Suisse

«Personne n’émigre parce que les assurances sociales sont plus généreuses»

La politologue Angie Gago a notamment travaillé sur la directive relative au droit des citoyens de l’Union. zVg

La Suisse fait de la résistance contre la directive relative au droit des citoyens de l’Union européenne par crainte du tourisme de l’aide sociale. Une crainte infondée selon la politologue Angie Gago. Les problèmes sont ailleurs.

Ce contenu a été publié le 28 février 2023


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Angie GagoLien externe est chercheuse au Centre de compétence Migration et mobilité de l’Université de Neuchâtel. Ses travaux portent notamment sur la comparaison des systèmes européens d’aide sociale. Elle étudie les effets de l’Union européenne sur les politiques sociales et du marché du travail des pays membres. La question de savoir pourquoi les négociations entre la Suisse et l’UE sur l’accord-cadre institutionnel ont échoué fait également partie de son domaine de recherche.

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swissinfo.ch: Pourquoi la directive relative au droit des citoyens de l’Union est-elle devenue le principal point de discorde entre la Suisse et l’UE?

Angie Gago: Au début des négociations, l’UE voulait que la Suisse reprenne la directive. Mais elle s’en est écartée par la suite: le projet d’accord-cadre de 2018 ne contenait plus la directive relative au droit des citoyens de l’Union. Mais elle est malgré tout restée un point de discorde.

La Suisse voulait fixer des exceptions pour le cas où elle devrait quand même reprendre la directive un jour. Concrètement, elle a demandé à l’UE de pouvoir révoquer le droit de séjour des citoyens et citoyennes européen-ne-s si ces personnes avaient commis un délit ou si elles dépendaient depuis longtemps de l’aide sociale.

Cette possibilité est en fait déjà prévue dans la directive – sous certaines conditions. Mais la Suisse voulait plus d’autonomie pour prendre de telles décisions.

La directive relative au droit des citoyens de l’Union

La directive constitue un développement de la libre circulation des personnes. Cette dernière était déjà inscrite dans le traité de Maastricht de 1994. Mais les détails sont longtemps restés flous.

C’est pourquoi les États membres de l’UE ont négocié la directive relative au droit des citoyens de l’Union, notamment dans le cadre de l’élargissement à l’Est. Celle-ci ne règle pas seulement le droit de séjour, mais aussi les conséquences d’un déménagement d’un pays de l’UE à un autre en matière de sécurité sociale. L’objectif est que tous les citoyens et toutes les citoyennes de l’UE soient traités de la même manière en matière d’assurances sociales.

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Vous faites des recherches sur ce que pensent les partis et la population des demandes des citoyens et citoynnes de l’UE en matière prestations sociales en Suisse. Quels sont les résultats?

Avec l’IDHEAP de l’Université de Lausanne, nous avons mené une enquête auprès des électeurs et électrices suisses. Nous avons demandé aux gens ce qu’ils pensaient des prestations sociales pour les citoyen-ne-s de l’UE, plus précisément pour les Allemands, les Espagnols et les Bulgares. Nous avons ensuite comparé les réponses avec celles du parti pour lequel les personnes interrogées votent.

Les résultats provisoires montrent de fortes différences entre les électeurs et électrices de gauche et de droite. Par exemple, celles et ceux qui votent pour les Verts ou le Parti socialiste donneraient aux citoyen-ne-s de l’UE l’accès aux prestations sociales déjà après un an de séjour en Suisse.

Les électeurs et électrices de l’UDC (droite conservatrice), du Parti libéral-radical (PLR, droite) et du Centre sont plus restrictifs: ils et elles n’accorderaient des prestations sociales aux citoyen-ne-s de l’UE qu’après cinq ans de travail en Suisse, et même aux Bulgares qu’après avoir acquis la nationalité suisse.

Y a-t-il aussi un clivage entre la population et les partis?

Nous avons constaté quelque chose d’intéressant à l’UDC. Ce parti demande plus de restrictions. Dans le cadre de nos recherches, nous avons vu que de nombreux cantons et communes accordent des prestations sociales aux citoyens européens alors que cela n’est pas prévu par les accords avec l’UE. Comme les prestations sociales relèvent de la compétence des cantons et des communes, les partis ne peuvent pas faire grand-chose au niveau fédéral. L’UDC a demandé aux cantons, de refuser l’aide sociale aux citoyens de l’UE, mais cela reste plutôt symbolique.

Nous avons aussi constaté que paradoxalement, les exigences des partis de droite, en particulier de l’UDC, sont moins strictes que celles de leur électorat. Les exigences des électeurs et électrices vont au-delà de ce que le parti demande réellement.

Ces dernières années, la Cour de justice européenne (CJUE) est devenue de plus en plus restrictive en ce qui concerne les droits des citoyens de l’UE vis-à-vis des institutions sociales d’autres pays membres. Pourquoi?

Tout d’abord, il est important de dire que tous les experts et expertes ne s’accordent pas pour dire que la jurisprudence de la CJCE a changé de manière spectaculaire. Certain-e-s expert-e-s juridiques affirment qu’il y a simplement eu de nouveaux cas avec des circonstances différentes.

D’autres études ont toutefois montré que la Cour a réagi à un changement d’opinion. Dans certains pays de l’UE, la population est devenue plus critique après l’élargissement à l’Est. Notre étude va dans le sens de ces recherches.

Nous avons toutefois constaté que la CJCE n’a pas tant réagi au changement dans l’opinion publique qu’aux arguments des États membres. La CJCE rassure les États membres en disant: il est acceptable de ne pas donner de prestations sociales à des personnes qui n’ont jamais travaillé dans le pays.

Le fait que l’UE elle-même ait dû faire marche arrière aide sans doute la Suisse dans ses demandes d’exceptions à la directive relative au droit des citoyens de l’Union…

On pourrait le penser, oui. Mais les négociations ont montré que ce n’est pas le cas.

L’UE réagit certes aux demandes de ses membres en réformant la coordination des assurances sociales entre les pays et en souhaitant compléter la directive.

Outre l’insécurité juridique, l’un des plus gros problèmes est la diversité des systèmes de sécurité sociale des pays membres. Ce ne sont pas seulement les prestations qui diffèrent d’un pays à l’autre, mais aussi leur financement: dans certains pays, l’argent vient de cotisations individuelles, dans d’autres, des impôts, ou alors, on a un financement mixte.

L’UE reconnaît donc la nécessité d’agir. Mais elle n’est pas prête à accorder des exceptions à certains pays. Elle a été très réticente à conclure des accords de libre circulation sur mesure, tant avec la Suisse qu’avec la Grande-Bretagne, après le Brexit. Car la libre circulation des personnes est un des piliers fondamentaux du projet d’intégration européenne.

Il y a un écart de prospérité, non seulement entre la Suisse et l’UE, mais aussi entre les pays de l’UE. Comment cela est-il pris en compte dans les prestations sociales?

L’UE résout le problème de deux manières: en contrôlant les conditions de travail et les salaires dans le pays d’accueil et en réglementant la politique sociale. C’est précisément pour cette raison qu’un article de la directive relative au droit des citoyens de l’Union prévoit que les demandeurs d’emploi et les personnes inactives ne doivent pas bénéficier de l’aide sociale.

Il ne s’agit pas seulement d’aide sociale. Que se passe-t-il si, par exemple, on cotise à l’assurance chômage et à la caisse de retraite dans un pays et qu’on s’installe ensuite dans un autre?

Il existe un système de coordination et la Suisse en fait partie. Le problème, c’est que ce système ne fonctionne pas très bien. C’est pourquoi l’UE veut des réformes.

Existe-t-il des effets d’appel?

Des études ont montré à plusieurs reprises qu’il n’y a pas de tourisme de l’aide sociale. L’hypothèse selon laquelle les gens déménagent dans un pays donné pour vivre de l’aide sociale n’a pas été confirmée par la recherche.

Lorsqu’on demande aux migrant-e-s pourquoi ils ou elles déménagent dans un autre pays, ce n’est jamais à cause d’un système de sécurité sociale plus généreux.

Donc, vous ne pouvez pas recommander un pays où l’on devrait s’installer juste avant la retraite?

(elle rit) Non. Il y a des études qui montrent que les gens veulent déménager dans les pays du sud à la retraite – mais pour le soleil, pas pour les pensions!

Relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Marc-André Miserez

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