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«Les minerais vont rebattre les cartes de l’économie et de l’énergie mondiales»

La course aux minerais s’intensifie pour alimenter la transition énergétique et la digitalisation à l’échelle mondiale. Entre tensions géopolitiques, pressions environnementales et conflits culturels, l’exploitation de ces ressources redéfinit profondément les rapports de force internationaux.


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De la transition énergétique à la digitalisation, en passant par la course aux armements, la demande en minéraux explose. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les besoins pourraient tripler d’ici à 2030, nécessitant l’exploitation de centaines de nouvelles mines à travers le monde.

«Nous sommes collectivement parlant des sociétés et des civilisations métalliques depuis l’âge du Néolithique», commente Olivia Lazard, chercheuse en sécurité planétaire et médiatrice environnementale à Carnegie Europe, de passage à Genève dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH).

«Ce qui se passe à l’aune du XXI siècle, avec le réchauffement climatique et cette 4ème révolution industrielle, c’est qu’on a une demande en minerais et métaux excessivement importante pour construire les infrastructures énergétiques et digitales qui vont rebattre les cartes d’une économie et d’une énergie mondiales», explique-t-elle sur le plateau de Géopolitis,Lien externe une émission produite la Radio Télévision Suisse (RTS), avant de nuancer: «Nous avançons certes vers plus de métaux et de renouvelables, mais nous ne voyons pas encore de réduction de l’utilisation des énergies fossiles.»

Essentiels à la fabrication des technologies numériques, d’armement et des infrastructures énergétiques renouvelables, les minerais critiques sont aujourd’hui au cœur d’un bras-de-fer entre puissances. 
 
Face au quasi-monopole chinois sur le raffinage des métaux essentiels tels que le lithium, les terres rares, le cobalt, le cuivre et le nickel, de nombreux gouvernements cherchent à diversifier leur approvisionnement pour réduire leur dépendance à Pékin. C’est le cas de l’Union européenne qui a lancé une Législation européenne sur les matières premières critiques pour sécuriser et accroître son accès aux métaux essentiels à l’intérieur de ses frontières.

infographie de la domination chinoise dans le raffinage des minerais


La Chine détient le quasi-monopole sur le raffinage des minerais stratégiques.


Geopolitis / RTS

Sur le continent africain, qui détient environ un tiers des réserves mondiales de minerais critiques, certains gouvernements, comme le Nigéria et la Zambie, imposent des réglementations pour encourager la transformation locale des ressources. De son côté, la Russie cherche également à renforcer son rôle dans l’industrie minière. L’Ukraine, qui détiendrait 5% des réserves mondiales de minéraux critiques selon les autorités – dont une partie sur des territoires occupés par la Russie – suscite de nombreuses convoitises.

«L’Ukraine est non seulement riche d’un point de vue matériel et énergétique, mais aussi au niveau des sols productifs, de l’eau et des espaces habitables, qui seront toujours plus importants dans un avenir avec le réchauffement climatique», souligne Olivia Lazard.

infographie sur la présence de minéraux en Ukraine


L’Ukraine détiendrait 5% des réserves mondiales de minéraux critiques selon les autorités – dont une partie sur des territoires occupés par la Russie.


Geopolitis / RTS

Des conflits humains et environnementaux

Cette nouvelle ruée vers les minerais a souvent un coût. Au nord de la Suède, à Kiruna, un groupe minier suédois a identifié ce qui pourrait être le plus grand gisement de terres rares d’Europe. Sur place, les Samis, peuple autochtone du nord de la Scandinavie, dénoncent cette exploitation qui empiète sur le territoire des éleveurs de rennes. «L’industrie extractive prive les rennes de leurs terres, donc nous ne pouvons pas nous adapter aux conditions de pâturage, car les terres disparaissent. Sans les rennes, nous n’avons plus de culture», alerte Matti Blind Berg, président de l’Association suédoise des éleveurs de rennes, dans le documentaire Scars of Growth, diffusé au FIFDH à Genève. 

«Ça fait partie des grandes tensions de ces transitions énergétiques et digitales. On a des enjeux de justice à la fois écologique, culturelle et identitaire, réagit Olivia Lazard, qui était invitée au FIFDH pour une discussion à ce sujet. En Europe, de nombreux gisements qui pourraient être exploités se trouvent soit dans les pays nordiques, soit dans des régions extrêmement stressées d’un point de vue des ressources naturelles comme l’eau.» 
 
Un risque serait d’ajouter des pressions minières dans des régions à forte valeur écologique, cruciales pour la régulation du climat mondial, comme l’Amazonie ou les bassins du Congo. «On risquerait de perdre très rapidement la bataille contre le changement climatique. Dans cette course effrénée aux minerais, il va être crucial de prêter attention à l’endroit où l’on va extraire, non seulement d’un point de vue culturel, mais aussi écologique.»

Recycler plutôt que miner? 

Pour Olivia Lazard, les besoins en métaux pourraient être partiellement couverts par le recyclage. «Investir dans le recyclage fait partie des propositions stratégiques en Europe, aux États-Unis et même en Chine», souligne-t-elle. D’après l’Agence internationale de l’énergie, les quantités de cuivre recyclées pourraient réduire les besoins de nouvelles extractions de 40% pour 2050. Toutefois, le recyclage à lui seul ne suffira pas, note Olivia Lazard: «On a besoin d’environ encore 10 à 15 ans d’extraction primaire, d’après la Banque mondiale et l’OCDE». 
 
Pour réduire cette dépendance, plusieurs pistes émergent selon la chercheuse, comme la diversification des sources d’approvisionnement. Parmi elles, le développement de mines urbaines – visant à réexploiter d’anciens sites miniers – ou encore des innovations telles que la phytomine, une méthode qui repose sur des plantes capables d’absorber les métaux présents dans le sol, avant d’être récoltées pour en extraire les minerais. En parallèle, des technologies de substitution se développent, à l’image des aimants sans terres rares, qui pourraient limiter la demande pour ces matériaux critiques.

Repenser les structures de paix

Si le constat est préoccupant, la question des minerais nécessaires pour soutenir la décarbonation des sociétés demeure essentielle, insiste la chercheuse: «La transition énergétique est une condition sine qua non pour garantir un avenir favorable à l’existence de l’humanité et des autres espèces sur la planète.»

Une transition qui implique une révision profonde des structures sur lesquelles reposent nos sociétés: «Il sera nécessaire de repenser nos architectures de paix et de sécurité, car nous venons d’un modèle basé sur le charbon, le fer et l’acier, et il doit évoluer vers les énergies renouvelables.» Une transformation qui devra également se faire à l’échelle internationale, pour «créer un environnement sécurisé qui répondra aux urgences climatiques et écologiques, tout en articulant la sécurité écologique, humaine, régionale, internationale et planétaire.» 
 
Cet article est le fruit d’une collaboration entre SWI Swissinfo.ch et Géopolitis RTS/vm