour la biologie et la médecine en 2024.
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Parmi les plus gros philanthropes dans la recherche liée à la santé, on trouve le Wellcome Trust au Royaume-Uni et la Fondation Gates. En 2023, cette dernière a investi près de 1,8 milliard de dollars pour la santé mondiale, mais pas uniquement dans la recherche. Le Wellcome Trust, lui, a investi 1,6 milliard de livres (1,8 milliard de francs) dans la recherche biomédicale pour son cycle 2023-2024.
Les financements des NIH surpassent également largement ce que les grosses compagnies pharmaceutiques dépensent en recherche et développement. Par exemple, le laboratoire pharmaceutique suisse Roche a dépensé environ 14 milliards de dollars en recherche et développement en 2023, ce qui en fait le troisième plus grand investisseur en R&D parmi les gros laboratoires.
Quelle est la part des financements américains destinée à l’étranger, et en Suisse?
La recherche aux NIH donne largement la priorité aux États-Unis dans sa manière d’attribuer des subventions. Environ 99% des fonds du NIH vont à des institutions américaines. Seuls 250 millions de dollars par an de financement direct sont octroyés à des institutions étrangères.
Les institutions suisses ont touché sept subventions directes en 2024, d’une valeur d’environ 9,1 millions de dollars La Suisse se classe parmi les plus grands bénéficiaires des NIH sur le plan des montants, bien qu’elle ait reçu moins de subventions que d’autres pays.
«C’est très difficile de toucher une subvention des NIH quand on ne se trouve pas aux États-Unis, explique Adrian Wanner, qui a reçu l’une des sept subventions accordées. Il y a moins de 1% de chance que les NIH octroient une subvention à une institution étrangère. Vous devez vraiment montrer que vous avez quelque chose qui ne peut être expérimenté ou accompli aux États-Unis.»
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Une plongée plus approfondie dans les données montre que l’importance des NIH pour la recherche mondiale ne se limite pas au financement direct. Des milliers de chercheurs à travers le monde sont impliqués en tant que collaborateurs dans des projets des NIH dirigés par une institution américaine.
Les institutions suisses ont collaboré à 489 projets des NIH en 2024. L’étude PASAGELien externe, qui recueille l’opinion de la population à propos de thérapies géniques prénatales pour des maladies rares, en est un exemple. L’hôpital américain Mayo Clinic bénéficie directement de la subvention, mais collabore avec plusieurs partenaires, dont des experts en bioéthique à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH). Il s’agit d’une des neuf collaborations des NIH qui impliquait l’ETH Zurich, pour un montant total de 285’000 dollars.
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Que financent les NIH?
Les NIH se composent de 27 instituts et centres qui financent toutes sortes de projets, depuis les petites études sur le fluor et la science fondamentale du vieillissement, jusqu’aux initiatives majeures portant sur la toxicomanie, le cancer et la mortalité maternelle. Les NIH proposent aussi des bourses et des aides à la formation, mais celles-ci sont rarement accessibles à des chercheurs hors des États-Unis.
Plusieurs projets développés par des laboratoires suisses ont bénéficié de tels financements. L’Université de Berne a touché près de 50 millions de dollars en subventions directes des NIH depuis 2006, pour étudier des thérapies antirétrovirales, et pour contribuer à mettre en placeLien externe les bases de données internationales d’épidémiologie (IeDE), afin d’évaluer la propagation du sida en Afrique australe.
En septembre dernier, les NIH ont attribué 10 millions de dollars à l’Institut suisse de bio-informatique à Genève, dont 2,7 millions ont été distribués, pour qu’il développe un Centre de bio-informatique des pathogènes, afin d’améliorer la réponse aux pandémies et mieux surveiller leur propagation.
«L’ambition et la prise de risques ne sont pas les mêmes aux États-Unis. Les NIH sont d’accord pour financer ces projets un peu fous», déclare Adrian Wanner.
Les NIH consacrent également près de 18 milliards de dollars par an en recherche clinique. À la date du 3 mars, on recense plus de 7900 essais cliniques financés par les NIH, la plupart encore en phase préliminaire. À titre d’exemple, le laboratoire suisse Roche a annoncé cette semaine des résultats issus d’un essai clinique sponsorisé par les NIH, à propos de son médicament Xolair, destiné à traiter les allergies alimentaires.
La recherche financée par les NIH a contribué à l’élaboration de 386 des 387Lien externe médicaments approuvés par la Food and Drug Administration (FDA, l’organe de contrôle des médicaments aux États-Unis), entre 2000 et 2019. Nombre des médicaments les plus vendus par le laboratoire pharmaceutique Novartis, notamment le Gleevec qui traite plusieurs cancers, et la thérapie génique Zolgensma, pour l’amyotrophie spinale, doivent leur existence à une contribution du NIHLien externe remontant à plusieurs décennies.
Quel serait l’impact d’une réduction des subventions des NIH?
On ignore encore dans quelle mesure ces financements pourraient être rabotés, et quelles seront les priorités données aux NIH à l’avenir.
La préoccupation immédiate des bénéficiaires des subventions est de savoir comment continuer à payer leur personnel si le financement s’arrête. En Suisse, il est impossible d’embaucher et de renvoyer des salariés à court terme. «Si on perd le financement, on devra trouver d’autres ressources pour salarier le personnel pour le projet», estime Adrian Wanner. Les chercheurs interviewés par swissinfo.ch se disent aussi inquiets à l’idée de nouveaux critères ou exigences qui dicteraient qui et quoi sera financé. «On ne sait pas si de nouveaux facteurs, au-delà des questions concrètes autour du but du projet, seront appliqués pour déterminer de futurs financements», déclare Aitana Neves, qui dirige le Centre de bio-informatique des pathogènes à l’Institut suisse de bio-informatique.
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Les fonctionnaires américains ont déjà commencé à signaler les projets qui comportent les mots «genre», «éthique» et même «Covid-19», jugés non conformes aux ordres de Donald Trump.
Si ces critères sont utilisés pour baisser les financements, il pourrait en résulter des lacunes massives dans la science fondamentale nécessaire au développement de futurs médicaments, de vaccins ou de traitements pour la santé des femmes. Les personnes interviewées ont aussi exprimé la crainte d’une éventuelle autocensure des chercheurs, qui mettrait sévèrement en péril la liberté scientifique et académique.
L’importance de la contribution américaine à la science dépasse les enjeux financiers. «Les collaborations avec les universités américaines sont très importantes pour nous parce qu’elles sont à la pointe dans de nombreux domaines», affirme Virginia Richter, rectrice de l’université de Berne. Les NIH ne financent qu’une petite portion de son budget annuel de 942 millions de francs. «Ce n’est pas la quantité, mais la qualité de la recherche qui compte», une qualité qui serait affectée par tout changement aux États-Unis.
De nombreuses collaborations entre organismes de recherche impliquent des échanges et des transferts de technologies vers les États-Unis, mais également, en retour, vers les pays étrangers.
«Je pense que ce qui se passe en ce moment aux États-Unis pourrait s’avérer très mauvais pour la science en général, parce que le pays est une force motrice sur tous les aspects de la science, déplore Adrian Wanner. Ils font figure de modèles.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais parPauline Grand d’Esnon/dbu