Suisse

Le nid voxel de Disentis: une tour développée numériquement et construite avec l’aide de l’ordinateur

Modules pour la construction d'une tour en bois.


Préparation des modules en bois pour le transport par hélicoptère.


Gramazio Kohler Research, ETH Zürich. Michael Lyrenmann

Une équipe de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) étudie les possibilités de l’architecture numérique. À Disentis, une tour de 2000 poutres en bois a été construite à l’aide de robots dans un laboratoire.

Sur un promontoire rocheux situé près de la route qui conduit au col du Lukmanier, près de Disentis, se dresse depuis cet automne une tour en bois de dix mètres de haut. La tour est née en seulement vingt semaines de travail en étroite collaboration avec le Robotic Fabrication Lab de l’EPFZ.

L’histoire derrière cette tour est inhabituelle et est le fruit d’un contact entre le professeur de l’EPFZ Fabio Gramazio et le travailleur social Stefan M. Seydel, qui a déplacé son centre de vie depuis quelques années ici dans l’Oberland des Grisons.

Fabio Gramazio cherchait un partenaire pour son master en fabrication numérique. «Nous voulions réaliser un projet en dehors du cadre de l’EPFZ et nous confronter aux difficultés du monde réel.»

La tour a été développée dans le laboratoire de l’EPFZ, où les premiers modules ont été assemblés, puis transportés dans un atelier de charpenterie de Disentis et préparés pour pouvoir être assemblés sur place. Les différents modules ne devaient pas peser plus de 800 kg pour pouvoir être transportés par hélicoptère.

Homme debout devant un ordinateur portable et un écran géant.


Fabio Gramazio, professeur de fabrication numérique à l’EPFZ.


Daniela Kienzler

L’idée trouve un écho dans le village

Stefan M. Seydel a très tôt perçu le potentiel de la commune en discutant avec Fabio Gramazio. Le maire de Disentis René Epp s’est laissé emporter par son enthousiasme et l’architecte de Disentis Ursin Huonder a également trouvé l’idée intéressante.

«C’est un projet unique qui a été lancé en collaboration avec l’EPFZ», déclare le maire. Ce dernier a été impressionné par la symbiose entre l’innovation et la tradition. «Avec le pont suspendu La Pendenta, qui vient d’être ouvert, nous avons maintenant deux projets innovants, qui sont également une attraction pour notre communauté.» La structure en bois peut rester en place pendant environ cinq ans, avant d’être démontée.

Plusieurs entreprises locales ont collaboré à la construction de la tour, ce qui a permis de réaliser le projet en seulement vingt semaines, même si sous la tour se trouvent les ruines d’un château découvertes vers 1900 par le moine de Dissentis Placidus Müller. «Les gens ici se connaissent, on scelle les accords par une poignée de main», souligne René Epp. C’est pour cette raison que les archéologues cantonaux ont donné leur bénédiction à la construction.

Tour en bois dans une forêt


La tour sur son site, près de Disentis.


Daniela Kienzler

L’ordinateur teste les idées de construction

Changement de décor – du village de montagne de Disentis au campus high-tech de l’EPFZ à Zurich. Dans le Digital Fabrication Lab, on ne voit plus de tables à dessin, mais des écrans et des robots industriels partout.

En effet, l’ordinateur a joué un rôle décisif dans l’élaboration de la tour. Pour une fois, il ne s’agit pas d’intelligence artificielle, mais de calculs complexes. Les idées de construction sont toutes venues des étudiants du Master Advanced Studies in Architecture and Digital Fabrication, une équipe très internationale composée d’étudiants venus d’Albanie, du Portugal, de Suisse et de Chypre, ainsi que de Chine, d’Iran, du Japon, d’Inde et de Taïwan.

Groupe de personnes sous un tour en bois.


Grâce à son réseau, Stefan M. Seydel a amené le projet de l’EPFz à Disentis.


Daniela Kienzler

Lors de la construction, l’équipe a été soutenue par un programme sur mesure qui lui a permis de tester, de très rapidement rejeter ou valider des idées de conception. Cela a permis de lier la créativité du concept et la puissance de calcul de l’ordinateur.

Les poutres ont été découpées à l’aide d’une machine contrôlée par ordinateur. Lors du montage dans l’atelier de l’EPFZ, les étudiants ont utilisé des programmes de réalité augmentée sur leur téléphone portable et ont pu à tout moment comparer les résultats avec le modèle numérique.

Jiaxiang Luo, un diplômé chinois du programme de master de l’EPFZ, a programmé avec les données une animation informatique interactiveLien externe fascinante qui peut être utilisée par le public et donne une idée du processus de création.

L’ensemble est-il désormais une tour? Oui, car il est possible d’escalader cette structure haute d’une dizaine de mètres. Mais on peut aussi y voir une sculpture en bois.

«Caschlatsch» n’est pas le seul nom du projet, on retrouve également le terme «nid voxel». Le terme voxel vient de l’infographie et désigne un cube tridimensionnel.

Expériences de matériaux pour l’avenir

Avec ses projets, Fabio Gramazio et son collègue Matthias Kohler ne cessent d’explorer de nouvelles contrées. En 2018, ils ont ainsi fait construire un pavillon ouvert pour une exposition de robots au Musée des arts de métiers de Winterthour, qui n’a été réalisé qu’avec deux matériaux, la corde et le gravier. La base était un principe physique appelé «jamming». Lorsque l’on déploie un réseau dense de cordes et que l’on verse une couche de gravier par-dessus, la répétition crée une structure durable.

Travail sur du bois dans un atelier


Travail dans le laboratoire de l’EPFZ: les idées de construction sont calculées et testées à l’aide de modèles informatiques.


Daniela Kienzler

À Winterthour, un robot industriel s’est chargé de la pose de la corde et du remplissage du gravier. «Il s’agissait de démontrer un concept. Le procédé pourrait être utilisé dans le génie civil, par exemple pour la construction de barrages. Les matériaux locaux jouent ici un rôle central.»

À la fin, la corde peut être enroulée et le gravier perd sa tenue et peut être évacué. «C’est exactement ce qui est décisif pour de nombreuses constructions aujourd’hui, on parle alors de déconstruction», explique Fabio Gramazio.

Matthias Kohler et Fabio Gramazio travaillent ensemble à la chaire de fabrication numérique de l’EPFZ sous le nom de «Gramazio Kohler Research». Leur domaine de recherche comprend de nouvelles méthodes pour l’architecture par le biais de la conception et de la construction. Leur atelier abrite une série de robots industriels et de grandes imprimantes 3D pour produire des éléments architecturaux à l’échelle réelle.

La recherche sur les matériaux de construction alternatifs est aujourd’hui centrale pour l’Institut. Cela tient au fait que le béton, longtemps considéré comme le matériau de construction du futur, présente d’importants inconvénients. Il ne dure pas éternellement, sa production est très énergivore et il utilise du sable qui risque de se raréfier.

Le bois en tant que matériau présente en revanche de grands avantages. Il est plus léger que l’acier et le béton, il est une matière première renouvelable et stocke le CO2 problématique.

Hélicoptère déposant de modules de construction en bois dans une forêt.


Le montage des modules en bois se fait grâce à un hélicoptère.


© Gramazio Kohler Research, ETH Zürich. Michael Lyrenmann

Pourtant, le bois n’est pas une solution universelle. Fabio Gramazio s’oppose à une pensée simpliste en noir et blanc. «Il ne s’agit pas d’opposer le béton au bois», dit-il. Il s’agit de trouver des solutions pour construire le futur, qui, dans de nombreux cas, pourrait être une combinaison intelligente de différents matériaux de construction. L’argile en fait partie, par exemple.

La tour se dresse désormais sur le rocher de Caschlatsch. Qu’en sera-t-il à l’avenir? Le bois est exposé aux intempéries. Contrairement aux fameux chalets des régions alpines, il n’a pas de toit protecteur.

Le bois devient humide et risque de se détériorer au fil du temps. Si nécessaire, on peut remplacer certaines poutres. Mais on peut aussi laisser tomber la tour et démonter un jour les poutres restantes. «La tour n’est pas construite pour l’éternité», explique Fabio Gramazio.

Texte relu et vérifié par David Eugster, traduit de l’allemand par Françoise Tschanz/op