«Pour maintenir la confiance dans la démocratie, il faut tirer les leçons des erreurs de calcul»
L’administration fédérale a commis au moins trois erreurs de calcul sur des questions importantes pour des décisions de vote, au cours des dix dernières années. Le politologue Sean Müller rappelle que les projections sont par essence incertaines et devraient être présentées comme telles.
L’Office fédéral des assurances sociales a admis mardi qu’il s’était trompé dans ses calculs concernant les dépenses prévues pour l’assurance vieillesse et survivants (AVS). En 2033, les versements annuels devraient être inférieurs d’environ 4 milliards de francs, soit environ 6% de moins que les estimations initiales.
D’un côté, il s’agit d’une bonne nouvelle: le système d’assurance vieillesse géré par l’État se trouve dans une meilleure situation financière que prévu.
L’erreur a cependant provoqué un tollé politique. L’Union syndicale suisse a mis en garde contre une perte de confiance dans la fiabilité des informations officielles sur les retraites. Le Parti libéral radical (PLR / droite) a qualifié cette erreur de «fiasco» et a commencé à pointer du doigt la ministre socialiste de l’Intérieur Elisabeth Baume-Schneider et son prédécesseur Alain Berset.
Pour sa part, Elisabeth Baume-Schneider a ordonné mardi l’ouverture d’une enquête administrative dont les résultats devraient être rendus en fin d’année.
Des erreurs qui s’accumulent
Les vives réactions des politiciennes et politiciens ne sont pas seulement dues à ce cas spécifique. Au cours des dix dernières années, le gouvernement a admis au moins trois erreurs de calcul sur des questions politiques majeures.
L’année dernière, l’Office fédéral de la statistique a commis une erreur de programmation du logiciel d’importation des données. La maladresse avait faussé les résultats des élections fédérales, donnant l’impression erronée que le PLR avait été dépassé par Le Centre en termes de part électorale nationale. Cela aurait aussi pu avoir un impact sur l’attribution des sept sièges du Conseil fédéral.
En 2019, l’administration fédérale avait largement sous-évalué le nombre de couples pénalisés par le régime du mariage actuel. Au lieu des 80’000 annoncés, 454’000 étaient concernés.
Cette erreur a conduit le Tribunal fédéral à invalider la votation sur l’initiative «Non à la pénalisation du mariage» du Parti démocrate-chrétien (aujourd’hui Le Centre), qui avait été rejetée d’un cheveu. Une première au sein de la Confédération.
Des votes remis en cause
La Suisse est l’un des pays où la confiance du peuple dans le gouvernement est la plus élevée, en partie en raison de sa longue tradition de la démocratie directe. L’électorat qui vote quatre fois par an s’appuie entre autres sur les informations délivrées par les autorités pour prendre une décision. C’est pourquoi il est important que les chiffres publiés soient corrects.
En mars dernier, les Suisses ont approuvé le versement d’une 13e rente de retraite mensuelle après un débat animé. Cette décision a donc été prise sur la base des prévisions erronées de dépenses de l’AVS. Toutefois, dans ce cas, le nouveau calcul n’aurait probablement pas changé le résultat, puisqu’il a montré qu’il y avait en réalité plus d’argent disponible dans les caisses de l’AVS. Il est ainsi peu probable que le scrutin sur la 13e rente AVS remplisse les critères d’annulation.
En revanche, les partis de gauche affirment que l’erreur remet en question le résultat du vote de 2022 sur le relèvement de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, accepté à 50,5% des voix. Les chiffres contenus dans la brochure de votation étaient erronés.
L’incertitude dans les projections
Le problème est peut-être toutefois davantage dans la complexité des projections. L’erreur dans les dépenses de l’AVS est due à deux formules incorrectes dans le code du programme, qui comprend plus de 70’000 lignes.
En outre, le calcul dépend non seulement du nombre de retraités, mais aussi de leur espérance de vie, du salaire qu’ils ont gagné jusqu’à présent, de leur patrimoine et de leur état civil. Ces facteurs sont difficilement prévisibles compte tenu de l’évolution rapide de la démographie, des découvertes médicales et de l’économie.
La situation est d’autant plus compliquée que la Suisse est de plus en plus intégrée dans l’économie mondiale, ce qui la rend plus vulnérable aux crises, souligne Sean Müller, politologue à l’Université de Lausanne.
«Il est naturellement difficile de faire des prévisions, car des événements imprévus surgissent sans cesse. Même un accident de navire dans le canal de Suez a un impact sur les prix dans les supermarchés locaux en Suisse», relève-t-il.
Sean Müller ajoute que le fédéralisme complique encore les choses. Chaque canton a un taux d’imposition sur les sociétés, un système scolaire et un budget d’infrastructure différents.
«Les erreurs arrivent à tout le monde», note le politologue. À ses yeux, il faudrait plutôt réfléchir à la manière de présenter les chiffres. «Ce qui est inquiétant, c’est que des chiffres basés sur de nombreuses hypothèses, formules et données insuffisantes soient présentés comme solides comme le roc», estime Sean Müller.
Le politologue plaide pour davantage de transparence. Il suggère d’identifier les prévisions plus clairement comme telles et de fournir les données et les informations nécessaires pour les comprendre, afin qu’une discussion critique puisse avoir lieu.
Toutefois, pour Sean Müller, ce qui importe avant tout pour que la confiance dans la démocratie suisse soit maintenue est que «les erreurs soient communiquées de manière transparente et que l’on essaie d’en tirer des leçons».
Relu et vérifié par Balz Rigendinger/ adapté de l’anglais par Katy Romy